Chapitre 15

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"Dans un univers d'astreinte morale, endosser le costume du démon tentateur peut être une forme de civilité"

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— La magie n'est pas réelle. Dis-je en regardant le grand oiseau blanc revenir sur l'épaule de l'homme.

— Il faut que tu y croies, sinon tu es condamnée. Chuchote une voix dans mon dos.

Je me retourne, face à une grande silhouette, vêtue d'une cape, le visage complètement caché.

— Je ne crois ni en Dieu, ni en la magie. Rétorquai-je tout en me dirigeant vers la sortie du parc, ignorant cet énigmatique étranger.

— C'est bien là, le problème. La voix me suit.

— Qu'est-ce que tu me veux, putain ? Je m'arrête, me tenant devant l'homme. Son visage toujours inaccessible.

— Ta foi vacille, tu es sur le point de glisser, Xiona.

Surprise, je penche légèrement la tête sur le côté jaugeant si l'homme qui se trouve à quelques mètres de moi, est dangereux.

— Comment tu connais mon prénom ?

— Un paquet de personnes savent qui tu es.

— Qu'est-ce que tu racontes, bordel ? Enrageai-je d'impatience, je devais savoir afin de quitter, ou non, la ville de Puento.

L'homme se retourne et le temps que je tourne la tête une seconde, pour vérifier qu'aucune menace n'arrivent par les côtés ou dans mon dos, il disparut en un battement de cils, littéralement.

Mon sang bouillonne, entraînant avec lui un rythme cardiaque bien trop rapide. Mes yeux scrutent la foule au loin, les familles, les groupes d'amis, les enfants et les personnes qui baladaient leurs chiens plus tôt, s'éloignent toujours plus, afin de vaquer à de nouvelles occupations, que j'imagine être inintéressantes.

Je recherche des yeux l'homme, sans succès, mes pieds ancrés sur ce sol en pavé gris d'où des brindilles d'herbes et quelques pâquerettes réussissent à pousser, du moins, avant de faner. Tétanisée, je répète sans cesse les mots de l'homme dont je n'ai pas pu voir le visage. D'une certaine manière, je me dis que la sensation que j'ai d'être suivie, est réelle. Plusieurs scénarios, plausibles pour certains et d'autres me paraissant impossible. Est-ce l'homme qui me suivait jusque devant ma résidence ? Serait-il possible que je le connaisse ? Comment me connaît-il ? Devrai-je m'enfuir ?

Je repasse en boucle les bruits de pas dans le noir derrière moi, des foulées légères, parfois au loin et parfois bien trop près, ne laissant aucune ombre me reviennent en mémoire.

Bordel de merde... Je dois me reprendre. La résilience que j'ai développée lors de ses dernières années me permet de soulever ma jambe droite, avec difficulté, comme si elle pesait deux cent cinquante kilos afin d'engager la première foulée. Mes oreilles sifflent, j'ai du mal à entendre quoi que ce soit autour de moi, mais lorsque je pose mon pied gauche sur le sol, une douleur et un bruit me réveillent de ma psychose. Une bonne claque, je l'avoue.

— C'est toi qui devrais disparaître, salope.

Une grande femme, aux longs cheveux blonds, cernés, des traces de mascara sous ses yeux rougies, vêtue d'une courte jupe en cuir, se tient face à moi. Derrière elle, la petite princesse se dissimule.

Soulagée d'être sortie de ma prison mentale, même si cela me coûte une joue enflée et marquée par la forme des doigts fins de cette foutue femme.

Elles partent sans attendre la moindre réaction de ma part. Les hauts talons de 12 centimètres, retentissent sur les pierres du square et les cheveux de la gamine volent à l'unisson avec les petits sautillements de victoire de celle-ci.

La foule se disperse et en un rien de temps, le parc est totalement vide. Je me retrouve seule au centre de la place, perdue dans un univers dont je ne contrôle rien.

Merde, j'ai besoin d'un café, trois même. Je quitte le parc et me dirige vers le café de Léon.

