Balancé par la houle, le drakma subissait un inlassable roulis qui sorti Vallia de son sommeil. Avec Ashron toujours inconscient, elle était restée cachée dans l’aerliestr. Elle s’écarta de lui pour poser son dos contre le dossier du siège, puis replia ses jambes sous son menton. Quelle pouvait être leur destination ? se demanda-t-elle sans avoir la réponse.

Elle verrait bien.

Le temps s’écoula lentement, avec comme seule occupation les remous de l’embarcation à supporter et l’espérance que personne ne viendrait fouiller à proximité des conteneurs.

Soudain, un bruit sourd lui fit relever la tête. Prudemment, Vallia s’approcha d’une fenêtre de l’aerliestr pour furtivement jeter quelques coups d’œil en dehors. Plusieurs eraiés apparaissaient puis disparaissaient derrière les conteneurs. Leurs gestes désordonnés trahissaient leur affolement. L’instant d’après, le roulis du drakma se transforma en puissant tangage, projetant Vallia contre la paroi de son véhicule.

Après s’être péniblement relevée, elle voulut redresser Ashron qui avait basculé mais un grand fracas la stoppa dans son mouvement. L’aerliestr fut ébranlé par la secousse, puis le roulis se stoppa net, faisant de nouveau trébucher Vallia et le corps inerte d’Ashron.

Laborieusement, l’eraiéé se redressa pour s’élancer sur la porte et l’ouvrir. Dehors, elle vit l’eau s’engouffrant dans la soute. L’intégrité de la coque du drakma n’était plus et rien n’arrêterait les flots qui s’y engouffraient.

Sans perdre de temps, Vallia retourna dans l’aerliestr pour mettre en route ses moteurs d’amatia. A travers la panique eraiéé, elle manœuvra l’engin pour le guider à une large passerelle menant aux étages supérieurs. Sans réfléchir, elle écrasa la manette d’amatia pour échapper aux flots montants, manquant de peu de renverser les eraiés croisés.

Au bout du chemin qui s’illuminait à mesure que l’aerliestr montait, Vallia vit le pont apparaitre. A travers la verrière, ses yeux détaillèrent avec stupeur la folie qui se jouait. Des centaines d’eraiés cherchaient un moyen de fuite, le pont penchant inexorablement vers la mer. Et au-devant gisait un autre drakma éventré par leur embarcation, sa coque subissant également les affres de la mer.

Mais les yeux de Vallia laissèrent ces détails pour se focaliser sur les drakos restants. Ils étaient tous pris d’assaut, imposant une décision radicale qu’elle se promit d’expier plus tard.

Sa cible repérée, Vallia y guida prestement l’aerliestr pour l’immobiliser devant plusieurs eraiés prêts à embarquer. Après être sortie du véhicule en trombe, sa main ferme tira en arrière l’un d’entre eux pour le projeter sur le côté.

« Je suis désolée ! lui lança-t-elle sincèrement.

— Il n’y a pas assez de place pour toi! lui rétorqua un eraié en tentant de la repousser. »

L’absence de pitié qu’elle s’était imposée surmonta ses blessures encore invalidantes et Vallia donna un violent coup de poing dans le ventre de l’eraié. Un autre tenta de l’attraper mais elle évita facilement son étreinte pour lui écrase le pied sur sa tête, le faisant passer par-dessus bord. Sans se préoccuper de ses victimes neutralisées, elle retourna chercher Ashron pour le hisser dans le drako avec sa lame. A bord, tout en regardant la panique submergeant le pont, elle coupa les cordes qui le retenaient pour le faire tomber à la mer.

Entrainé par la houle, le drako tangua si violement que les corps de Vallia et d’Ashron valdinguèrent contre ses bords. A plusieurs reprises, les vagues faillirent engloutir la frêle embarcation pendant que l’écume éclaboussait leur corps meurtris par les chocs. Entre deux roulades douloureuses, le regard de Vallia se fixa sur une poignée portant l’inscription « Insubmersible ».

Instinctivement, elle tira dessus.

