Chapitre 16

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"On croit que les rêves, c'est fait pour se réaliser. C'est ça, le problème des rêves : c'est que c'est fait pour être rêvé" - Coluche

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Une nouvelle soirée, une nouvelle occasion pour faire du mal à son petit cœur de mauviette.

9h15 -

Le ventre noué par l'appréhension de passer une soirée avec lui, un dernier regard dans le miroir, simple et sans apprêt, j'attrape un mascara presque sec et tente de l'appliquer sur mes cils avec difficulté. Je m'observe une dernière fois dans le miroir, mes cheveux sont lissés, je porte un t-shirt noir et un sweat à zip ouvert, un jean troué et des baskets blanches. Je n'ai pas vraiment fait d'effort et c'est parfait.

J'ai hâte de voir son visage, ses grands yeux se plisser légèrement, son cœur s'affoler, ses mains trembler et ses lèvres se retrousser dans une grimace lorsqu'il me verra sortir de la résidence, contre toute attente. Je suis sûre qu'il ne s'imagine pas vraiment me voir et pour tout vous dire, j'ai du mal à y croire aussi.

9h30 -

Le cœur battant la chamade, je quitte l'appartement, bien décidée à ne pas me laisser déstabiliser. Dans le parc glacial, le vent s'engouffre sous mes vêtements, accentuant la sensation de vulnérabilité. Le regard brûlant d'Ian me fixe dès mon arrivée, comme s'il s'attendait vraiment à me voir arriver au vu de son expression impassible.

Assis sur un banc, Ian m'offre un sourire énigmatique. Vêtu de sa tenue habituelle, une chemise noire et un pantalon chino, il observe mon sweat, puis dérive vers mes yeux. Je le scrute, cherchant à décrypter ses intentions. Déçue par son manque de réaction, je m'assois à ses côtés, un silence pesant s'installant entre nous.

— Bienvenue à notre petite soirée. Annonce-t-il d'une voix douce.

Prise d'un frisson à l'entente de ses mots, je me contracte et regarde loin devant moi.

— Tiens, prends ça, j'en ai acheté un deuxième pour toi. Dit-il en m'offrant un paquet de cigarette, le contact de ses doigts me fait sursauter. Je prends le paquet de ses mains moites.

— Alors... Commence-t-il tout en allumant une clope.

— Oui ?

— Quels sont tes rêves ?

Je le fixe comme s'il venait de m'avouer être extraterrestre. C'est quoi ce début de conversation, si c'est pour demander ce genre de choses, autant qu'il garde les lèvres fermées.

— Ne pas être ici, ça compte ?

— Non. Tu dois bien en avoir, je suis sûr que tu as envie d'aller aux confins du monde par exemple.

Je me lève soudainement et regarde ailleurs, l'angoisse serrant ma poitrine. Je suis sur le point de partir, faisant attention à ne pas attirer l'attention, j'ai une réputation d'associable à tenir dans cette résidence, voyez-vous.

— Pourquoi tu te lèves ?

Je souffle d'exaspération et je tourne la tête vers lui.

— J'ai l'impression de me faire piéger.

Il sourit, amusé, tel un chat ayant attrapé un mulot.

— Dans ce cas-là, laisse-moi te donner quelques précisions. Il est hors de question que je te fasse du mal, que tu le veuilles ou non d'ailleurs. Il est hors de question que je te manipule et surtout, il est hors de question que je te laisse t'enfermer chez toi, seule, à te morfondre.

Putain, ce type est coriace, mais il attise ma curiosité, on dirait qu'il me connaît déjà, moi et mon passé. J'hésite, il a l'air sincère, c'est le plus flippant... Je souffle et déballe l'emballage plastique du paquet et sort une cigarette que je mets entre mes lèvres.

Il approche sa main de mon visage et une flamme apparaît devant mes yeux, avant d'embraser le tabac. Je tire une grande bouffée et il recule le briquet avant de planter son regard dans le mien.

— Je t'écoute. Reprend-il

— De quoi ?

— Si tu veux parler des choses que tu aimerais faire ou voir, je t'écoute.

Je reste muette, incapable de livrer mes rêves brisés. Il m'encourage à m'ouvrir, mais je reste fermée comme une huître, collée sur mon rocher. J'esquisse un geste nerveux en passant la main dans mes cheveux.

— Il y a bien longtemps que je n'ai plus de rêve. Je chuchote ces quelques mots comme si le simple fait de le sortir à voix haute m'anéantissait.

Il doit sentir mon inconfort et avant que le silence ne s'installe de nouveau entre nous, il sort de son sac en cuir marron deux cannettes de bières, la même marque que celle qu'on avait bu ensemble dans l'ascenseur. J'en arrive même à me demander si il avait tant apprécier cette marque de bières ou si il se souvenait que j'aimais les bières ambrées.

— À tes futurs rêves, Xiona.

Il cogne sa canette contre la mienne, un écho sourd se fait entendre, une vibration se propage sur la surface du métal, quelques gouttes de bière ambrée s'échappent et glissent sur mon poignée. Je m'assois de nouveau.

