Chapitre 6

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"La plus puissante force de sociabilisation dans l'univers est la dépendance mutuelle"

Frank Herbert

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Cassie était endormie sur le canapé, devant un des volets d'Harry Potter. Je m'approchai doucement afin d'attraper la télécommande et d'éteindre la télévision.

— Xio ? C'est toi ? murmure-t-elle en tentant d'ouvrir ses yeux clairs.

— Oui, rendors-toi

— Ça va ?

— Hmm, tout va bien. Je dépose un plaid tout doux au-dessus de son petit corps et me dirige vers la salle de bain.

Je me déshabille et me regarde dans le miroir en me disant tout bas que je devais me reprendre, que je devais être plus dure, redevenir à tout prix cette femme froide. Je n'ai pas d'autre choix.

Je me faufile sous l'eau brûlante, restant sous ces larmes d'eaux, ruisselantes sur ma peau pendant une bonne quinzaine de minutes. Je ne pensais à plus rien. La douche avait le pouvoir d'apaiser mon âme. Une des seules choses qui me calmaient était la pluie, la mer, les lacs, la douche ou un bain. L'eau, vertu de tant de bienfaits, était devenue une drogue, presque autant que l'alcool.

Une fois sortie, je frotte mes longs cheveux noirs sur la serviette sans délicatesse afin de les sécher un minimum. Je regarde de nouveau ce miroir, maintenant embué, n'y voyant que le reflet du contour de ce qu'il reste de mon être, laissant cette ombre grise s'introduire dans ces gouttelettes floues. Je préfère ne pas me voir. Je préférais ne pas croiser mon regard. J'aurais préféré m'effacer tout comme ce reflet. Je passe ma main sur le miroir au niveau de mon visage, même en écrasant ces gouttes, mon image resta floue. Voilà qui était une bonne représentation de ma personne. Étais-je, ne serait-ce réelle ? Est-ce que ce monde l'était ?

Je me brossais les dents et alors que la buée commençait à s'évaporer, je croisais mon regard de nouveau. Mes cheveux me tombaient au milieu du dos et collaient à ma peau. Je les soulevais et les attachais en une tresse afin qu'ils soient, demain, un peu ondulés. Pas ternes, ni si lisses comme à leur habitude. Pourquoi ce changement soudain ? Je me posais la question. Mais je n'y réfléchis pas davantage. Devait-il vraiment y avoir une réponse à cette question futile ? Un si petit changement, n'affecterait pas le cours de ma vie. Du moins, c'est ce que je pensais.

Ma vie est devenue une routine lente et insipide, depuis que mon père est mort et que mon grand-frère est porté disparu ; c'était il y a 10 ans, je n'en avais que 13. Ma mère sombra dans une dépression. Elle ne faisait même plus attention à moi, à ma présence, à ma détresse. Une jeune adolescente devant se débrouiller seule. Je ne la blâme pas, perdre son mari et son fils, ça vous détraque, ça vous ronge ; cela vous change.

Nous étions une famille aisée, mon père était directeur d'un laboratoire d'analyse médicale, ma mère travaillait dans une société de recrutement et mon frère venait de finir son cursus universitaire en BAC + 2 informatique. Nous avions l'habitude de faire de faire des activités le week-end, des vacances en famille à l'étranger, puis un jour nos sorties se sont de plus en plus espacées. Je pouvais entendre parfois, dans des murmures la nuit, mes parents se déchirer, tels les éclairs de Zeus dans un ciel dégagé. Je me bouchais les oreilles, jusqu'à ce que le sommeil veuille bien m'emporter. À l'école, j'entendais les gamins me dire que leurs parents divorçaient, je riais, pensant qu'ils ne s'étaient donc jamais vraiment aimés.

Honnêtement, j'avais juste peur que mes parents se séparent aussi. Ma famille... Elle s'est évaporée sans que je ne le voie venir. Je me souviens encore de ce jeudi fin d'après-midi, je rentrais du collège quand ma mère m'appela.

— Ma chérie... J'entends encore sa voix étouffée par des sanglots. Ton père... Elle posa un silence me paraissant être une éternité. Il est mort.

Ces trois mots, me firent l'effet d'un boulet de canon transperçant mon estomac, se répercutant dans un écho au fond de mon cerveau. Je pouvais entendre ses pleurs et ses cris dans le téléphone. 

Dehors, le temps était au beau fixe, le soleil d'un mois de juin réchauffait les cœurs des personnes marchant autour de moi. Ils portaient sur eux des sourires, des rires, tandis que des groupes d'amis traversaient la rue pour aller boire un verre au bar d'en face, un couple marchant main dans la main, un gamin jouant à la balle avec son chien, les chauffeurs passant à toute vitesse sur la route, pressés de rentrer chez eux à la fin d'une longue journée de boulot. Tout allait trop vite et était trop vivant, trop coloré, bien trop bruyant. 

Je tâchais ce paysage d'été ensoleillé, et en moi, la tempête glaciale venait de me percuter. J'étais d'ores et déjà en train de mourir, en train de tout quitter, de déserter mon reflet, dans cette paroi vitrée du magasin de bricolage. Cela aurait pu mettre utile, pour éviter de sentir mon cœur craquer sous les maux. J'y ai vu mon regard se vider. Le néant. La tempête étant si violente qu'elle emporta tout avec elle en une fraction de seconde. 

