Tablette Skyva
Un Heolkard s’écoula, le temps pour l’Heolar d’alterner nombre d'acec’hwelds et d'hweld’acecs, mais aucun signe des secours. Depuis l’accident, nous occupâmes nos acec'hweldros à chasser ou pêcher, à surveiller notre abri et surtout, à le maintenir des intempéries fréquentes.
À chaque nouveau lever de l’Heolar, la fatigue creusaient les traits de nos visages meurtris. La perspective d’apercevoir un drakma au large ou qu’un nijve ne surgissent des nuages s’éloignait au fur et à mesure que le temps filait. Parfois, les sanglots de Serath me réveillaient l’hweld’acec. Le sommeil m’échappait ensuite, laissant mon esprit se perdre dans un vain espoir de sauvetage.
Faire front commun contre cet inéluctable destiné nous rapprocha à en devenir amis. Comme son aspect physique en témoignait, Serath était sorisé, habitant d’une des plus petite cité du plus petit des continents d’Era, Isyliard. Contrairement à moi, un aliardié à la peau rosâtre de taille moyenne, les isyliardiés étaient de grands eraiés au teint mat.
Un acec’hweld, nous partîmes explorer l’île en quête de nourriture autre que ces infâmes baies du rivage. Arrivés au centre de la forêt, un curieux endroit attira notre attention. L’ensemble des arbres y étaient couchés, formant un immense tapis de bois et de feuillages. A équidistance de ses bords était creusé un trou, d’où s’échappait une odeur carbonisée.
Lentement, nous nous approchâmes et à mesure que le bord du précipice prenait forme, le souffre croissant de l’odeur me piqua les narines. Arrivés au-dessus de son fond, une petite pierre noire se distingua sous nos yeux.
Je restais un moment sans bouger, à fixer cette petite roche. Y était incrusté des éclats bleus luisant par battements réguliers. Soudain, cette cadence accéléra pour s’accorder à mon rythme cardiaque. Instinctivement, mes jambes reculèrent, tandis que Serath se penchait pour la prendre dans ses mains.
Il se tourna ensuite vers moi et la colla dans une des miennes sans que mon corps ne résistât. A son contact, une éblouissante lumière nous déchira les yeux.
Puis plus rien, les éclats ne luisaient plus.
« Que s’est-il est passé ?! demandai-je en recouvrant doucement la vue. Pourquoi l’as-tu prise ?!
— Je ne sais pas, répondit Serath en secouant la tête. Une voix m’a dit de le faire, de ne pas avoir peur.
— Tu te moques de moi?
— Il dit la vérité, chuchota un songe dans ma tête.
— Tu as entendu ? s’exclama Serath en enserrant son crâne dans ses mains. »
L’inconfortable frisson de la peur commença à m’assaillir. D’un coup, j’avais froid. Tentant de me reprendre, je cherchais quelque chose atour de nous en vain. Nous étions seuls. Mais d’où pouvait bien provenir cette voix ? me demandais-je en reculant.
« N’ayez crainte. reprit-elle.
— Tu entends ?
— On est en train d’halluciner? dis-je à Serath pour m’aider à reprendre mes esprits. C’est impossible sinon.
— Qui es-tu pour distinguer le possible de l’impossible ? »
Ça y est, notre santé mentale souffrait de l’isolement. Mais au fond de moi, sans qu’une explication rationnelle ne vienne étayer mon sentiment, j’étais persuadé de la réalité de cette expérience.
« Qui êtes-vous et que voulez-vous? demandai-je.
— Je n’ai pas de nom.
— Je commence à avoir peur, Ashron, bredouilla Serath en s’asseyant au sol. »
Le regard effrayé de mon ami souhaitait être rassuré. Mais en cet instant, je n’étais pas la bonne personne pour ça. J’ignorai alors son inquiétude et repris mon irréelle conversation.
« Tout le monde possède un nom. Ceux qui le cachent ne sont pas dignes de confiance, lui lançai-je avec un aplomb qui me surprit moi-même.
— Appelez-moi Skyva, puisque vous tenez tant à utiliser un nom.
