Chapitre 1-3
La nouvelle pièce se composait d'une table de massage et d'une petite console en bois clair sur laquelle se trouvait une mallette. Derrière la porte, un paravent où il la convia à se mettre en sous-vêtements.
« Allongez-vous sur le dos. Je vais commencer par des pressions le long de vos méridiens, ce n'est pas très agréable mais tout à fait supportable. Décontractez-vous, fermez les yeux et comptez vos respirations. Vous ne sentirez rien quand je planterai les aiguilles. Ensuite, je vous laisserai dix minutes, le temps de mettre votre pochette en sécurité. »
Il se tut et appuya à plusieurs endroits sur les jambes de Lili, son ventre, sa tête, puis lui demanda de se positionner sur le côté gauche et poursuivit. C'était étrange ces palpations. Elle connaissait l'acupuncture, du moins en théorie, mais n'avait jamais eu l'occasion de tester cette médecine et ne croyait guère en son efficacité. Elle s'efforça malgré tout de respirer paisiblement.
« Je reviens tout de suite, annonça-t-il subitement.
— Vous ne me piquez pas ?
— Si, je vous ai posé cinq aiguilles. Restez allongée, tout va bien. »
Il couvrit son corps d'une grande serviette et sortit de la pièce. Lili n'osait plus bouger, n'ayant rien senti, elle ne savait pas où se trouvaient les aiguilles. Elle ferma à nouveau les yeux.
À son retour, elle était au bord de la somnolence.
« Je vais vous enlever tout ça. Vous vous rhabillerez et je vous masserai les pieds afin de vous recharger en énergie.
— Un massage des pieds ? Je suis extrêmement chatouilleuse, je crains que cela ne soit pas possible », protesta-t-elle en enfilant rapidement sa jupe et son tee-shirt.
Lili détestait qu'on lui touche les pieds, cela lui déclenchait des crampes, rien que l'idée l'insupportait.
« Revenez, allongez-vous, s'il vous plaît », la pria-t-il avec bienveillance.
Alors, elle obéit. Il avait enduit ses mains d'un corps gras et les fit glisser le long de son pied gauche qu'il maintenait fermement. À son grand étonnement, elle éprouva une sensation très relaxante. Il regardait consciencieusement ce qu'il faisait. Lorsqu'il s'occupa de son pied droit, elle était totalement conquise et se permit de le lui signaler.
« Un massage des pieds équivaut à un massage intégral. Nous ne leur accordons jamais assez d'attention, pourtant ils nous supportent toute la journée, plaisanta-t-il. Vous devriez bien dormir cette nuit et retrouver un peu d'entrain dans les jours qui viennent. Cependant, il faudra suivre les indications du CD et pratiquer ce dont nous avons convenu.
— Je repars dans cinq jours. Est-ce que nous devons reprendre rendez-vous ?
— Non, cinq jours entre deux séances d'acupuncture, c'est bien trop court. Cela ne servirait à rien. Où habitez-vous ?
— En Auvergne.
— Vous êtes venue ici uniquement pour moi ?
— En quelque sorte. Vous êtes mon dernier espoir, avoua-t-elle.
— J'espère ne pas vous décevoir. Comme je vous l'ai dit, je ne fais pas de miracle. Je ne sais même rien guérir, j'aide le corps de mes patients à retrouver sa capacité à s'autoguérir, c'est tout. Le plus gros du travail ce sera à vous de le réaliser. »
Il lâcha doucement son pied et lui tendit un mouchoir en papier pour qu'elle ôte l'huile avant d'enfiler ses sandales. De son côté, il s'essuya les mains sans la regarder et demanda :
« Quelle activité exercez-vous ?
— Aucune. Je suis au chômage.
— Ce n'est pas facile...
— Oh si, c'est très facile ! l'interrompit-elle. Enfin, ça l'était quand j'allais bien... Je suis artiste. L'art ne rapporte pas d'argent, alors je considère l'État comme mon mécène, pas très généreux, mais ça me convient parfaitement. C'est que l'art n'a rien à voir avec l'esthétique ou la décoration. Il doit véhiculer des idées via des émotions. Ce n'est pas quelque chose qui se vend, ça se donne à regarder, à lire ou à entendre, plaida-t-elle.
— C'est une manière de voir les choses.
— J'ai de quoi vous payer, ne vous inquiétez pas, le rassura-t-elle.
— Je ne m'inquiète pas. D'ailleurs, la première séance est gratuite, annonça-t-il désinvolte.
— Ah bon ?
— Comme ça, si vous n'en tirez pas le bénéfice escompté, j'évite la mauvaise publicité.
— C'est pas courant. Merci beaucoup, Docteur.
— Je vous appelle Lili, appelez-moi donc Jean. Laissez tomber le docteur, je n'ai pas ce genre de diplôme en magasin. »
Il lui donna un CD en la fixant droit dans les yeux.
« Ne prenez pas ces exercices à la légère, faites-les tous les jours.
— Soyez certain que je vais essayer. Je veux retrouver mes forces. »
Lili souriait. Les aiguilles avaient produit leur effet.
« Vous ne semblez pas très au fait de ce qu'est la médecine traditionnelle chinoise ? l'interrogea-t-il.
— Non, du tout.
— Je vais vous offrir les DVD de mon stage sur la gestion du stress et des émotions. Regardez-les, vous aurez une idée plus précise de cette passionnante culture.
— C'est très gentil. Je vous les ramènerai la prochaine fois.
— Ce n'est pas la peine, je vous les donne, ça me fait plaisir. À présent, je vais vous dire au revoir. Mon prochain rendez-vous ne va pas tarder et j'ai pour habitude d'effectuer une séance de relaxation entre deux patients. »
Il entra dans son bureau et en ressortit pour remettre à Lili un coffret de sept DVD.
« Merci pour tout, Jean, et à bientôt.
— Prenez soin de vous, Lili. »
La porte du petit appartement se referma. D'un pas lent mais plus assuré, Lili se dirigea vers la terrasse du bistrot où l'attendait son amie. Zalia n'était pas une copine ordinaire, c'était sa grande sœur de cœur et d'âme. Sans elle, elle n'aurait jamais eu le courage d'entreprendre cette expédition. Au bord du malaise dès qu'elle se trouvait seule dans la rue, encerclée par ses contemporains, elle n'osait plus s'éloigner de son antre. Et ce que lui murmurait la voix n'arrangeait rien.
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