Chapitre 11 - Manteau Blanc
Prologue - Trêve Hivernale
Ulrik relisait la lettre, perplexe. Il pensait avoir l’habitude des décisions stupides prises par la Dod Varmt depuis le début de la guerre, mais celle-là dépassait toutes les autres. La nouvelle avait plongé la moitié des Ensatte dans la plus grande confusion.
Leif se frottait l’arcade sourcilière à l’endroit ou une nouvelle ride avait poussé au cours des derniers mois. Ulrik le connaissait depuis plus de quinze ans et il devait admettre que le titre d’Ansatt lui allait bien. Seulement, toutes ses nouvelles responsabilités l’avaient vieilli, l’homme paraissait dix années de plus que son âge. La guerre se passait bien mais réunir et diriger des clans qui se tapaient dessus depuis mille ans n’était pas mince affaire. D’un ton las, il prit la parole.
« À ce stade, je n’arrive pas à savoir s’ils se fichent de nous ou bien s’ils sont, réellement, autant en dehors des réalités… Ces salauds ne se sont même pas posé la question de savoir si j’étais déjà marié ou non ! »
Quelques éclats de rires incrédules se firent entendre. Ulrik parcourut des yeux la lettre une dernière fois avant de la transmettre au guerrier sur sa droite. En prenant en compte les coutumes étranges de l’Empire, la proposition de mariage n’avait rien de déplacé. Seulement c’était une preuve de plus que la Dod Varmt se fichait bien de la culture de ses ennemis. Au Konungalands, la paix n’était jamais obtenue par le mariage. Ce ne serait rien d’autre qu’une prise d’otage d’un des deux époux. Inacceptable pour qui estime les vœux d’union comme sacrés.
« D’un autre côté, dit un Ansatt qu’Ulrik ne connaissait pas. Ça réglerait le problème de la trêve hivernale. »
Le silence s’installa dans la salle.
Dans un mois et demi seulement, le temps ne permettra plus aux hommes du Konungalands de se déplacer. Les cercles de pierres allaient givrer, rendant les voyages longues distances impossibles, et de violentes tempêtes de neiges allaient recouvrir le territoire, faisant tomber la température assez basse pour faire geler la peau à même les os. Tout ça sans parler des steinrisi. Les géants de pierre profitaient de la nuit sans fin pour migrer d’une montagne à l’autre, en recherche d’un nouveau territoire de chasse. Pouvant à peine sortir de chez eux, il sera quasi impossible pour son peuple de défendre le territoire durement gagné durant la guerre car ils seront dans l’incapacité de les atteindre en cas d’attaque. Les hommes restant sur place étaient suffisants pour garder un certain contrôle sur leurs nouvelles terres mais pas pour les défendre.
Accepter le traiter de paix par mariage était une solution mais ça n’aiderait pas leur image auprès des autres nations lorsque qu’ils devront reprendre les combats au printemps. Personne ne voyait d’un bon œil un peuple n’ayant aucune parole. Or le but entier de cette guerre était bel et bien d’établir des relations commerciales avec le reste du monde. Visiblement Leif en était venu aux mêmes conclusions quand il reprit la parole.
« Nous ne serons pas plus avancés si les Îles Australes refusent de commercer avec nous à cause d’un traiter de paix brisé.
- Mais nous n’aurons jamais aucun commerce tant que la Dod Varmt se tiendra entre nous et eux, répondit un autre. Faisons ce qui doit être fait pour atteindre l’autre côté du continent et il sera toujours temps de réparer les dommages causés par après. Marions la fille et le reste se fera tout seul.
- Ça ne règle pas la question du consentement. Depuis quand vendons-nous l’amour pour gagner la paix ? Tomberons-nous aussi bas qu’eux ? »
La discorde se répandît dans la salle alors que chacun tentait de faire entendre son point de vue. Le sujet était délicat, comment tirer parti de la situation sans perdre la confiance des familles marchandes. Leur image d’envahisseurs barbares était déjà largement répandue et les émissaires qu’ils avaient réussis à envoyer tant bien que mal au Conglomérat marchand peinaient à redorer leur blason. La lettre retomba entre les mains d’Ulrik qui l’examina à nouveau.
« À quel point la traduction est-elle exacte ? »
Immédiatement, le silence revint dans la salle. Il n’avait pas élevé la voix mais sa présence avait cet effet-là. Il était l’Ansatt des chamans depuis sa dixième année et son lien avec les esprits gardiens ne faisait aucun doute, il avait passé sa vie à commander aux vivants comme aux morts. À sa voix grave et profonde s’ajoutait l’autorité naturelle qui se dégageait de lui. Leif leva un sourcil, surpris, avant de répondre.
