Chapitre 16 - Promesses
« De tous les hommes ici, c’est à Leif que tu pensais en imaginant ton mari ? »
La voix d’Ulrik était sèche et le ton cassant. Ishta s’était attendu à bien des réactions mais la colère n’en faisait sûrement pas partie. Elle avait fait énormément de progrès dans la gestion des émotions, les siennes et celles des autres. Mais faire face à toute sorte d’animosité la mettait toujours dans un état proche de la panique. Elle souffla deux ou trois fois, se rappela qu’Ulrik ne lui avait jamais donné aucune raison de s’inquiéter, bien au contraire.
« Oui, répondit-elle d’une petite voix. En venant, je croire que Leif être chef de tous. »
Le guerrier prit une grande inspiration, comme pour se calmer et reprit d’un ton vide.
« Et tu as été dièlust que ce soit pas lui ?
- Je pas comprendre dièlust. »
Elle ne comprenait pas la réaction d’Ulrik. Il ne pouvait être en colère simplement parce qu’elle s’était trompée, ça ne lui ressemblait pas.
Il semblait chercher ses mots, ne sachant comment lui reposer sa question différemment. Ishta pouvait sentir la frustration que le guerrier dégageait. Il prit la parole lentement, mais elle pouvait entendre le tremblement de sa voix qu’il essayait vainement de lui cacher.
« Si tu pouvais choisir, tu aurais choisi d’épouser Leif ? »
La question laissa Ishta perplexe. Ça n’avait jamais été une question de choix. Si elle avait pu choisir, elle n’aurait choisi personne. Si elle avait pu vivre sa vie sans devoir partager son lit, voilà le choix qu’elle aurait fait. Mais elle doutait qu’il le comprenne, alors elle répondit ce qu’elle put.
« Ce pas être un choix pour moi. »
La réponse ne plut pas à Ulrik qui serra les poings de rage. Encore une fois, le geste était imperceptible et Ishta ne s’en aperçut que parce qu’elle avait passé sa vie à en avoir peur. Pourquoi avait-elle été assez bête pour poser la question ? Si personne ne voulait lui répondre, il devait bien y avoir une raison. Elle aurait dû s’en tenir à ça.
À deux doigts de voir Ulrik se lever et partir elle commença à paniquer. Qu’allait-elle faire si le guerrier se mettait lui aussi à l’éviter ? Elle comprit qu’elle s’était habituée à leurs rencontres journalières et à quel point elle y tenait. Elle voulut lui dire d’oublier le sujet, que ce n’était rien et qu’elle souhaitait juste finir son repas avec lui et parler d’autre chose. Mais le guerrier fut plus rapide à prendre la parole.
« Leif est déjà marié à Toumet, tu le sais ça. Pour les Íbúa, le lien du mariage est sacré. Leif ne peut pas être marié à une autre femme tant qu’il est l’époux de Toumet. Et, surtout, Leif aime Toumet plus que tout. »
Ishta se retrouva encore plus confuse. Elle savait déjà tout ça, ce n’était pas le sujet de son problème. Il se leva et hésita à dire quelque chose. L’expression de peine sur son visage attrista Ishta mais elle ne savait que dire pour la faire disparaître, ne sachant pas pourquoi elle était apparue en premier lieu. Cependant, il lui fallait une réponse.
« Alors qui épouser moi ? » demanda-t-elle, désespérée.
Quitte à le voir partir, autant qu’elle ait sa réponse. Quitte à ce qu’il ne lui parle plus, autant que ce ne soit pas pour rien.
Il lui tourna le dos et fit quelques pas, avant de s’arrêter. Sans lui lancer un regard, il dit à voix basse.
« Tu as été promise à Fryktebjorn. »
L’Empire avait un autre nom pour Fryktebjorn, la Bête.
Puis il partit, laissant Ishta seule face à sa révélation.
Au début, elle s’imagina que la colère avait conduit Ulrik à lui mentir. Toutefois, elle n’avait jamais observé chez lui de telles manifestations de malveillance. Blesser quelqu’un par dépit n’était pas dans son caractère. Proférer des mensonges non plus. À bien y penser, elle n’avait jamais vu aucun Íbúa mentir. Face à une discussion compliquée la plupart d’entre eux préféraient dire clairement qu’il ne répondrait pas. Comme Einar ou Toumet l’avait fait avec elle.
