Chapitre 8
"Un changement en prépare un autre"
- Nicolas Machiavel
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8h35 -
Assise sur le sofa, Cassie me pose des tonnes de questions. Je la regarde et me dis que c'est bien plus qu'une amie. Elle est un repère, une ligne d'horizon, une lumière et une porte secrète vers mes émotions. Elle m'aide par les temps durs, elle est bien la seule à pouvoir me faire rire et me rassurer. Elle ne me juge pas, accepte tout de moi et est toujours là. Je suis comme une plante qu'elle cultive avec grand soin, le trésor de son petit jardin. Elle, est comme une étoile, éclairant ma nuit noire, connaissant toute mon histoire.
Je la remercie mentalement et lui raconte tout, depuis l'entrée du voisin dans l'ascenseur, passant plus de temps que prévu à lui raconter certains instants. Notamment celui où il s'est approché de mes lèvres et que ma main s'est automatiquement écrasée sur sa joue.
— Xio, tu sais, ce n'est qu'un bisou. De ce que tu me racontes, ce mec est plutôt bel homme et est visiblement attiré par toi. Me narre-t-elle.
— Justement, ce n'est pas qu'un bisou, ce serait mon premier ! Et puis pourquoi serait-il intéressé par moi, il ne me connaît même pas d'abord ! Ça cache forcément quelque chose.
— Tu es une femme mystérieuse, ténébreuse et attirante. Les personnes qui souhaitent se rapprocher de toi n'ont pas toutes des arrière-pensées. Ajoute-t-elle en levant les yeux.
Elle a sûrement raison, mais il faut croire que je me mets des barrières pour protéger ceux voulant me connaître. Se rapprocher de moi, c'est avancer droit vers la porte des Enfers. Alors embrasser quelqu'un que je ne connais pas me paraît être impossible, mais je sens quelque chose en moi qui commence à changer, à se réveiller, à gronder, depuis que je l'ai rencontré et ça me fait peur.
— Cass, j'ai ressenti des choses. Lui annonçai-je alors qu'elle s'étouffe avec sa salive.
— Quels genres de choses ? S'étonne-t-elle.
— Des frissons, mon cœur s'est emballé et j'ai eu des bouffées de chaleur quand il s'est approché de moi. C'était désagréable. Ajoutai-je en étant pris d'un sursaut à ce souvenir.
Elle se met à soutenir mon regard intensément, je peux même capter les ondes de son cerveau en ébullition. S'affiche sur son visage un sourire qui se met à grandir, jusqu'à ses oreilles.
— Mais oui, merci bon Dieu, il était temps ! Ce type m'intrigue, je veux le rencontrer ! S'écrie-t-elle.
— Le regard qu'il porte sur moi... C'est comme s'il me connaissait déjà. Marmonnai-je.
— Il t'a dit son prénom ?
— Ian.
— Ian, "Dieu fait grâce". Dit-elle en levant les bras vers le ciel. C'est ce que son prénom signifie. Je l'aime de plus en plus, dis donc !
Cassie adore tout ce qui touche à la numérologie, la symbolique des prénoms, l'astrologie et la spiritualité. Elle a carrément un dictionnaire des significations des prénoms chez elle.
— Je te propose un challenge : apprends à te laisser aller, même si tu ne veux rien avec lui, sert toi de ce rapprochement pour t'ouvrir un peu. Toutes les rencontres sont fortuites, celle-ci l'est forcément.
— Tu joues les psychiatres, Cassie.
— Je suis ta psy depuis toujours. Dit-elle, fière.
— Ouais, et ça ne fonctionne pas très bien. La corrigeai-je en rigolant.
— Parce que tu n'écoutes jamais et n'en fais qu'à ta tête ! Et donc, ne change pas de sujet. Grogne-t-elle. Quoi d'autre avec lui ?
— Il m'a montré son tatouage au dos.
— Il s'est déshabillé dans l'ascenseur ? Oh my god, ça me donne des fantasmes ! S'extasie-t-elle en se frottant les mains. C'est quoi comme tatouage ?