« C’est Einar qui l’a reçu, la traduction est parfaite. »
Le silence se maintint alors qu’Ulrik réfléchissait à toute allure. Comme toujours avec la Dod Varmt, cette lettre était tellement alourdie de métaphores et autres figures de style que les termes de la demande en devenaient confus et imprécis. Le cesser le feu était invoqué de manière tellement subtile qu’il était facile de ne pas le voir. L’Empire les avait toujours traité avec condescendance et cruauté, ne les considérant pas plus intelligents qu’une horde de bêtes. Autant leur donner exactement ce qu’ils attendaient.
« Il n’est question là que de mariage. À quel moment est-il mentionné un quelconque traité de paix ? »
Leif se pencha au-dessus de la table et attrapa la lettre d’un geste brusque. Le silence s’alourdit alors que l’Ansatt relisait les termes inscrits sur le parchemin. Un sourire narquois s’épanouit sur sa bouche avant de disparaitre et laisser place à son air soucieux habituel.
« Ça ne change rien, Sjel. Nous pouvons jouer aux idiots auprès de l’Empire mais le Conglomérat nous verra alors comme tel.
- Sauf si, reprit Ulrik, notre réponse est si absurde que la Dod Varmt passe pour des imbéciles de l’avoir seulement accepter. »
L’incompréhension se lisait sur les visages des guerriers rassemblaient autour de lui. Aussi, il précisa.
« Pour le moment, restons aussi vagues qu’eux, acceptons leur généreuse proposition mais ne précisons rien. »
Leif était visiblement confus et il perdait patience. Sa réponse fut sèche.
« On peut être aussi vague que l’on veut, ça ne change pas le fait que je suis marié. Et je ne vois pas en quoi ça les ferait passer pour des imbéciles. »
Ulrik sourit intérieurement, Leif n’avait pas pour habitude d’être impatient mais la pression des derniers mois le rendait nerveux.
« Alors laisse-moi finir, Sjel. » Reprit Ulrik d’une voix calme. « Avec l’hiver, les nouvelles du mariage n’arriveront à l’Empire qu’au printemps. Ishvar propose de marier sa fille à notre chef, il n’a jamais précisé lequel. »
Leif comprit enfin et éclata de rire. L’hilarité se répandit dans la salle et Ulrik dû attendre qu’elle se calme avant de reprendre.
« Le Conglomérat ne croira jamais que l’Empereur eut pu accepter de marier sa fille sans savoir à qui il la mariait. Mais la Dod Varmt n’apprendra l’identité du mari qu’au printemps. Avec un peu de chance nous ne serons même pas ceux qui briseront la trêve. »
Avec un peu de chance, l’humiliation portée à l’Empereur le poussera à agir de manière irréfléchie. L’hiver sera passé et son peuple sera prêt à reprendre les combats sans avoir même entaché leur parole.
L’Ansatt du clan Solv Skjold, inhabituellement silencieux depuis plusieurs minutes, tapa du poing sur la table.
« Cesse donc tes énigmes, Sorcier ! À qui veux-tu marier la princesse ? »
Ce clan n’était pas réputé pour leur intelligence et leur Ansatt était visiblement le seul à ne pas avoir fait encore le rapprochement. Il précisa donc.
« Marions-la à Fryktebjorn. »
Leif retrouva un air sérieux avant de répondre.
« Et la pauvre fille ? »
Ulrik senti sa colère monter sans vraiment savoir pourquoi. Son plan était bon, il ne voulait aucun mal à la fille de l’Empereur. De ce qu’il avait vu des coutumes de la Dod Varmt, elle n’avait sûrement pas pu donner son avis, mais il se devait de faire au mieux pour son propre peuple.
« Tu prétends qu’elle sera moins libre ici, parmi nous, que chez elle ? Qui ici n’a pas vu la manière dont ils traitent leurs femmes ? Vous avez eu affaire à la population autant que moi... »
Les Ansatte acquiescèrent gravement. Comment pouvait-on se considérer civilisé d’un côté et, d’un autre, traiter la moitié de sa population comme de la chair à canon sans sourciller. Pire encore, violer ses propres filles pour s’occuper dans l’ennui. L’hilarité laissa place à des expressions de colère et de dégoût.