Lorsqu’elle repensa à la réaction de son entourage face à ses questions, elle comprit que ce qu’Ulrik avait dit était vrai. L’ampleur de la vérité la frappa comme un coup de poing en plein ventre. Le souffle lui manqua et elle dut s’asseoir.
Elle avait assez entendu parler de la Bête quand elle vivait encore au palais. Mais pas seulement. Fryktebjorn faisait partie intégrante du folklore Íbúan. À la fois révéré et craint, il était le protecteur du peuple mais il n’était pas un animal de compagnie pour autant.
Depuis des générations, les contes de la créature mi-homme mi-bête étaient racontés autour du feu. Ils servaient de leçon aux adultes comme aux enfants. Fryktebjorn tuait le bétail du mari infidèle et enlevait les enfants assez bêtes pour faire du mal volontairement. Mais la créature protégeait son peuple, massacrant les clans ennemis à lui tout seul ou ramenant les enfants égarés. Mais gare à qui osait s’approcher de son territoire, ennemi comme allié.
Ishta n’aurait pas cru à plus qu’un mythe si elle n’avait pas vu le regard terrorisé des soldats de l’Empire lorsqu’ils en parlaient. Les Íbúa eux-mêmes ne doutaient pas de son existence. Cruelle, sauvage et sanguinaire. Sur ces points-là, tout le monde s’entendait. Voilà à quoi elle allait être mariée.
La douleur de la trahison se mêla à son angoisse. Elle pensait avoir enfin trouvé sa place. Enfin trouver un endroit où elle pourrait vivre sans la crainte d’être battue et laissée pour morte. Elle pensait avoir été accueillie par ce nouveau peuple qu’elle admirait. Mais en vrai ils ne voyaient rien de plus en elle qu’un sacrifice. Seule la pitié les poussait à être chaleureux et aimables.
La colère monta et elle ravala ses larmes. Elle ne leur donnerait certainement pas la satisfaction de pleurer. Elle se leva et traversa le village aussi vite qu’elle le put, persuadée que tout le monde savait, que tout le monde la regardait avec pitié après son passage. Une fois arrivée au Hovedhuren sa colère s’était transformée en rage. La grande pièce était presque vide, sans se préoccuper de qui était là, elle se dirigea d’un pas ferme et décidé vers Toumet, attablée devant son repas.
« Fryktebjorn ? » cria-t-elle à travers la pièce.
Aussitôt le regard de Toumet devint grave.
« Qui te l’a dit ? » demanda-t-elle calmement.
Qu’est-ce que ça changeait ? Peu importe qui le lui avait dit.
« Ulrik ! »
C’est sa rage qui avait parlé, elle se rendait seulement compte à quel point elle en voulait au guerrier. Pourquoi ne lui avait-il jamais dit ? Pourquoi personne ne lui avait jamais rien dit ?
Toumet ne pouvait être plus surprise.
« U...Ulrik ? bredouilla-t-elle. Mais qu’est-ce qu’il t’a dit d’autre ? »
Qu’est-ce qu’il y avait d’autre à dire ? Rien. Il était parti. Il l’avait abandonnée avec sa colère, comme Ning l’avait fait auparavant.
« Tu savoir depuis toujours ! Pourquoi tu rien dire à moi ? » hurla-t-elle, sa voix échappant à tout contrôle, brûlant sa gorge.
Toumet resta muette, une expression peinée sur le visage. Ishta la haïssait dans l’instant. Autant qu’elle s’était attachée à elle au cours des dernières semaines. Elle n’avait même pas la décence de montrer toute la pitié qu’elle avait pour Ishta.
« Je être quoi d’autre que sacrifice pour vous ? Comment toi tu souris à moi, tu ris avec moi ? Mais tu sais et tu rien dire ! »
Toumet se leva et fit quelques pas vers elle mais Ishta recula d’autant.