— Tu n'as pas de rêves, mais si je te disais que je pense pouvoir te rendre ta joie de vivre, que je te donne la possibilité de tout recommencer. Qu'est-ce que tu dirais ?

Sa question est rhétorique, il sait très bien ce que je dirai.

— Je n'ai besoin de personne.

— Avoir envie et avoir besoin sont deux choses différentes, mais tu pourrais profiter d'un coup de pouce.

Il fouille dans son sac et en sort un carnet et un stylo.

— Écris tout ce qu'il te faut pour arriver là où tu veux, vois ça comme un exercice... Ou comme un défouloir.

Il me tend le carnet et je l'attrape d'une main ferme.

— Il ira droit à la poubelle. Lui répondis-je en contemplant le carnet et en le balançant devant ses yeux.

— Tu en fais ce que tu veux, il t'appartient maintenant. Au fait, pourquoi tu t'es décidé à venir ?Se réjouit-il en buvant plusieurs gorgées de sa bière.

Je réfléchis quelques longues secondes. Peut-être parce que je voulais comprendre ses motivations et aussi pouvoir avoir le contact du tatoueur. Je finis ma bière d'une traite sans répondre à sa question.

— J'imagine que ça doit être difficile, d'être toi. Renchérit-il en souriant.

Je tourne mon visage vers lui, surprise et troublée par ses mots.

— Comment ça ?

— La première fois que je t'ai vue, sur ton balcon en train de fumer, j'ai senti toute ton insécurité, toute ton envie de disparaître au même niveau que ton envie de vivre.

Je ne m'attendais pas à cela, au point que ma respiration s'arrêta à l'entente de ces mots, tandis qu'il reprit :

- J'ai senti une détresse tout autant qu'une force de résilience. J'ai vu une jeune femme, bouffée par la vie, se faisant passer pour une lionne agressive, dévorant tout sur son passage afin de combler un trou béant. Une femme, belle, indépendante et mystérieuse alors que tu essaie tant bien que mal de te mentir à toi-même sur le besoin viscéral d'affection. Je crois que c'est ce qui a fait tout ton charme à ce moment-là. Me confesse-t-il en posant sa bière sur le banc, se baissant en avant, entrelaçant ses doigts et les serrant jusqu'à ce que ses phalanges s'éclaircissent.

— Pourquoi tu me dis tout ça ? Glissai-je d'une voix basse, sans trop quoi savoir répondre à ce qu'il vient de m'avouer.

— Parce que tu me plais. Beaucoup même. Achève-t-il comme si c'était la chose la plus facile à avouer.

Ma gorge se contracte de nervosité, jamais quelqu'un ne m'avait dit de telles choses. Je comptais le décevoir avec ma personnalité, lui montrer toutes mes mauvaises facettes mais je comprends maintenant que ça ne fonctionnera pas sur lui, ce mec est définitivement un psychopathe pour que je lui plaise...

— J-Je dois y aller. Bégayai-je avant de finir ma bière cul-sec et de me lever rapidement, cherchant à fuir mes émotions.

Bégayer ? Putain à quoi je joue ! L'amour... Je ne sais même pas ce que c'est vraiment. Je m'étais promis de ne rien ressentir de telle, je ne sais pas ce que je ressens, mais le fait que mon cœur puisse s'emballer, que ma respiration puisse s'étouffer, que mon ventre puisse légèrement se tordre, oui, cela me fait peur.

Il s'empresse d'attraper mon poignet pour me retenir.

— Ne pars pas, s'il te plaît. Lâche-t-il en me regardant d'un air de chien battu. Tu as mangé ?

— Oui. Mentis-je afin qu'il me laisse tranquille.

— Je suis sûr que non, restaurant japonais, ça te dit ?

Merde... La bouffe asiatique est mon point faible. Mon ventre gargouille à ce moment précis et mentalement, je m'énerve contre mon estomac, sale traître.

— Hmm.

— Je connais un restaurant de qualité pas très loin, je t'invite. Fanfaronne-t-il en me lançant un clin d'œil.

Je réponds d'un hochement de tête et nous nous levons.

22h10 -

Le restaurant est assez petit, tout en longueur. Quelques tables hautes sont alignées contre le mur et Ian s'assoit sur un des tabourets, m'invitant à faire de même. L'endroit est rempli malgré l'heure tardive. La lumière tamisée de l'espace est agréable, mais l'odeur l'est encore plus. Un parfum alléchant de cuisine asiatique envahit mes narines, me mettant l'eau à la bouche.

Un serveur s'approche de nous et nous tend le menu. Sushis, yakitoris, onigiris, sashimis, gyozas, okonomiyakis, ramen, katsukaré, tonkatsu... Et bien d'autres plats appétissants qui me font littéralement baver. J'ai l'embarras du choix, tout a l'air si délicieux !

Il commande en premier, choisissant des yakitoris avec un bol de miso ramen épicé, supplément œuf et tofu sans oublier de prendre une bouteille de saké avec une grande bouteille de bière.