Leif acquiesça de la tête.
« Très bien, Sjel. Comme tu voudras, mais elle te haïra pour ça. »
Ulrik en était bien conscient. Ça restait tout de même la meilleure solution. Il plaça sa cape sur ses épaules et se dirigea vers la grande double porte de la Hall.
« J’aurai toute une vie pour me rattraper. »
Et il sortit sous la neige.
Manteau Blanc
Les cahots de la route secouaient la calèche en tout sens. C’était la première fois qu’elle voyageait dans une voiture à roues et son dos n’appréciait pas le traitement, les coussins en velours de la banquette n’atténuant que très peu les bosses et aspérités du chemin de terre.
Les barbares avaient rejoint la calèche à la sortie des jardins de la Maison des Bureaux de son père. Ils avaient échangé quelques mots simples avec les soldats de l’Empereur lorsque ceux-ci se retirèrent, leur laissant la garde d’Ishta. Personne ne prit la peine de lui adresser la parole, elle aurait été bien incapable d’ouvrir la bouche en réponse de toute façon. Son cerveau ne sachant plus s’il devait être choqué de ce qui venait de se passer ou inquiet de ce qui allait arriver dans un futur proche.
La dernière phrase du Chambellan tournait en boucle dans sa tête alors que les larmes envahissaient ses joues. Elle pleurait quand les gardes repartirent pour le palais. Elle pleurait quand les barbares reprirent la route, chevauchant autour de la calèche et elle pleurait encore alors que Doosara se couchait à l’horizon et que le ciel prenait une teinte violette. Son corps meurtri et souillé tremblait d’épuisement. Ses joues étaient brûlées par le sel de ses larmes et sa vision était trouble.
Ils continuèrent à chevaucher encore quelques heures avant de sentir la calèche s’arrêter et entendre le bruit des bottes en cuir souple sur le sol. Les barbares avaient mis pied à terre. L’espace d’un instant elle se laissa submerger par la panique mais très vite elle reprit le contrôle. Après tous ses beaux discours internes sur la situation des femmes et leur rôle dans leur propre malheur, elle ne valait guère mieux elle-même. Elle avait assez pleuré, les poèmes de bienséance et les leçons de Nishka étaient littéralement gravés sur sa peau, elle savait comment se comporter pour échapper au pire de ce qu’on pourrait lui faire subir. Sa meilleure chance était encore d’attendre et d’observer attentivement les interactions autours d’elle pour en tirer parti le plus possible le moment venu.
Elle entendit les guerriers échanger quelques phrases avant que l’un deux se dirige vers la porte de sa voiture. Habillée de robes de tous les jours, elle aurait préféré quelque chose de plus sophistiqué, mais cela devrait faire l’affaire au vu des circonstances.
Quelques coups furent tapés à la porte de la calèche, suivis d’une voix.
« Dame, vous faim ? »
Est-ce qu’elle avait faim ? Elle n’avait rien avalé depuis la veille au soir. Son estomac n’eut pas besoin de plus pour émettre une protestation sonore. Un léger rire se fit entendre à l’extérieur alors que l’humiliation s’emparait d’elle. Le silence s’installa quelques instants avant que le guerrier reprenne la parole.
« Dame, moi ouvre porte, tu d’accord ? »
Ishta ne savait plus sur quel pied danser. Si elle avait appris quelque chose durant son éducation au Saam’Raji c’est bien qu’il valait mieux éviter une punition certaine et immédiate plutôt que de la recevoir par peur d’une punition future et hypothétique. Autrement dit, répondre à une question directe même étrange était moins dangereux que de ne pas répondre par peur de commettre une erreur.
« Ma permission n’a aucune importance Messire, faites à votre envie. »
Ishta s’assit bien droite et laissa son regard posé sur la banquette face à elle alors que la porte s’ouvrit. Un courant d’air glacial pénétra l’habitacle, la faisant frissonner. Elle se réjouit de n’avoir pas relevé ses cheveux, la masse épaisse et bouclé recouvrait la totalité de son dos et ses épaules, la protégeant partiellement du froid. Le guerrier se figea un instant, visiblement surpris, puis referma immédiatement la porte. Ishta ne comprenait pas, pourquoi l’avoir ouverte en premier lieu ? Les soleils étaient couchés, certes, mais ça n’expliquait pas une telle baisse de température. Une journée de voiture ne les emmenait pas assez loin pour un tel changement. Il leur faudrait encore trois journées, au minimum, à longer le désert avant de pouvoir le contourner et se diriger vers le Nord.