« Non ! hurla-t-elle alors que les larmes coulaient enfin sur ses joues. Tu pas venir ! Tu vas loin ! »
« Ishta, dit doucement Toumet. Tout va bien se passer, crois-moi...
- Croire toi ? Tu cacher la vérité à moi ! Tout va pas bien ! Que tu faire si Fryktebjorn me bat ? Si lui me tue ? Si lui veut manger moi pour la noce ? Toi tu vas sauver moi ? »
Est-ce que Toumet venait de retenir un rire ? Une terrible douleur lui déchirait le cœur et Toumet lui riait au visage. Ishta pensait avoir fait le tour de la trahison avec Ning et son père mais les Íbúa venaient d’atteindre de nouveaux sommets. Sa rage avait atteint un stade qu’elle n’arrivait pas à exprimer dans cette langue qu’elle ne maîtrisait pas. Un cri sauvage naquit de sa frustration et brûla sa gorge. Elle attrapa la première chose que sa main put attraper et la jeta à travers la pièce. La chaise rata de justesse la soupière remplie au-dessus du feu et deux hommes durent se lever de leur place en catastrophe. Elle n’en avait que faire. Elle voulait qu’ils souffrent, tous, autant qu’elle souffrait, elle.
« Qu’est ce qui se passe ? »
Finn venait d’entrer, il avait visiblement couru et paraissait inquiet.
« Ulrik lui a dit. » répondit simplement Toumet.
Le guerrier avait déjà traversé la pièce, attirant Ishta entre ses bras et la serrant fort, comme elle l’avait vu faire pour réconforter ses filles. Elle se débattit d’abord mais elle en avait assez de batailler contre le monde entier et finit par s’effondrer dans son étreinte. La force du guerrier lui apportait un réconfort étrange, comme s’il était capable par ce simple geste de ressouder tous les petits bouts d’elle qui s’étaient brisés. Il commença à lui murmurer quelque chose à l’oreille mais elle ne comprit pas. Il parlait trop vite, trop bas et elle se fichait bien de ce qu’il disait. Sa voix, sa respiration, son calme. Petit à petit elle sentit sa rage s’apaiser et il ne resta plus que la douleur et la tristesse.
Finn lui parlait toujours doucement alors qu’elle pleurait toutes les larmes de son corps, une nouvelle fois. Les Íbúa lui avaient montré ce que c’était d’exister, de vivre sans crainte. De vivre, tout simplement. Ils lui avaient appris le vrai sens du mot respect et lui avaient montré qu’elle était digne d’en recevoir. Elle pensait avoir leur acceptation et leur affection. Mais ce n’était qu’une illusion. En un instant, ils lui avaient tout retiré.
Comment avait-elle pu se faire avoir une seconde fois ? Visiblement, l’histoire avec Ning ne lui avait pas suffit. Elle n’avait rien appris. Elle voyait l’amour partout autour d’elle, mais elle-même n’y aurait jamais droit. Les enfants Íbúa étaient aimés et chéris, les femmes Íbúa étaient respectées et aimées de leurs maris, les mères Íbúa étaient soutenues et aidée. De son côté, elle avait souffert toute sa vie, elle avait été abusée toute sa vie. Et maintenant qu’elle croyait s’en sortir ce n’était qu’une illusion de plus. Elle était fatiguée de se battre. Que Fryktebjorn la tue et qu’elle en finisse.
« Maintenant tu n’y crois pas, mais les choses iront mieux Sjel. »
Les paroles de Finn rallumèrent instantanément la rage d’Ishta. Comment osait-il ? Elle le repoussa violemment.
« Toi m’appelle pas Sjel ! Jamais ! Ni toi, ni Ulrik ! Si je famille de vous, pourquoi vous offrir moi à un monstre ? »
La fin de la phrase n’était qu’un murmure empli de douleur. Elle n’avait plus la force de crier. Elle ne voulait plus voir Toumet et son visage plein de peine. Elle ne voulait plus voir Finn et sa colère. Comment osait-il être en colère contre elle ? Alors elle sortit de la pièce et retourna dans le seul endroit où elle ne voyait personne, sa chambre.
Elle passa les jours suivants enfermée dans sa petite pièce.
