Chapitre 11

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"Il n'y a aucune vertu à chercher la bagarre. Si vous vous trouvez dans une bagarre, votre boulot, c'est de gagner. Mais si vous ne pouvez pas gagner, vous devez chercher à vous en sortir"

- Jake Welch

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Le premier à se ruer vers moi est assez mince, ce qui me facilite la tâche. Il tend les bras  et m'attrape par les épaules. Mauvais choix mec, je place mes mains sur ses poignets, baisse mon corps vers l'avant et donne un coup de pied à l'aide de ma jambe droite, afin de percuter le ventre de l'agresseur qui rugit de douleur. Je recule de quelques pas afin que la distance minimale corresponde à la taille d'un bras allongé. Ceci me permet de gagner un peu de temps pour réagir aux prochains coups. Plus cette distance est grande et plus l'adversaire est vulnérable puisqu'il se mettra en situation de déséquilibre pour m'atteindre.

Je vous entends d'ici. J'ai donné le premier coup, oui, et alors ? 

En reculant, j'ai le temps d'identifier l'attaque de l'autre homme, plus grand et plus costaud, qui déboule sur moi, mais trop tard, il est déjà tout près. J'engage une action de défense, je protège mon visage en levant les bras devant moi et en rentrant les épaules. Les coups arrivent vite et sont pleins de puissance. 

Ah... Cela faisait si longtemps, j'en ai presque envie de le laisser me mettre un vrai coup. Il m'attrape les poignets et essaie d'écarter mes bras. Je suis désavantagée au niveau de la force, je dois esquiver rapidement.

Les spectateurs huent l'homme et m'encouragent à gagner la bataille. Je lui donne un coup de genou dans les parties intimes et l'entends gémir comme une fillette. Puis une douleur vive me traverse l'abdomen. Je baisse les yeux vers mon flanc, une belle entaille se dessine au niveau du petit haut noir que Cassie a acheté aujourd'hui. 

— Xiona ! Crie Cassie, prise de panique à la vue de l'entaille ensanglantée qui marque désormais mon ventre.

— Ce n'est rien. Je lui assure.

Je me tourne vers l'homme armé du couteau.

— C'est avec ce truc que tu comptes m'arrêter ? Je ricane.

— Approche, pétasse. Ordonne-t-il.

Je m'élance et lui assène un coup de pied circulaire. Il s'écroule sur le côté. Cette technique de taekwondo, apprise après la mort de mon père, me vient instinctivement.

Je sens la blessure s'aggraver et le sang couler. Normalement, j'aurais jubilé face à la douleur, mais là, c'est mon ego qui en prend un coup, pour avoir baissé ma garde, contre ce caïd à deux balles. 

L'autre homme tente de relever son compagnon, mais il est trop sonné et retombe. Je saisis une bouteille qu'une fille me tend. Je m'apprête à abattre le dernier coup. L'homme plante ses yeux vitreux dans les miens, je lui souris, tout excitée à l'idée de l'écraser contre son crâne. Mon bras s'avance vers lui, dangereusement, à une vitesse folle et il ferme ses paupières, prêt à encaisser.

Mais bizarrement, je n'entends pas le bruit sourd du choc. Je regarde autour de moi, le temps ne s'est pas arrêté, quelqu'un retient mon avant-bras avec une force inouïe, sans effort. Cela m'impressionne, curieuse, je regarde vers celui qui m'empêche de frapper cette enflure. 

— Ça suffit. Souffle une voix grave et rauque qui parvient à mes oreilles. 

Mes yeux toujours rivés sur le peu de visage que j'aperçois, je comprends quelques secondes plus tard que cette personne n'est autre que l'homme mystérieux du bar de la dernière fois. Ses cheveux longs, légèrement ondulés, lui tombent toujours devant les yeux. Une capuche est encore une fois déposée sur sa chevelure, comme si le sweat noir qu'il portait déjà précédemment  était devenu sa deuxième peau. 

Je ne relâche pas mes doigts de cette bouteille et tente de défaire sa poigne animale, mais je ne bouge pas d'un millimètre. 

— Lâche-moi. Recommandai-je en sa direction.

Il prend mes bras et les positionne derrière mon dos. Je suis impressionnée par sa rapidité. Dos à moi, il murmure : 

— J'ai dit, ça suffit. Exige-t-il toujours sur un ton calme mais perçant.

Sa voix parcourt mon corps et envoie des petites décharges. Je capitule lorsque je vois le pervers apeuré, pour je ne sais quelles raisons. Il pousse Cassie vers nous avant de disparaître avec ses acolytes. Elle accourt à mes côtés et me demande d'arrêter, de ne pas me faire plus remarquer.  

L'homme regarde quelqu'un au fond du bar et claque des doigts, la seconde qui suit, la personne au fond de la salle hoche la tête et disparaît dans la foule. 

Il me conduit dans une petite pièce sombre à l'arrière du bar. Canapés rouges en velours, une table basse avec des bouteilles d'alcool et de la drogue, cela ne m'étonne pas dans un endroit comme celui-ci. Ce qui attire mon attention cependant, c'est une bibliothèque, comportant une centaine de livres dans le coin de cet espace clos sans fenêtres qui fait tâche. 

Il me pousse sur le canapé, je me relève aussitôt. Cassie est debout, près de la porte, sur ses gardes, ne sachant trop que dire ou bien quoi faire.

— Laisse-nous partir. Je demande.

— Vous avez mis un sacré bazar. Répond-il la tête baissée, pour qu'on ne puisse pas voir son visage.