Je me laisse tenter par un bol de tonkatsu ramen. Célèbre pour son bouillon onctueux élaboré à partir d'os de porc cuits lentement pendant des heures, ce plat est agrémenté de tranches épaisses de porc, d'œufs marinés au soja, d'ail et de champignons shiitaké. Notre commande arrive très rapidement et l'odeur s'engouffre dans mes narines, me remplissant d'un bonheur éphémère.

— Bon appétit.

Dit-il avant d'engloutir une grosse bouchée de nouilles. J'entame également ma portion sans plus attendre et je dois dire que c'est aussi bon que beau, un vrai délice, il faudrait que je revienne ici avec Cassie. Nos regards se croisent et je m'efforce de lui envoyer un message muet qui puisse lui signifier que c'est excellent. Il sourit légèrement et hoche la tête pour me montrer qu'il a compris.

Profitant de cette pause gourmande, je décide de changer de sujet et pour une fois de lancer la conversation, à croire qu'effectivement bien manger, ça change une personne.

— Pourquoi tu portais un costume cet après-midi ? Hésitai-je à entamer la conversation, juste légèrement curieuse du pourquoi il se baladait dehors dans cet accoutrement digne d'un chef d'entreprise.

— J'avais un entretien pour un boulot.

— Quoi comme travail ?

— Un poste de psychologue, j'ai terminé mes études et je cherche un emploi.

Je m'escane avec ma gorgée de soupe et lui lance un regard surpris. Une pensée me parvient aussi, celle de me demander comment a-t-il autant d'argent pour pouvoir se payer le loyer d'un appartement dans cette résidence, alors qu'il sort juste des études. Attendez, wait.  Quel âge a-t-il ?

— Toi ? Psychologue ? Je suis prise d'un fou rire à m'en embuer les yeux.

Je prends conscience de mon rire alors que les mouvements brusques de la contraction de mon ventre tirent les points de suture et réveillent de nouveau la douleur de ma blessure.

Ian lâche ses baguettes, surpris, tout comme moi désormais, d'avoir pu laisser échapper une réaction aussi enfantine. Je ne rigole jamais, non, enfin cela m'arrive rarement avec Cassie, mais c'est tout ! Bordel, ce mec me fait un truc que j'ai du mal à contrôler... Je me racle la gorge, remettant immédiatement le masque que je porte depuis tant d'années.

Ian, la bouche entrouverte, me regarde intensément avec ses yeux pétillants, sans bouger d'un iota. Je me replonge dans mon bol de soupe.

— Refais ça !

Je lui tends mon majeur sans prendre la peine de lever les yeux de ma nourriture.

Ian pose son doigt sur mon menton et le soulève délicatement, forçant mon regard à se connecter avec le sien. Ses yeux, semblent sonder mon âme.

— Je sais que tu as peur, d'être heureuse Xiona. Murmure-t-il d'une voix douce et envoûtante. Je sais que tu te bats contre des démons intérieurs qui te rongent. Mais je suis là, et je ne te laisserai pas tomber. Laisse-moi t'aider à guérir, à retrouver la lumière que tu mérites, laisse moi une chance d'entendre encore ton rire.

Son toucher est doux et électrique, envoyant des frissons parcourir mon corps. Je me sens tiraillée entre la peur et l'incompréhension de mes propres émotions envers cet homme.

Ses paroles résonnent en moi, et pour la première fois depuis des années, un petit espoir naît au fin fond de mon cœur de pierre. Il change rapidement de sujet afin d'éviter que je ne m'échappe.

— Ma couleur préférée c'est le vert, et la tienne ?

— Le noir. Répondis-je sans avoir besoin d'un temps de réflexion.

— Oh, comme c'est bizarre, j'aurai parié sur le violet pastel ! Dit-il en se moquant. Sinon, plutôt chat ou chien ?

— Chat.

— Ça tombe bien, j'ai récupéré un chaton abandonné il y a deux jours sur la route, tu pourras passer le voir ! Ian jacasse, approchant son corps un peu plus près du mien, un grand sourire sur ses lèvres.

Je cligne rapidement des yeux, m'imaginant un instant Ian torse-nu, caressant un chaton, ce qui n'est pas déplaisant.

— Tu l'as ramassé sur la route, ça veut dire que tu as une voiture ? Pourquoi on a marché jusqu'ici !

— J'ai une moto, mais je me suis dit que tu ne souhaiterais pas être aussi proche de mon corps, à enlacer ma taille même si je l'avoue, j'aurais bien aimé te sentir blotti contre moi.

— Bonne réflexion, mais n'espère pas trop, je préfère encore marcher 100km. T'as quel âge d'ailleurs monsieur le psychopathe ?

— 26 ans, je suis plus vieux tu me dois le respect.

Le respect... Que je l'appelle Monsieur ? Même au lit je n'appellerai personne comme ça. Alors, lui, encore moins.

Nous finissons nos plats et nos verres quand soudain, un bruit sourd retentit derrière nous. Je me retourne et aperçois un homme grand et imposant, le visage caché dans l'ombre d'une capuche. Il s'approche de nous, un sourire cruel dessiné sur ses lèvres.

— Je t'ai enfin trouvée. Siffle-t-il d'une voix graveleuse. Tu vas payer pour ce que tu as fait.

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