Chapitre 12

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" Chaque heure fait sa plaie et la dernière achève"

- Théophile Gautier

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Je me détourne du bâtiment, une aigreur tapissée au fond de la gorge. Cassie demande d'une voix faible si je vais bien, indiquant la blessure au bras que je me suis infligée en brisant la bouteille et celle au ventre qui est bien plus profonde. L'odeur du sang remonte jusqu'à mes tripes et je prends plaisir à respirer difficilement.

— Tout va bien, ce n'est qu'une petite entaille.

Nous marchons jusque chez elle, dans un silence de plomb. Avant qu'elle ne passe la porte de son atelier, elle se tourne, me fait face et enlace ses petits bras autour de mes épaules et me susurre à l'oreille.

— Merci pour ce soir. Je suis désolé de t'avoir mis dans cette situation.

— J'avais besoin de me défouler un peu de toute manière. 

— Rentre directement chez toi, ok ? Ne fais pas plus de vagues et soigne tes plaies.

— Je le ferai.

Elle m'embrasse sur la joue avant de défaire son emprise et de fermer à clef la porte derrière elle.

1 h 47 -

L'air est frais cette nuit et les bourrasques s'engouffrent dans mes cheveux. J'ai même cette impression que le froid s'immisce au plus profond de mes plaies, les écartant, les faisant devenir si profondes, que mon cœur s'abîme. Cela me tend, cela m'émeut, cela m'énerve et toute cette foutue situation m'excite.

Ça me fait peur de voir que j'ai toujours autant de colère en moi, autant de rancunes, de haine et de mauvais sentiments. Oui, j'ai peur de tout garder, de ne pas réussir à tout laisser partir et d'être toujours cette bombe à retardement. Cela me fait peur, quand je vois que je suis capable de m'en prendre aussi violemment à des inconnus pour des raisons parfois futiles. Au fond, ce n'est pas contre eux que je m'énerve mais contre moi-même et aussi un peu contre les Dieux. La médaille d'or revient à la haine que je voue à mon égard. Ça me fait peur d'être une grenade et de me dire qu'un jour, je vais exploser pour de bon et finir en mille morceaux. J'ai peur de tout ce que je renferme et surtout de tout ce qui ne veut pas sortir.

Je comprends enfin, qu'il m'est impossible d'être heureuse en perpétuant des situations dans lesquelles je ne le suis pas. Et si vous me demandiez si je pourrais refaire la même chose, je vous répondrais que oui. Je me tiens debout, pour respecter ce que je suis profondément, mes valeurs intrinsèques, même les plus sournoises. 

Je me suis tenue debout ce soir, fière, sans aucune peur d'affirmer ce que je suis, un monstre naissant. Ce petit être malsain au fond de mon cœur a pris le pouvoir et a agit sans avoir peur de perdre, parce que j'étais déjà prête à tout perdre, sans jamais me perdre.

J'étais présente ce soir, pour affronter les vents, les marées, les tempêtes et les tornades, sachant intimement que je n'étais pas assez forte pour passer à travers tout ça. Aujourd'hui, particulièrement, je souhaite me tenir debout, pas pour protéger ceux que j'aime, mais pour ressentir de nouvelles choses, que ce soit horrible ou bien bandant. 

Je sais que j'ai un sale caractère. Je suis froide, dure à cerner. Je me cache constamment sous ma carapace pour éviter de dévoiler mes faiblesses, pour cacher le fait que je pense trop, que je réfléchis trop et que je me prends trop la tête. En vérité, je ne fais jamais dans la demi-mesure, je déteste avec une haine profonde et j'aime sincèrement comme pour Cassie et l'alcool. 

Un perpétuel combat se joue entre ma tête et mon cœur, je suis entre les deux, entre deux mondes, essayant tant bien que mal de ne pas tomber. Je suis funambule sur le fil de mon âme et j'ai peur, je l'avoue. J'ai peur de ce vent un peu trop violent qui viendra me faire glisser, lentement, m'entraînant dans une chute douloureusement méritée.

Je suis dure à vivre. Un rien m'énerve, car je prends tout à cœur. Je suis possessive, jalouse, têtue, agressive, amorphe, arrogante, asociale, bagarreuse, calculatrice, cruelle, défaitiste, désinvolte, égoïste, grossière, imprudente, irrespectueuse, irresponsable, lunatique, nonchalante, paresseuse, râleuse, sans gêne, secrète, un brin trop folle voire bipolaire. J'entends des voix dans ma tête à longueur de journée et je pourrais continuer encore longtemps à décrire tous mes putains de défauts qui font de moi ce que je suis aujourd'hui...

Je me demande s'il existe quelqu'un qui pourrait m'aider, parce que oui, vu comme ça, ça ne donne pas très envie.

Je marche dans les ruelles de Puento et bizarrement ce soir, je ne porte pas juste des vêtements différents ni du maquillage, non. Je porte un léger sourire. Je croise quelques personnes sortant des bars et qui s'écartent de mon chemin, ne souhaitant surtout pas me frôler. Un peu de sang sur le corps et tout le monde déguerpit ? À croire qu'il faudrait que je me blesse plus souvent, pour me sentir telle une reine.

J'ai dû quitter mon petit paradis pour rejoindre le froid de cette nuit, filant comme une ombre, évitant les lampadaires de la ville. Une petite côte à monter et je serai devant mon immeuble. Plus que quelques mètres, je pose enfin mes doigts sur le boîtier afin de taper le code de l'immeuble. 