J'étais là, debout, impassible, attendant que le monde finisse de me tuer.

— Rentre à la maison.

J'entends encore sa voix me suppliant dans un murmure. Je me mis à courir vers chez moi, la police était présente, des journalistes tentaient de m'interviewer, je fis abstraction et je fonçais à l'intérieur.

— Maman ! Maman !

Je la trouvai, assise, sur le canapé, dos à moi, je m'en approchais lentement, pour me positionner devant elle. Son regard, me marqua. Le blanc de ses yeux devenus rouge cerise me fit comprendre que ses mots étaient réels. Ses iris, habituellement pétillants étaient morts. Son regard, plongé dans la photo de famille, accrochée au-dessus de la cheminée. Elle ne me remarquait même pas.

— Maman... Je m'abaissai à son niveau, sa vision passant au travers de mon corps. J'étais devenue invisible. Je hoquetais, bégayais même. D-Dis-moi qu'est-ce qu'il - qu'est-ce qu'il... se passe

Elle ne me répondait pas, je commençais à lever la voix, l'attrapant par les épaules, la secouant tout en pleurant.

— Où... Où est papa !

Un policier me releva en mettant ses mains en dessous de mes aisselles. Il m'éloigna de ma mère qui n'avait pas toujours pas bouger d'un centimètre. Je me débattais, criais, donnais des coups dans son torse imposant, l'implorant de me laisser tranquille. Il me fit asseoir à la cuisine et me demanda

— Tu t'appelles comment ?

— Xiona. Répondis-je en pleurant

— Xiona... Ton père a été retrouvé mort, je suis vraiment désolé. Il me prit dans ses bras, et mes pleurs, cris, doublèrent.

— Pourquoi ! Pourquoi... dis-je en me calmant un peu. J'avais besoin de savoir.

— Est-ce que tu sais si ton père se droguait ?

— Mon père ne se droguait pas, non ; jamais il n'aurait touché à ces merdes. Lui crachai-je d'un ton cinglant au visage. Vous insinuez quoi ?

— Je n'insinue rien, on cherche juste des informations, d'accord ? Tes parents se disputaient-ils dernièrement ?

— Oui, comme tous les parents.

— Est-ce que tu sais où est ton frère ? me demanda-t-il

— Non, je ne sais pas.

— S'il t'appelle, contacte-moi à ce numéro. Il me tendit une carte de visite.

— Mon père s'est... suicidé ? je levai les yeux vers le policier.

— Justement, ma petite. On aimerait bien le savoir

Aucun des scénarios ne me paraissait plausible. Un suicide, avec de la drogue ? Une overdose ? Impossible. Un accident ? Comment. Un meurtre. Je ne voyais que ça, mais pourquoi. J'attrapai mon téléphone et appuyai sur le bouton d'appel du contact de mon frère.

BIP BIP BIP. Messagerie. Mes yeux s'agrandirent de frayeur.

— Est-ce qu'il est au courant ? Questionnai-je le policier, hésitante

— Non, pas encore.

— Trouvez-le, qu'est-ce que vous foutez encore là ! Je criais, tremblante de peur.

Ce soir-là, ma mère ne dormit pas, toujours assise au même endroit sur le canapé. Je ne réussis pas à fermer l'œil non plus, mon esprit imprégné des pires scénarios et de nombreux questionnements sans réponses.

Le lendemain, alors que je fouillais dans mon armoire pour faire mon sac et partir de la maison un certain temps, comme l'avaient demandé les inspecteurs, je trouvai une petite lettre de couleur marron. Rien n'était noté sur l'enveloppe, je l'ouvris quand même.

"Tu dois être inquiète, tu peux l'être Xio. Je n'imagine pas l'état dans lequel vous vous trouvez en ce moment, et je m'excuse de ne pas être à vos côtés. Je te demande de ne pas essayer de comprendre pourquoi, ni de me chercher. Ne fais confiance à personne. Ne parle pas de cette lettre, brûle-la une fois que tu l'auras lue. Je ne déconne pas, pour une fois, fais ce que je te dis.

Je ne sais pas quand je pourrais vous revoir, ou si je vous reverrai ne serait-ce qu'un jour. Tu devrais partir, loin d'ici, loin de cette ville. Ne fais pas de vague, fais-toi petite, crée-toi une nouvelle vie. La seule chose que je peux te dire, si cela soulage un minimum ton esprit, c'est que Papa ne s'est pas suicidé.

Je t'aime, petite sœur"

De nombreuses émotions me traversèrent. Peur. Incompréhension. Tristesse. Rage. Je repliai la lettre et la brûlai avec un briquet à la fenêtre. L'odeur du papier brûlé me piqua le nez et accentua mes pleurs. Je ne comprenais rien à ce qu'il se passait, ni à ce qu'il se tramait dans l'ombre, mais je devais faire face. Je devais repartir de zéro comme il me le demandait, après tout, je lui faisais confiance, c'était mon grand frère, un pilier. J'espérais qu'une chose, le revoir, qu'il m'explique tout afin que maman et moi puissions faire notre deuil.

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