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Le rendez-vous est à l’aéroport, près du marchand de journaux. Il attend à peine et se doute qu’il doit être épié.
— Sept ?
Il hoche la tête et suit l’homme sans un mot. Ils descendent par un escalier discret et se trouvent au niveau de la piste. L’homme tend le bras vers un avion qui se distingue au loin puis s’en va. Gaspard n’a plus qu’à franchir cette distance dans la semi-obscurité et le bruit terrifiant d’un avion qui décolle. Il n’en a jamais vu de si près.
L’engin qui attend sur un coin isolé du tarmac ne lui inspire pas confiance, faisant un raffut d’enfer et vibrant de toutes ses membrures. Des personnes sont attroupées en bas de l’escalier qui entre dans l’arrière de l’appareil. À les entendre parler, il devine du russe, et suppose donc que ce sont des conseillers militaires et civils, accompagnés, rarement, de leur famille. Certains ont le visage grave et tourmenté, comme s’ils allaient à l’abattoir. Sur le côté, trois hommes à l’air gauche attendent. Gaspard se rapproche et hoche la tête d’un petit bonjour.
— Gaspard, enfin !
C’est bien sûr Gaston, qui se croit obligé de faire le mariole. Un homme s’approche et leur fait signe de monter. Ils se répartissent sur les quatre sièges du fond. L’inconnu à côté de lui semble nerveux. Il retire enfin les immenses lunettes de soleil qui lui cachaient le haut du visage. Gaspard regarde avec étonnement l’intérieur de l’avion, donnant une impression mitigée de modernité et de délabrement.
Un haut-parleur crachouille des informations incompréhensibles, tandis que le bruit des moteurs s’amplifie. L’appareil se met à bouger. Gaspard, malgré son anxiété, est curieux de son premier vol, même s’il se demande si ce n’est pas l’heure de son dernier jour. L’appareil s’arrête, mais les moteurs montent en régime dans un bruit d’enfer. Tout tremble, les tablettes et portes s’ouvrent et battent. Les freins sont lâchés et Gaspard, collé à son siège, est emporté vers son destin.
Son camarade, blanc comme un linge, lui saisit le bras et le lui broie de son angoisse. Tout est possible maintenant, y compris le pire, quand soudain, Gaspard a la sensation de tomber dans un trou, alors que les vibrations diminuent. Dans un hurlement, l’avion vient de quitter le sol.
Gaspard tente de se défaire de l’étau qui lui serre le bras, alors que d’épais nuages de fumée de cigarette les enveloppent. Son compagnon se laisse faire, anéanti par son angoisse. Gaspard tente de le dérider en se présentant.
— Moi, c’est Gaspard ! Et toi ?
L’autre met longtemps avant de répondre.
— Pas de nom ! Tu le sais bien. Moi, c’est Quatre. Et toi ?
— Sept.
— Alors, ton copain c’est Six, et l’autre, c’est Cinq !
Cinq ne supporte pas plus l’avion que Quatre, car il vient d’asperger le dossier du siège devant lui de tout son estomac. Aussitôt, Gaston l’imite et bien sûr Quatre enchaine. Gaspard peine à se retenir et, par solidarité, accompagne ses compagnons.
Les bruits se font se retourner les Slaves et déclenchent l’arrivée d’une forte femme, engoncée dans un uniforme étroit qui lui boudine les formes. Elle éructe son mécontentement, en leur donnant un seau et une serpillière. Chacun tente d’effacer sa peinture.
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