1-8-9-2 BIP. La porte se déverrouille, prête à la tirer jusqu'à ce que j'entende un bruit de froissement derrière mon dos. Mon sang ne fait qu'un tour et je me retourne me baissant, pour éviter un possible coup, prête aussi à me battre de nouveau. 

Rien. Pas de bruit. Personne. Pas à un chat. Est-ce que mes vieux démons sont de retour ? 

Je frissonne à cette possibilité avant de composer de nouveau le code de la porte désormais verrouillée. Je rentre précipitamment et la referme derrière moi, examinant pendant quelques secondes les environs sombres, me sentant en sécurité à l'intérieur. 

Je décide de prendre les escaliers et les grimpe rapidement, le cœur battant. C'est bien connu, dans les films, quelqu'un arrive toujours au dernier moment pour retenir l'ascenseur. Je suis tellement pressée de me retrouver enfermée chez moi que je ne remarque même pas l'amas de mégots qui jonchent les marches du troisième étage. 

Arrivée au quatrième, je vérifie que personne ne se trouve derrière moi, avant de rentrer dans l'appartement et de refermer les verrous. Je souffle avant de défaire mes chaussures et de les balancer à l'autre bout de la pièce. Je me dirige dans la cuisine, attrape quelques morceaux de papier essuie tout avec une bouteille d'alcool fort. Direction ensuite la salle de bain, où je récupère de quoi refermer mes plaies et les panser. Aiguille, fils, alcool... 

Check. 

Je retourne dans le salon, où la lumière est plus forte afin de pouvoir mieux voir ce que je vais faire. Je retire ma veste et le petit haut noir. Je baisse mon regard sur mon flanc. Merde. Qu'une petite entaille, hein ? C'est pour cette raison que mon corps avait eu du mal à grimper les marches, que des gouttes de sueur froides tombaient de mon front pour s'écraser sur mon tapis.

— Ça va faire mal. Murmurai-je, tandis qu'une voix dans ma tête rétorquait que cette plaie n'était que le fruit de mes péchés bien mérités. 

J'arrache deux feuilles de sopalins avec les dents et les asperge d'un peu de rhum. Je déglutis avant de placer ces fines couches froides sur mon corps chaud et lourd. 

— Hmmm... Arrrgh. Putain.

Je désinfecte un peu la plaie avant de recoudre le ventre, doucement, serrant les dents, retenant mes larmes, à chaque pincée de peaux meurtries pour y insérer l'aiguille et le fil. Des gouttes de sang coulent le long de ma peau blafarde. Je m'habitue après quelques minutes à recevoir la douleur et lorsque je finis enfin les 5 points de suture, je prends une grande respiration, m'octroyant maintenant la faveur de respirer. 

Je me laisse tomber en arrière, m'affalant sur le sofa. J'attrape de quoi panser ma plaie et m'entoure le ventre d'un ruban blanc. J'en profite pour boire un tiers du restant de la bouteille de rhum. J'ai chaud, la fièvre doit être en train de monter. Je me relève, tangue de gauche à droite, tel un navire sur une mer déchaînée, me dirigeant vers la terrasse. L'air frais me fait un bien fou, comme le souvenir d'un doux baiser de ma mère, déposé sur ma joue avant de me coucher. 

Je pose une cigarette entre mes lèvres que j'allume avant de tirer de longues taffes. 

2 h 35 - 

Les rideaux de Ian s'ouvrent subitement. Son visage apparaît dans la lumière tamisée de son séjour. Je remarque l'expression sur son visage, une expression que je connais que trop bien, celle de la colère. Il est habillé d'un t-shirt neutre blanc avec un jogging gris. Ses poings serrés, il entrouvre la vitre et se rend dehors d'un pas décidé. 

Je reste figée sur son expression, différente de ce que j'ai pu voir de lui auparavant. De mon point de vue, il en devient juste plus sexy. Son masque paraît être tombé et je me prends à l'admirer. J'ai un tant soit peu d'affection, pour les personnes qui hurlent en silence, dont le sourire quasi parfait, cache une cicatrice brûlante. J'admire ces personnes là, parce qu'ils ont sans le savoir, l'intelligence de ne pas transmettre à l'autre la démence du chagrin qu'ils ont en eux. 

J'aime les rebelles, les imprudents, ceux qui disent le mot qu'il ne faut pas, un soupçon sauvage,  la claque verbale qui s'échappe de leurs lèvres, les malpolis sous prétexte d'insolence, les sages pas très sages, les brûlés vifs, les prisonniers d'intelligence émotionnelle et sociale, les retardataires, les trop pensants, les contre-courants, les bagarreurs, les criminels, les écorchés. Les gens vivants.

Je pense être capable d'aimer, avec autant plus de passion que j'aime l'ignorance. Je ne sais pas si c'est bon ou mauvais, utile ou dangereux, nécessaire ou mortel, éternel ou passager, permis ou bien prohibé, pour moi d'aimer.

Nos yeux se rencontrent de nouveau lorsqu'il lève la tête en ma direction. Son visage change radicalement, m'envoyant un léger sourire et un signe de la main. Il descend son regard sur ma poitrine, couverte uniquement d'un soutien-gorge noir et sur mon ventre, maintenant bandé. 

Le temps que je prenne connaissance de ma propre nudité,  j'aperçois ses lèvres s'ouvrir, prêt à me dire quelque chose, mais je ne lui en laisse pas le temps que je cache d'un de mes bras mes seins et que de l'autre je lui envoie fièrement mon majeur, les sourcils froncés.

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