— Ashron ? Que fais-tu?! coupa Serath qui s’était relevé.
— Je cherche à savoir à qui nous avons à faire, lui répondis-je sèchement. N’est-ce pas ce que tu voulais en prenant cette pierre ?
— Je ne voulais rien ! Je t’ai dit que mon corps avait bougé tout seul !
— Inutile de vous disputer. Je souhaitais simplement établir le contact, intervint Skyva.
— Dans quel but ? répondis-je intrigué.
— N’ayez crainte, je ne vous veux aucun mal. J’ai juste besoin de votre aide.
— C’est plutôt nous qui en aurions besoin.
— Je vous aiderai en retour et vous pourrez quitter cet endroit.
— Vraiment ? demanda Serath qui avait repris le fil de la conversation. Qu’est-ce qu’on doit faire ?
— Emmenez-moi au nijve. Il me faut finir ce que j’ai commencé, expliqua Skyva.
— Ce que vous avez commencé ? Avez-vous quelque chose à voir avec l’accident ? demandais-je avec suspicion.
— Ce n’est pas aussi simple »
La pierre toujours dans ma main, je serai les doigts comme pour tenter d’insuffler une douleur à la voix qui me parlait. L’espace d’un instant, la vengeance caressa mon être et je voulu la briser. Mais à quoi bon ? pensais-je en tournant les talons. Peut-être que cette voix allait pouvoir nous aider.
Sur la route du retour, beaucoup de questions s’entrechoquèrent dans ma tête. Rien de rationnel ne ressortait de notre discussion passée. Je voulais en savoir plus et interrogeai Skyva sur ce qu’elle était et son origine. En guise de réponse, elle me parla d’ArvIlIA En dEn, un plan d’existence différent du trErvIlIA En dEn, celui d’Era et des eraiés. S’en suivit une histoire incompréhensible d’équilibre entre Astralian et Abyssien, impossible dans cet ArvIllIa, mais constituant le trEvIllIA.
Ses ubuesques explications continuèrent sur l’Ichaosiem, la cause d’un grand malheur ayant frappé les siens mais je n’écoutais déjà plus. Mon esprit s’était fermé à ce laïus loufoque. Seul Serath continua la conversation avec une curiosité que je ne lui reconnaissais pas.
Le nijve en vue, je plaçais la pierre au plus proche des débris, conformément au désir de Skyva.
« Et maintenant? lui demandai-je
— J’ai besoin de temps.
— C’est tout ?
— C’est tout ».
Serath vint s’assoir à mes côtés sans mot dire. Seul le bruit des vagues vint perturber le silence macabre de l’endroit, en souvenir des eraiés ayant rendu leur dernier souffle. L’hweld’acec prit doucement l’ascendant sur l’acec'hweld, à mesure que l’Heolar se cachait derrière l’horizon, et je m’endormis épuisé par le déroulement de cette étrange acec'hweldro.
Une cité en ruine, des eraiés gisant dans un flot sanguin abondant, des flammes azurées s’échappant d’eux et absorbées par des êtres teintés d’un noir bleuté, peignaient le tableau s’illustrant à mes yeux. Je me tenais à côtés d’eux, la marche implacable, usant d’une gigantesque épée pour découper membres et têtes eraiéés.
L’instant d’après, Serath était là et me faisait face, le regard vide mais fou. Derrière moi se dressait une majestueuse bête faite d’écailles. Et en retrait de mon ami, sortait du sol putride une gigantesque créature dont la rance laideur ne pouvait être décrite. Au battement de cil suivant, nous croisâmes le fer.
Je me réveillai pendant l’hweld’acec et me redressai en sueur. Autour de moi se tenaient neuf eraiés me fixant avec un regard satisfait. Je n’étais plus sur cette île et Serath n’était plus là, tout comme cette mystérieuse pierre aux éphémères lueurs azurées. Mais étrangement je me sentais bien. Je ne voulais ni comprendre où j’étais, ni pourquoi. Je voulais profiter de ce moment car je me sentais différent, plus puissant.
Je n’avais plus peur.
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