23
Gaspard parvient à se défaire, sans trop toucher sa peau soyeuse.
— Bon, si tout va bien, je vais te laisser.
— Non, s’il te plait, detka lyubov, reste un moment…
— Je…
— Tu veux un thé, comme hier ?
— Madame…
— Barbara !
— Madame Barbara, que s’est-il passé hier soir et cette nuit ?
— Mais rien, detka ! Tu as bu ton thé, tu t’es senti fatigué, je t’ai aidé à te mettre sur le lit et tu t’es endormi aussitôt !
— Mais ce matin, j’étais…
— Ah, oui ! Je t’ai déshabillé pour que tu dormes à l’aise. Tu sais que tu es bel homme, moya lyubov…
Gaspard sent qu’il n’obtiendra pas plus. Le garçon arrive avec le thé et une nouvelle bouteille.
— Tu ne veux pas gouter ?
— C’est de l’alcool et ma religion me l’interdit.
— Tant pis pour toi ! parle-moi de toi…
— Que veux-tu savoir ?
— Qui tu es, d’où tu viens, ce que tu fais…
Gaspard en dit le moins possible, car il n’aime pas parler de lui.
— Et ton travail ?
— Je fais le ménage…
— Mais c’est passionnant ! Comment fais-tu ?
Gaspard, un peu désarçonné, répond.
— Mais où travailles-tu ?
— Dans des bureaux, enfin presque, dans des laboratoires.
— Mais c’est passionnant ! Ils font de la recherche ? Sur quoi ?
— Sur des maladies…
— C’est tout ? Lesquelles ?
Gaspard s’embrouille et finit par lâcher le mot « venin ».
— Mais c’est passionnant ! Il vient de quelles bêtes ?
— Oh, de plein de vilains animaux, des araignées…
— J’adore les araignées, dit-elle avec une moue de dégout.
— Des serpents, des scorpions, des fourmis…
— Oh, j’adore ! J’ai toujours rêvé d’avoir une de ces bêtes chez moi !
Gaspard l’attendait ! Elle va lui demander de lui en rapporter une !
— Pour quoi faire ?
— Pour les regarder et savoir qu’elles sont mortelles !
— Mais elles ne le sont pas toutes…
— Raconte, lyubov !
Gaspard dit le peu qu’il sait.
— Tu sais, c’est très protégé et dangereux. Je ne peux pas prendre et rapporter une de ces bêtes.
— Oh ! Pour moi, detka…
— Si je pouvais, tu voudrais quoi ?
— Je ne sais pas… une de celle sur lesquelles travaillent tes chercheurs…
— Je vais réfléchir ! Bon, je vais y aller !
— Attends encore un peu ! Tiens, après ta journée, tu ne sens pas bon ! Tu ne veux pas en profiter pour prendre un bain ?
La proposition est si inattendue que Gaspard ne répond pas. Barbara le pousse dans la salle de bain et s’esquive. Il est fatigué et cette proposition est bien tentante, d’autant qu’il n’a jamais pris de bain dans une baignoire. Il arrive à fermer la bonde et à faire couler l’eau. Il se glisse dedans et commence à se détendre. Quand il ferme les robinets, il entend Barbara parler au téléphone. La conversation à l’air sérieuse. Avec un sourire, Gaspard se dit qu’elle doit appeler ses « parents ». L’arrêt de l’eau entraine la fin de la conversation et le surgissement de Barbara.
— Mon chéri, je vais te savonner !
Malgré son refus, la jeune femme se met à le savonner doucement, le manipulant avec douceur. Gaspard n’est pas de bois, même si une certaine partie de son corps en acquiert la dureté. Il n’ose se débattre, alors qu’elle insiste particulièrement sur la partie la plus sensible. Elle l’essuie doucement, toujours en prenant grand soin de ce qu’il ne peut cacher.
— Que tu es mignon et bien fait !
Gaspard se rebiffe.
— Ma religion interdit la fornication ! C’est pêché !
— Pas d’alcool, pas d’amour… mon pauvre lyubov.
— Mais je vais me marier… dès que je rentre, je me marie. J’aurais des enfants…
— Et avec moi, tu ne voudrais pas avoir d’enfants ?
La tension, déjà extrême en lui, est sur le point de déborder.
— Mais je ne connais même pas tes parents ! Nous ne sommes même pas fiancés…
— On peut se fiancer maintenant…
— Je dois y aller ! Des amis m’attendent.
Gaspard se rhabille rapidement et avec difficulté, n’arrivant pas maitriser cette forme dure, avant de s’enfuir l’esprit embrouillé. Est-elle sincère quand elle dit vouloir être la mère de ses enfants et son épouse, ou alors n’est-elle qu’une sale espionne au service des méchants communistes ? Peu importe ! Il est prêt à passer à l’action et à achever sa mission. Il se promet de venir lui dire au revoir, en lui apportant un petit cadeau. Après tout, il a déjà promis d’en donner aux Américains et aux Britanniques, pourquoi pas aux Russes ? Il sait déjà ce qu’il va faire.
Il rentre à son foyer, l’esprit encore embrouillé des lavages intimes. Il a bien fait de partir, et fier d’avoir résisté à la tentation, même si, maintenant, il a des doutes sur la justification profonde de telles règles, tiraillé qu’il est par ces forces contraires.
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