Elle n’avait pas fait le tour de sa pensée que le guerrier avait rouvert la porte et jeté sur ses épaules une épaisse cape de fourrure, elle s’empressa de s’enrouler dedans. Le vêtement était bien trop grand pour sa petite figure mais elle apprécia la douce chaleur qu’il dégageait, il était encore porté quelques instants auparavant.
« Dame, toi viens mange. »
Elle voulu se lever pour sortir mais elle se prit les pieds dans la fourrure et serait tombée si un bras puissant ne l’avait soulevée du sol pour la poser directement par terre, à l’extérieur. Elle se sentit comme une poupée de chiffon dans les bras d’un gorille et cette pensée la fit frémir. La terre crissa de manière étrange sous ses chaussures et elle fut surprise de voir le sol recouvert d’une matière blanche et brillante. Elle poussa un petit cri de panique alors qu’elle reculait en essayant d’y échapper. Elle s’empètra de nouveau dans les plis de la cape, tombant à la renverse sous l’hilarité générale.
Elle se retrouva roulée en boule sous la fourrure épaisse. Elle était au chaud et se sentait en sécurité. Le rire gras des barbares autour d’elle se gaussant de sa maladresse lui parvenait de manière étouffée. La jeune fille prit deux secondes pour souffler et se calmer. De toute évidence cette matière blanche n’était pas dangereuse, sans quoi, les guerriers ne seraient pas si détendus. Tôt ou tard, elle devrait se relever et affronter le monde extérieur. Finalement, elle repoussa la cape d’un geste de la main rageur avant de se mettre en position assise, s’attendant à voir les chevaux et ses gardiens s’esclaffer mais elle ne faisait visiblement pas face à la bonne direction.
Ce qu’elle vit à la place lui coupa le souffle. La plaine était recouverte d’un manteau blanc scintillant sous les rayons de la Lune. Elle voyait au loin une forêt d’arbres vert foncé et pointus, recouverts eux aussi de blancs, grimpant le long des montagnes aux sommets perdus dans les nuages. Elle reporta son attention sur le sol et tendit sa main vers la matière scintillante qui recouvrait le monde. Froide au toucher, elle s’effrita sous ses doigts et les laissa humide. Le barbare s’accroupi à ses côtés et en pris une pleine poignée, la comprima dans sa main pour en faire une boule avant de la tendre à Ishta.
« Dame, ça, neige. Froid. Si très froid, pluie devient neige. Tu jamais vu neige ? »
Sa main attrapa la boule que le guerrier lui tendait.
« Non Messire, jamais. Le froid n’est pas très répandu par chez moi. »
Elle fut surprise de découvrir que la neige était devenue dure entre les doigts du guerrier. Comment pouvait-il faire si froid à moins d’une journée en voiture de chez elle ? Le guerrier se redressa et lui tendit une main qu’elle utilisa pour se remettre sur pied.
« Je s’appelle Einar. Je parle comme toi, un peu. Si tu question, dit moi. »
Des questions, elle en avait plein. Mais était-elle réellement autorisée à les poser ? Après tout, c’était le jeu préféré de ses frères. Pousser leur sœur à transgresser les règles pour les punir par la suite. Il était presque impossible d’y échapper. Si les jeunes filles ne tombaient pas dans le piège, les princes frustrés trouvaient toujours un moyen pour se venger. Il était souvent préférable de se laisser avoir volontairement. Mais elle ne connaissait pas encore assez ses hommes pour savoir ce qu’ils avaient derrière la tête. Aussi elle se tut et suivit Einar jusqu’au feu de camp.
Les huit guerriers y étaient réunis, l’un cuisinait dans une petite marmite suspendue au-dessus du feu, l’autre aiguisait un couteau ou réparait une sangle en cuire. La neige autour du feu avait été dégagée et des rondins de bois servaient de siège de fortune pour éviter le froid montant du sol. Einar s’installa sur l’un d’entre eux et commença à discuter avec ses collègues. Ishta resta trois pas en arrière, sur sa droite, et se mit en position d’attente, les yeux fixés devant ses pieds. Du coin de l’œil elle pouvait voir la chevelure rousse du guerrier attachée en une longue tresse qui lui tombait jusqu’au milieu du dos. Elle ne pût s’empêcher de laisser remonter ses yeux et fut surprise du soin mis dans cette coiffure. Ce n’était pas une seule tresse comme elle l’avait d’abord cru, mais un laçage savant d’une multitude de tresses plus fine, agrémentées de perles en argent gravées de motifs complexes.