Dans un ballet de cliquetis mécaniques, une capote se déplia rapidement au-dessus d’elle et ferma entièrement le drako. Plus aucun rayon de l’Heolar ne pouvait les atteindre, ils étaient tous deux protégés de la mer qui se déchainait au dehors.

Vallia reprit Ashron dans ses bras mouillés et attendit.

Durant une acec’hweldro entière, la mer enragée déchaina sur le drako sa puissance. Elle semblait vouloir avaler l’embarcation coûte que coûte, en vain. Au bout d’un laps de temps que Vallia ne put quantifier, et de plusieurs nausées, les ballotements se calmèrent. Puis le drako s’immobilisa doucement, comme si la mer avait décidé d’abandonner sa proie.

Vallia replia la capote.

Au dernier son d’engrenage mécanique, doucement, elle leva la tête pour voir la terre s’éteindre devant elle. L’Heolar n’étant plus, elle balaya le paysage du regard pour remarquer qu’il se trouvait sur une plage de sable fin. Mais où étaient-ils ? se demanda son esprit embrumé.

L’eraiéé sortit Ashron du drako et les approcha tous deux du bord de la plage, marquant la limite avec une forêt. Doucement, l’Heolar frappa de ses rayons irradiants les iris fatiguée de Vallia. Elle en profita pour admirer un instant la mer redevenue calme. A sa surface paisible se formait une étendue totalement plane et l’astre de l’acec’hweld s’y reflétait en une multitude de couleurs.

Doucement, Vallia commença à vérifier les battements de cœur d’Ashron. Presque imperceptibles, les faibles pulsations la paniquèrent et lui firent lancer sa hahud de soin avec le peu de Via lui restant. Ce dernier acte, signe du désespoir qui l’envahissait, eut raison d’elle et son esprit sombra dans l’inconscience.

Arrivé à la moitié de son chemin, l’Heolar chauffait le visage d’Ashron qui en fut réveillé. Péniblement, sa tête se tourna pour voir Vallia, allongée à ses côtés. Saisis par la peur, il surpassa les douleurs de son corps pour se relever et s’assurer qu’elle n’était qu’évanouie.

Rassuré, Ashron scruta les alentours. Que faisait-il ici ? se demanda-t-il en tentant de retrouver se souvenirs. Soudain, un flash lui brula l’esprit. Les réminiscences affluaient au point de surcharger ses pensées, jusqu’à revoir la mort de Mayelle tuée par Serath.

Tuée par sa faute.

Qu’était-il arrivé aux autres ? se demanda-t-il en remarquant l’absence de Guidomex, Haria et Sirux. A leurs recherches, ses yeux balayèrent de nouveau la plage de sable fin bordant une mer bleue azurée. Ses iris reconnurent cette étendue sur laquelle lui et Serath vécurent durant plusieurs heolkard après le crash de leur nijve. Par un hasard frisant l’ironie, ils avaient tous deux échoués sur l’île d’Ishria.

Tentant de se relever, Ashron effleura le manche de Ragnarok étendue à ses côtés.

« Sauvé… Vallia… fit la voix dans la tête d’Ashron.

— Quoi ? demanda Ashron à l’objet inerte, que s’est-il passé ?

— Elle… t’a… sauvé. »

Pour la première fois, une phrase fut prononcée par sa grande lame. Déconcerté, Ashron tourna son regard sur le visage opalin de Vallia.

Elle l’avait sauvé.

Après avoir rengainé Ragnarok, Ashron prit l’eraiéé dans ses bras et marcha longuement vers son ancien abri. Puis il arriva à l’endroit qui les avait accueillis, lui et Serath, deux heoles auparavant. Devant lui se dressait leur habitation de fortune, laissé comme dans ses souvenirs. Il y avait les restes de l’épave presque entièrement ensevelis par le sable, les lits confectionnés à la main et tout ce qu’ils avaient construit pour survivre, vieillis par le temps.

Ashron installa délicatement Vallia dans son ancien lit et s’assit à côté d’elle. Il passa un moment à la regarder, cherchant comment il pourrait la remercier à son réveil.

Puis il s’en alla se reposer sur le lit de Serath.