— Une femme enfermée dans une cage d'oiseau suspendue, au-dessus d'une mer agitée. Elle porte des plaies sur tout le corps, le regard vide. Son reflet se déforme dans l'eau et un dragon se dirige vers elle, alors que le soleil se couche. D'ailleurs, il a des cicatrices bien épaisses sur son dos. Il voulait sûrement les cacher en se faisant tatouer.
— Ou les mettre en avant, en créant une œuvre d'art pareil ! Commenta-t-elle.
— Je lui ai demandé le contact du tatoueur.
— Ah oui, je vois le genre, bien détaillé et sombre. Ça devait être très beau, si c'est pour que tu le lui demandes. Cela fait tant d'années que tu cherches un tatoueur digne de marquer ton corps.
— À vrai dire, il ne voulait pas me donner son contact. J'ai dû lui dire que je ferai quelque chose pour lui en retour.
— Imagine s'il te demande de coucher avec lui ? Elle m'envoie un clin d'œil.
— Même pas en rêve! M'empressai-je de rectifier.
— Je ne pense pas qu'il l'ai pris dans ton sens beauté. Il pourrait décider de quelque chose de farfelu ! Elle mima le signe d'une explosion au-dessus de sa tête.
— À mon avis, il me proposera d'aller boire un verre. Si c'est ça, je peux l'accepter. Lâchai-je.
— Mais... Où est passée mon associable amie ?
— Je prendrai ce que je veux de lui et ciao. Concluais-je en faisant semblant de balancer quelque chose.
— On dit toujours ça au début. Tu n'as pas intérêt à me cacher des choses si tu le revois ! Me menace-t-elle de son petit doigt.
Cassie part à la douche et j'en profite pour rappeler ma mère. Ça fait déjà un moment qu'elle a tenté de me joindre. Je ne veux pas qu'elle se mette à paniquer, ce n'est pas bon pour elle, il manque plus que j'empire son état. J'appuie sur son contact et approche le téléphone de mon oreille en me dirigeant sur la terrasse.
— Allô ?
— Maman, tout va bien ? Balbutiai-je d'une voix basse.
Être avec elle au téléphone me rappelle toujours de mauvais souvenirs.
— Ma Chérie ! Ton téléphone te sert à quoi, hein ! Feule-t-elle dans le combiné.
— Je sais, je sais...
— On n'est pas en début de mois, mais j'ai ressenti le besoin de te faire un petit tirage. Il s'est passé quelque chose ces deux derniers jours ?
— Non. Rien de spécial. Lui mentis-je calmement.
— Bizarre... J'ai pourtant tiré le Jugement à l'envers. Tu as un lourd travail à faire sur toi pour avancer vers l'avenir. Lâche du lest et ne vis pas dans le passé. Tu as tendance à tourner en rond sans trouver la porte de sortie ni de solutions à tes problèmes. Ne reste pas enfermée dans une vie de routine et de croyances dont tu n'arrives pas à sortir et que tu n'es plus en mesure de comprendre, parce que des éléments passés te poursuivent et tes erreurs t'empêchent de voir plus loin que le bout de ton nez. Tout est devenu mécanisé, Xiona. Et si tu prenais le temps de t'interroger sur l'essentiel ?
Elle récite son monologue d'une seule traite, je l'entends respirer un bon coup avant de reprendre.
— Ensuite, la carte du Chariot à l'envers, je vois une rencontre rapide, inattendue, mais tu dois baisser ta garde, être plus souple et moins agressive. Si tu rencontres quelqu'un, je pense que ce sera durant la nuit et cette personne doit avoir des tatouages, comme me le montre l'homme dessiné sur la carte. Un homme imposant et courageux. Cela indique que parfois, il faut laisser aller les choses et qu'il n'est pas toujours nécessaire de tout contrôler. Un des meilleurs conseils pourra alors être de rester ouvert à de nouvelles expériences et surtout de laisser aller la spontanéité qui existe en toi. Celle-ci ouvrira la porte à la possibilité de t'aligner à nouveau spirituellement. Attention, si tu prends la voiture, je vois un problème mécanique, quelque chose pourrait tomber en panne.
