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Heureusement qu’il a avalé tous ces livres d’aventures. Dans un pays étranger, c’est toujours par l’ambassade que tout passe, car elles sont de véritables nids d’espions : c’est à celle de son pays qu’il doit rendre compte.
Celle-ci ne se distingue pas des autres immeubles, à part un drapeau tout neuf, comme leur nation, qui pendouille faute de vent. Une simple plaquette en plastic indique l’ambassade, le consulat et le service de l’émigration. Gaspard est à la fois déçu du manque d’apparat et fier de voir qu’aucune dépense inutile n’est faite au détriment de leur jeune nation. La queue sur le trottoir aurait pu attirer son attention, mais il était arrivé de l’autre côté. Il se fait immédiatement repousser à l’entrée :
— Il faut faire la queue, comme tout le monde !
— Pourquoi ?
— Pour avoir vos papiers, pardi !
— Mais je vais à l’ambassade…
— Ah, très bien. La porte au fond, à gauche.
Après avoir frappé et inutilement attendu, il pousse la porte et a un haut-le-cœur. Il trouve le même bureau et le même garde qu’au siège du SOS. Enfin presque, car le garde n’est pas en uniforme puisque c’est une femme.
— Bonjour, je voudrais voir quelqu’un de l’ambassade…
— Bonjour monsieur. Qui voulez-vous voir ?
— La personne chargée… euh… des affaires… euh… spéciales…
— Spéciales en quoi ?
— Spéciales, quoi.
— Attendez ! J’appelle mon chef.
Elle consulte son carnet, trouve la bonne page, choisit un des deux numéros à deux chiffres, se trompe, recommence au début. Le chef doit être très occupé, car le téléphone sonne longtemps. Pendant ce temps, Gaspard contemple cette citoyenne qui est en train d’apprendre, à l’image de son pays qui commence à se prendre en main. Il pense qu’il faudrait une université spéciale pour former les personnels qui accueillent des visiteurs, à moins qu’elle n’existe déjà, puisqu’elle a le même cahier que le garde du SOS.
Le chef arrive, ne comprend pas plus, ce qui nécessite le niveau supérieur, qui semble également très affairé à ne rien faire. C’est un homme d’expérience et de décision, car il oriente Gaspard vers un bureau du premier étage sur la porte duquel une demi-feuille punaisée porte, écrit à la main : SOS. Il tique, car c’est du papier blanc, pousse la porte et se trouve devant un homme élégamment vêtu dont le visage est masqué par des énormes lunettes de soleil, identiques à celles de ses camarades de formation. Avant qu’il ouvre la bouche, retentit :
— Sept ! Quelle bonne surprise !
D’un geste travaillé, l’individu retire ses lunettes, avec une bascule théâtrale de la tête.
— Quatre ! Ça alors !
— Tu vois, j’ai déjà pris du galon : je suis responsable de la section France !
— Nous sommes nombreux ?
— Secret défense ! Si tu le sais et que tu es interrogé par nos ennemis, ils sauront tout !
— Oui, je comprends.
— Mais tu es un ami, nous avons vécu des aventures incroyables ensemble, dans ce magnifique et accueillant pays.
Gaspard discerne mal ce à quoi il fait allusion, car hormis les voyages arrosés, ils n’avaient guère parlé pendant ces trois mois. Du reste, il n’avait parlé à personne, se contentant d’entendre les discours de Gaston sans les écouter.
— Comme tu es mon frère, je peux bien te le dire. Nous débutons, pour tout, tu le sais. Pour l’instant, il y a une seule mission, avec deux agents de premier plan.
Son clin d’œil souligne son trait d’esprit.
— À propos, tu as des nouvelles de Six ?
— Gaston ?
— Pas de nom ! Même ici. Nous sommes en terre étrangère ! Il peut y avoir des micros.
— Euh, non ! Nous avons été séparés à notre arrivée, sans avoir le temps de réfléchir au moyen de nous retrouver.
— Dommage. Trois mois sans nouvelles. J’espère qu’il n’est pas tombé dans des mains ennemies…
— Les Français ?
— Mais non ! Pour eux, nous sommes des enfants !
— Qui alors ?
— Les autres ! TOUS les autres !
L’emphase fait frémir Gaspard.
— Explique…
— Approche…
Ce qu’il lui susurre à l’oreille laisse Gaspard pantois.
Durant la dernière guerre mondiale, les Alliés étaient ensemble, même si les Soviétiques étaient des ennemis, mais pas encore. Les Américains et les Anglais travaillaient ensemble, même s’ils se méfiaient des Français et de tous les autres. Les Allemands, qui étaient l’ennemi, sont devenus des amis.
Gaspard a du mal à suivre. Effectivement, à un tel niveau de complexité, il faut des hommes très intelligents pour comprendre qui sont les amis et qui sont les ennemis. Leur jeune pays n’est-il pas en lutte avec des pays frères pour des questions de frontières dans le sable ?
Puis Quatre, qui semble heureux d’avoir de la visite et une occasion de parler, lui explique le contexte de leur mission. Gaspard pense que c’est un peu tard et que Un aurait pu le leur dire. Se méfiait-il ? De quoi ? Finalement, leur mission ressemble beaucoup à celles dont il a lu le récit dans les romans : on ne comprend pas tout et ce n’est qu’à la fin qu’on pense avoir compris.
Quatre explique que les Français connaissaient depuis longtemps cette légende du Djerbre. C’est Jacob, sous son nom de guerre de Dubois, qui a mené ces recherches secrètes.
— Quel nom de guerre ?
— Jacob était juif et résistant. Pour lutter, comme tous les autres, il a pris un faux nom, Dubois.
— Mais alors, c’est le même ?
— Oui ! Avant, il se faisait appeler Jacob et depuis, il se fait appeler Dubois. Ce n’est pas plus difficile que ça !
Gaspard admet qu’il y a des choses qui lui resteront hermétiques à jamais.
— Et donc, pendant la lutte…
— La dernière guerre mondiale ?
— Mais non, notre lutte pour l’indépendance ! Donc, Jacob-Dubois a monté une mission pour chercher de quoi il s’agissait. Ils ont fini par trouver, car ils sont partis un beau jour, apparemment contents d’eux. On ne sait pas ce qu’ils ont trouvé et ce qu’ils ont emporté. D’où votre première mission et maintenant celle-ci.
— Mais de quoi s’agit-il ?
— Les jeunes gens qui en ressortent semblent doués de pouvoirs spéciaux et cela intéresse les militaires. Je n’en sais pas plus. Leur laboratoire est à l’Institut Pasteur, mais il est super bien gardé.
Gaspard est effondré. Ce qu’il venait apporter comme information était déjà connu et on ne le leur avait pas dit. Il conclut par :
— Je sais !
En même temps se bouscule dans sa tête l’utilité de Quatre. Cela ferait trois semaines qu’il est là, à attendre !
— Tu as d’autres missions à suivre ? Ça fait longtemps que tu es à Paris ?
— Dis donc, tu en poses beaucoup des questions ! Je me demande si tu n’es pas devenu agent double, à la solde des Français ! En trois mois, ils ont eu le temps de te retourner !
Gaspard rougit.
— Pas du tout ! C’est juste pour parler ! Mais bon, je ne pose plus de question. Qu’est-ce que je fais, maintenant ?
— Eh ben, tu continues ! Je suis là pour tes questions.
Gaspard sent qu’il n’obtiendra pas plus.
— Ah, tu n’oublies pas de venir faire un rapport.
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