— Oh, comme si des bagarres dans un bar étaient anormales ? Je raille.

— Pas dans le mien. Il va falloir payer pour les dégâts. 

— Si c'est de l'argent que tu veux, en voilà ! Je lance des billets sur la table.

Il porte sa main sur les billets déposés afin de les récupérer. J'attrape rapidement son poignet dans l'idée de lui faire une prise et de m'enfuir, mais je me fige, lorsqu'il plante son regard au fond du mien. 

Cette couleur, c'est ce regard qui m'avait tant chamboulé. Ses yeux noirs, teintés de haine, de trahison et de douleur. Ils étaient beaux. Je le trouvais beau.

Il sort un couteau de sa poche et en un instant, je me retrouve dos contre le mur, avec la lame glacée contre la peau de mon cou. Ma respiration manque un battement et malgré la situation dangereuse qui se présente à moi, je souris, les yeux écarquillés, telle une folle s'échappant d'un hôpital psychiatrique. 

— Vas-y ! Vas-y, fais-le ! Je le défie, le suppliant presque de m'achever.

— STOP ! Crie Cassie derrière nous, mortifiée. 

Le barman s'approche d'elle, lui chuchote quelques mots avant qu'elle ne sorte de la pièce avec lui.  

— Nous sommes seuls maintenant, qu'est-ce que tu attends pour m'ouvrir la gorge ?

Sa tête toujours abaissée, je distingue sa mâchoire qui se contracte de plus en plus, en même temps qu'il appuie le côté tranchant contre ma peau. 

Je pouvais voir qu'il se retenait de faire couler mon sang, mais il laissa tomber sa main contre son corps, le couteau s'éloignant. 

Je ne m'étais toujours pas échappé, quelque chose chez lui m'attirait, je n'avais pas peur, non, j'étais excitée. Il me fit asseoir et il s'agenouilla, pointant la lame de nouveau en ma direction. Une goutte de sang se trouvant à l'extrémité de celle-ci. Je compris immédiatement que ce fou venait vraiment de me blesser.

— Ne me touche plus. Dit-il d'une voix dure en insistant sur chaque mots.

Il approche la lame de son visage, la renifle et lèche tout doucement de bas en haut. Sa langue, maintenant teintée de mon sang passe par-dessus ses lèvres comme si c'était un mets exquis. La vision qu'il m'offre devrait me donner envie de vomir, alors pourquoi, oui, pourquoi je trouvais cela si sexy.

— Ça ne risque pas. 

Il se lève et me jette du papier. Je tressaille de douleur, dû au mouvement brusque qui continue d'ouvrir la plaie de mon ventre, tandis que je rattrape en l'air le rouleau qu'il m'envoie.

— Nettoie le sang au sol et dégage. Grogne-t-il sans même prendre la peine de me regarder. Il sort de la pièce, les poings serrés, claquant la porte derrière lui. 

Je me retrouve enfin seule et soulève mon haut pour mieux évaluer la gravité de la blessure. L'entaille fait au moins six centimètres et est plus profonde que prévu. Le sang continue de s'écouler. J'arrache un morceau d'essuie-tout et appuie dessus en serrant les dents. Mes yeux se posent sur l'alcool et la drogue devant moi. Merde, je m'étais promis de ne plus y toucher. Je m'approche de la traînée de poudre blanche, mais je finis par me retenir.

J'ouvre une bouteille de tequila et avale plusieurs grandes gorgées pour me détendre. Après tout, je n'ai pas pu boire autant que je le voulais ce soir, mais la soirée a été plus mouvementée que prévu.

Je verse un peu d'alcool sur ma plaie. Ça pique, un léger gémissement m'échappe. Putain, ça fait mal. Si je revois cet enfoiré, je lui pète le crâne. Je nettoie la blessure et enroule du papier essuie-tout autour de mon ventre. Je sors de la pièce sans essuyer le sang au sol, et je tombe sur Cassie.

— Allons-y. 

Elle passe son bras autour du mien et on sort de l'établissement "Yaé" sans encombre. Après quelques pas, je me retourne vers le bâtiment, happé par celui-ci. 

Je te fais face, de près. Tu es là, adossé au mur gris de mon bar préféré. Tu fumes ta clope, un pied levé contre le mur, tel un mercenaire en repos, tu me fixes. Ton visage est maintenant totalement visible.

C'est la première fois que je peux voir ta gueule d'aussi près, et je te détaille comme si j'avais besoin d'en savoir plus sur toi.

Ta peau est pâle, tes cernes se distinguent même dans la nuit. Tes tempes, ton œil, ton cou, sont marqués par des tatouages. Tu es rasé de près et il manque un morceau de chair sur le haut d'une de tes oreilles. Une longue cicatrice descend de ton crâne vers ton œil droit, tandis qu'une plus petite arpente l'une de tes joues. Le genre de cicatrice qu'on voit chez les pirates ou les mafieux et tu as ce visage qu'on voit juste avant de mourir, celui d'une faucheuse. Avec ton mètre 90, tes épaules carrées, j'imagine ton corps, caché sous ces vêtements amples, me demandant si d'autres marques indélébiles y sont incrustés.

Le serveur te murmure quelque chose, et je crois voir un léger sourire sur ta bouche, ou peut-être, est-ce le grésillement du lampadaire sous lequel tu te tiens, qui me joue des tours. 

Une nouvelle sensation s'insinue alors sous ma peau, celle d'être devenue ta proie.

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