Elle commence vraiment à me perturber. Est-ce qu'elle m'espionne ? Ces supercheries ne sont que des coïncidences, elle tente juste de me mettre des idées en tête. On peut associer tout et n'importe quoi avec ce qu'elle dit.
— En découle la synthèse, pour ce qui va t'arriver prochainement si tu suis les conseils des cartes : la Roue de la Fortune à l'endroit, tout change, c'est la loi de l'impermanence ! Tu vas entrer dans une phase de renouveau, fais-toi belle et sors un peu de chez toi, je t'assure que tu ne le regretteras pas. Les changements seront positifs, mais si tu ne te laisses pas aller, ton vieux démon reprendra le dessus. Au final, tout arrive au bon moment, au bon endroit. Le destin t'apporte quelque chose ou quelqu'un, peut-être une femme comme un homme, une simple amitié ou un coup de cœur sentimental ? Mon intuition me souffle que c'est un homme. Qui sait, je pourrais peut-être avoir des petits enfants ?
— Euh...? Bredouillai-je alors que je défais une de mes tresses et détends mes cheveux désormais ondulés. Je m'arrête, une rencontre inattendue de nuit, une panne d'ascenseur, un homme tatoué, se faire belle. Ça ne peut pas être vrai, dites-moi que ça ne l'est pas.
— Tu as le droit de ne pas croire à la magie des cartes, mais je ressens que quelque chose bouge pour toi en ce moment. Crois-y un peu.
Elle raccroche sans me laisser répondre. J'ai l'habitude, on ne rentre jamais dans de grands dialogues, à part pour les tirages qu'elle me fait. Enfin, c'est plutôt moi qui l'écoute, elle a tendance à déblatérer pas mal d'inepties quand elle s'y met. Je suis tout de même contente de l'avoir eu au téléphone. Sa voix m'avait l'air un peu plus énergique que la normale.
Je finis de défaire mes tresses et reste un moment sur la terrasse, laissant les rayons du soleil me réchauffer. Cassie sort peu de temps après de sa douche. Elle me rejoint dehors, juste une serviette nouée autour de son petit corps. Je lui raconte ce que ma mère m'a raconté avec ses cartes. Cass jubile et me bassine pour revoir Ian.
— D'ailleurs, c'est quoi cette coiffure ? Ça te va vachement bien ! Il y a une raison derrière ce changement ?
J'attrape une mèche ondulée et entortille mon doigt autour.
— Aucune raison.
— T'as prévu quoi aujourd'hui ? Me questionne-t-elle.
— Rien, canapé.
— Ah non ! Je dois m'acheter de nouvelles robes pour un date vendredi soir. Je me disais que tu pourrais m'accompagner faire du shopping et en profiter pour changer un peu ta garde-robe.
— Je n'ai pas besoin d'acheter de nouveaux vêtements, Cass.
— Mais moi, oui ! Allez, viens te balader, j'offre le déjeuner.
— Hmmm... Raviolis chinois ?
— Adjugé ! Elle se réjouit déjà de cette journée entre nous, moi, pas vraiment.
On rentre à l'intérieur, Cassie remet ses vêtements de la veille et râle, elle n'avait pas prévu de dormir chez moi, donc elle n'a rien de propre à se mettre sur le dos. Je lui propose plusieurs de mes tenues, mais rien ne la fait rêver, après tout, il y a une différence entre ses vêtements roses pailletés et les miens.
— Tu vois, t'as besoin d'un bon relooking. Rit-elle en regardant le bazar qu'elle vient de mettre dans la chambre, le peu de vêtements que je possède, jonchant désormais le sol.
Mais dans quoi je m'embarque. Sauvez-moi.
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