12h43 -

Je dépose ma main, doucement, sur mon estomac qui crie famine. Devant la devanture, je lis la carte du jour écrite à la main, affichée à l'extérieur sur un panneau en ardoise et mes yeux sautent sur un sandwich en particulier. J'entre, le bruit des voix et les rires des clients emplissent l'espace, tandis que l'odeur des gâteaux, de la nourriture et du café imprègnent l'air. C'est assez inhabituel de voir autant de monde ici. Le sourire de Léon s'élargit à chaque client qui approche du comptoir. J'ai hâte de voir comment sera sa rechute. Avoir atteint un but, un objectif, c'est frisant, mais le moment où le soufflée redescend, est électrisant, puissant et oppressant.

Occupé à nettoyer un verre et à servir les clients, il lève la tête lorsque je m'approche à mon tour.

— Ah... Salut Xiona. Son regard s'arrête sur ma joue, encore un peu rouge et il déglutit faisant bouger sa pomme d'Adam bien apparente. Tout va bien ?

Je lui réponds d'un simple pouce en l'air.

— Qu'est-ce que je te sers ?

— Un club-sandwich et un triple expresso.

Il pose la commande sur un plateau et me le tend, un large sourire étire son visage, mais il me semble que ses cernes sont bien plus prononcées que d'habitude, ce qui lui donne un air plus normal. Moins, prince charmant.

Je m'assois dans le fond de la salle, près de la fenêtre comme à mon habitude où une table reste disponible malgré le café bien rempli.

— Je me demande ce qu'il fait maintenant. Formulai-je à voix haute, sans m'en apercevoir.

— Qui ?

Je lève les yeux, et manque même de m'étouffer avec ma première bouchée de ce sandwich. Ian s'assoit juste en face de moi, posant ses petites fesses sur la chaise disponible. Il porte un costume gris foncé, une chemise blanche et des chaussures noires lustrées, un gobelet de transport d'où s'échappe de la fumée et une odeur de café. Mon regard reste un peu trop longtemps sur ses doigts qui entourent le gobelet, je n'avais jamais fait attention qu'il avait de si belles mains.

Je tourne la tête vers la fenêtre et plante mon regard vers l'extérieur, essayant de ne pas le regarder.

— Oh, allez quoi, tu ne me reconnais pas ?

— Je pense que je me souviendrais d'un type qui porte ce genre d'accoutrement carnavalesque en pleine journée. Ironisai-je sans le regarder.

— Je ne suis pas du genre à porter ce genre de vêtements, mais je vais le ferai plus souvent, vu le regard que tu as eu en me reluquant.

— Tu te fous de moi ? Maugréai-je, outrée.

— Pas du tout.

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Rien. Répond-il nonchalamment.

— Alors dégage, tu m'as suivie jusqu'ici ou quoi ? Le questionnai-je de nouveau.

— Bien sûr que non, c'est une coïncidence, je recherchais un endroit sympa où prendre un café pas loin d'où j'étais et j'ai trouvé ce lieu en tendance récente sur Instagram. Il me montre son téléphone où la page du café de Léon se trouve.

— Dans ce cas, arrête de me gonfler maintenant que tu as ton café et sors d'ici.

— Mais c'est amusant, chantonne-t-il en bougeant ses épaules.

— Ne joue pas au con avec moi.

— Je ne joue pas.

— Je vais te buter, je jure que je vais te buter. Grognai-je en serrant les poings, mes phalanges devenant un peu plus blanches à chaque seconde.

— Non, tu ne le feras pas.

— Comment tu peux en être aussi sûr ?

— T'en a pas le regard, Xiona.

Je ne sais plus quoi dire, il m'a eu. Alors j'attrape le morceau de salade qui dépasse de mon sandwich, tire dessus afin de sortir la feuille de laitue et la lui balance sur le visage. Je m'attends à ce qu'il s'énerve, mais son rire de velours me surprend. Ce type est vraiment taré.

— Pourquoi tant de haine contre moi, ma belle ? S'esclaffe-t-il en attrapant le morceau de salade collé sur sa joue.

— Putain, ne m'appelle pas comme ça. C'est dégoûtant. Soupirai-je en balançant mes longs cheveux derrière mon dos pour pouvoir enfin déguster correctement ce sandwich.

J'espérais pouvoir être tranquille, mais visiblement, il en avait décidé autrement aujourd'hui.

— Mais tu l'es, tu es belle.

Je rêve ou bien il essaie de me flatter, de flirter, de m'amadouer... Cela ne marche pas, non ça ne marche vraiment pas.

— Va te faire foutre.