Elle eu tout juste le temps de détourner le regard alors qu’Einar se tournait vers elle. Il eu un grognement rageur qu’elle ne comprit pas, puis il se tut. Visiblement il attendait quelque chose d’elle, mais quoi ? Qu’avait-elle fait ? Ou, plus sûrement, que n’avait-elle pas fait ? Devait-elle s’occuper du repas ou du feu ? Les barbares s’en occupaient déjà. Le repas et le feu étaient des tâches d’esclaves, bien sûr elles faisaient partie de ses apprentissages de future femme. On ne peut diriger une maison et ses esclaves si on ne comprend pas en quoi consistent leurs devoirs. Mais jamais il ne lui aurait été demandé d’y participer elle-même. Eut-elle été parmi les siens, elle aurait attendu que les hommes aient fini de se nourrir pour se servir à son tour, manger à l’abris des regards et c’était tout. Mais elle n’était plus parmi les siens. Devait-elle prendre le relais ? Comment s’y prendre ? Elle ne pouvait décemment arracher la cuillère des mains du cuisinier pour touiller elle-même le ragoût. Fallait-il alors demander la permission ? Mais cela voudrait dire prendre la parole sans autorisation. Ishta, perdue et au bord des larmes, priait pour un miracle.
Un barbare se mit à ricaner avant de prendre la parole.
« Vede come noui sedi nüo ast buono assetti par la sia preciuosa »
La phrase déclencha des éclats de rire autour du feu de camp. Ishta n’avait pas besoin de comprendre la langue pour savoir que le commentaire n’était pas aimable. Einar tapota sur le tronc à côté de lui.
« Dame, mieux c’est manger assis. Toi besoin repos, demain c’est cheval, pas voiture. »
C’était tout ? Il attendait seulement qu’elle s’assaye ? Ce ne pouvait être aussi simple. En même temps, elle n’avait guère le choix. Aussi, elle alla s’asseoir à côté d’Einar, qui reprit sa conversation comme si de rien n’était. La chaleur du feu lui fit instantanément du bien et les muscles de son dos se délièrent peu à peu. Les barbares vaquaient à leurs occupations en conversant doucement et l’odeur de la nourriture en train de chauffer emplissait l’air. Bien installée dans l’épaisse cape de fourrure, le sommeil l’emportait doucement quand une main la secoua légèrement et lui tendit un bol de ragoût.
Elle prit la nourriture et vit que tous mangeaient encore, elle voulu attendre patiemment son tour mais son ventre protesta violemment. S’attirant encore l’hilarité générale, le rouge lui monta aux joues. Elle ne chercha pas à comprendre plus que ça et avala sa ration à grosses cuillerées. Si elle devait être punie, autant que ce soit pour avoir mangé à sa faim. Mais personne ne prêta attention à elle et l’homme qui l’avait servi lui remplit à nouveau son bol à peine l’eut-elle fini.
Le ventre plein, son regard se porta sur le feu qui dansait et elle prêta l’oreille aux conversations. Elle n’avait pas l’habitude d’être aussi près d’un foyer ouvert, dans l’Empire le feu n’était que rarement utilisé en dehors des cuisines. La douce lumière qu’il dégageait était rassurante. Les hommes parlaient entre eux, plusieurs conversations dans une langue qu’elle ne comprenait pas, se mêlant pour former une douce mélodie agréable à l’ouïe.
La sérénité qu’elle ressentait la surprit. Sa vie future au sein des peuples barbares l’avait tellement tourmentée, qu’elle s’était vue vivre dans l’angoisse et la peur constante. Mais, elle se devait d’être honnête, ces instants étaient parmi les plus paisibles qu’elle n’avait jamais vécu. Le contraste avec ces derniers mois de terreur et de douleurs la frappa de plein fouet et elle se senti submergée. Ses joues se couvrirent de larmes et elle se recroquevilla sur elle-même, attendant des coups qui ne vinrent jamais. Aussi elle se laissa aller à pleurer, la tête posée sur ses genoux ramenés sous son menton. Les barbares ne pouvaient ignorer ses sanglots mais aucun d’entre eux ne fit mine de le remarquer.
Quelque part au milieu de son océan de tristesse, le sommeil finit par l’emporter.
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