— C'est vrai, je te dis. Se moque-t-il tel un enfant en maternelle, embêtant la fille qu'il aime secrètement.

— Et alors ?! Je ne suis pas intéressé. Aboyai-je sur la défensive.

— Tu mens. Me lance-t-il sur un ton amusé. Ton cœur bat plus vite qu'avant.

Je baisse les yeux et regarde ma poitrine qui se soulève rapidement. Je le fixe droit dans les yeux et souffle d'épuisement.

— Ça ne veut rien dire.

— Ça veut tout dire, chuchote-t-il en s'accoudant sur la table, son visage sur ses poings, le regard planté dans le mien.

— N'importe quoi.

— Tu te mens à toi-même voisine, c'est moche.

— Me mentir sur quoi putain ? Sifflai-je, les dents serrées.

— De vouloir apprendre à me connaître.

— Tu t'impliques trop. Mes sourcils se froncent à chaque fois qu'il ouvre la bouche.

— Je suis juste curieux.

— Curieux de quoi ?

— De tout.

— De tout ? Demandai-je, arquant un sourcil.

— Oui, tout. 

Sa voix est mielleuse et le temps d'un court, très court moment, mon coeur s'emballe.

— Tu n'as aucune idée de ce dans quoi tu t'embarques. Nous ne sommes pas amis, tu es juste un étranger qui vit dans le même immeuble que moi. Ça s'arrête là.

— Donc, tu veux qu'on devienne plus qu'ami.

Je m'étouffe avec ma gorgée de café, j'ai l'impression qu'à ses côtés, cela m'arrive souvent.

— Qu'est-ce que tu viens de dire ?

— Tu m'as entendu. Il me lance un clin d'oeil, qui me fait frissonner.

— Dégage ton putain de cul d'ici avant que je ne te jette mon café brûlant sur ta face de chien et que je te défigure.

— Allez, c'était une blague. Une blague ! 

Il lève les bras en l'air pour capituler. Un silence se pose délicatement entre nous.

Je baisse la tête, me prenant la tête dans les mains, la migraine tambourinant toujours dans mon crâne.

Il se lève et avant de sortir du café, il se penche vers moi. Mon corps se raidit, son souffle chaud, à l'odeur de café vient chatouiller mon oreille droite.

- Le gérant ne nous a pas lâché des yeux, il pense sûrement que je suis ton petit ami.

Je le repousse violemment, n'importe qui aurait trébucher et serait tombé à la renverse, mais pas lui, non, il se tient droit sur ses appuis.

—  Ce soir. 9 h 30. Dit-il avec un ton plein d'assurance.

—  Dans tes rêves. Marmonnai-je avant de prendre une bonne gorgée de café. Je mange sans aucune embûche supplémentaire. 

Je regarde les gens qui se pressent dehors et je tente de m'imaginer le malheur des uns et des autres.

Les heures défilent sans que je ne m'en rende compte et en quelques minutes, la queue au comptoir s'est évaporée, les tables sont nettoyées et Léon s'approche à ma table pour débarrasser mon plateau.

— Tu souhaites autre chose ? 

— Non, je vais y aller.

— Merci d'être venu avec ton...

Léon n'a pas le temps de finir sa phrase que je le coupe.

— Voisin ! C'est mon voisin. M'exclamai-je à la hâte, de peur qu'il insinue autre chose.

Je me lève subitement et pars en direction de la sortie. Il m'adresse un sourire frustré, bien différent de celui qu'il portait sur son visage lorsque je suis arrivé.

— Au revoir Xiona, reviens vite.

Milieu d'après-midi, les gens sont principalement au travail, ils ne vont pas tarder à finir leurs journées. Je marche, de longues heures à flâner dans les ruelles de la ville, mon esprit vide de toute pensée.  Arrivée dans le plein centre, je passe proche d'une vitrine où des costumes pour hommes sont mis en avant afin d'appâter tous les faux riches du quartier.

Ian portait ce genre de costume aujourd'hui. Je me mords l'intérieur de la lèvre, me remémorant sa carrure sous les couches de vêtements.

J'ai besoin d'un verre après tous les évènements saugrenus qui se sont déroulés. Monsieur le psycho ne sait pas dans quoi il s'embarque, mais très bien, 9 h 30, ce soir.

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