On la laissa d’abord tranquille, passant de la colère au découragement, du désespoir à la rage. Suppliant puis maudissant qui voulait bien l’entendre mais surtout Ulrik et Toumet. Puis, au milieu de la nuit, elle finit par se coucher, vidée d’avoir trop crié.
Le lendemain matin Toumet vint frapper doucement à sa porte mais elle ne répondit pas.
« Tu dois manger et boire Ishta, je comprends que tu sois en colère et tu n’es pas obligée de parler avec moi si tu ne veux pas… Mais... »
Visiblement elle était à court de mots. Sa supplique ne rencontrant que le silence, elle partit. Plusieurs personnes vinrent taper à sa porte à tour de rôle. S’assurant qu’elle n’avait pas faim ou besoin de quelque chose, recevant la même absence de réponse. Cependant personne n’entrait sans son autorisation.
Si seulement ils pouvaient la laisser tranquille, qu’elle puisse arrêter de réfléchir l’espace d’un instant. Inutile de s’acharner à lui apporter des repas, elle n’avait pas besoin de nourriture pour pleurer.
Mais même ses yeux s’étaient vidés, comme son âme. Elle n’était plus qu’une coquille vide de toute envie. C’était encore la meilleure manière de vivre. On ne peut rien retirer à celui qui ne désire rien.
La pénombre était tombée dans sa chambre depuis plusieurs heures déjà quand des coups à la porte se firent entendre à nouveau.
« C’est Finn, j’ai besoin de savoir que tu vas bien. J’entre. »
Et la porte s’ouvrit lentement. Prise de panique, Ishta se recroquevilla en boule contre la tête de lit. Ils en avaient enfin eu marre de ses caprices et Finn étaient là pour le lui expliquer.
Mais l’homme entra avec un plateau contenant une chope, une assiette pleine de ragoût et un morceau de pain. L’odeur qui envahit la chambre fit grogner l’estomac d’Ishta. Sans rien dire, Finn déposa le plateau au pied du lit, ouvrit une fenêtre et tira une chaise à côté.
« Je partirai quand tu auras mangé. Si ça doit prendre la nuit, je serai là demain matin. Mais les petites m’attendent à la maison donc j’aimerais mieux que ça ne dure pas autant. »
Il s’installa confortablement et attendit.
Autrement dit, elle n’aurait pas la paix tant que l’assiette n’était pas vide. Elle entreprit d’engouffrer son contenu le plus vite possible, répondant à la fois aux cris de son estomac et à son besoin de tranquillité, vida la chope et se réinstalla dans son lit, la couverture au-dessus de la tête pour couper court à toute tentative de discussion. Mais Finn ne dit rien, il ferma la fenêtre, ramassa le plateau et sortit.
Le lendemain midi, ce fut Asvard, puis au soir Olvir. Le jour d’après Sigvald s’occupa des deux repas. Et ainsi de suite, les six guerriers se relayant repas après repas. Ils ne disaient pas un mot. Se contentant d’ouvrir la fenêtre et d’attendre qu’elle ait mangé. Pas de colère ou de remontrance. Pas de regard mauvais ou de grognement. Dans les bons moments, elle s’imaginait qu’ils tenaient à elle et ne voulait pas la voir mourir de faim. Dans les périodes plus sombres, elle se disait qu’ils devaient la garder en vie pour le sacrifice à Fryktebjorn.
C’est dans un de ces passages dépressifs que Toumet prit son tour.
« Toi viens nourrir l’agneau du sacrifice ? »
Ishta avait mis tout son dégoût dans sa voix. Mais voir l’expression peinée de Toumet ne lui apporta ni réconfort, ni sentiment d’accomplissement. Elle ne la revit plus après ça.
Ishta s’était endormie peu après le repas de midi, elle ne faisait plus grand-chose d’autre que ça, à part manger. Les derniers jours étaient tous confondus les uns dans les autres. Elle ne savait même pas depuis combien de temps elle s’était enfermée, ni même le nombre de repas qui lui avaient étés apportés. L’esprit encore dans les limbes du sommeil, il lui fallut un moment pour identifier ce qui l’avait réveillé.
Deux personnes se disputaient à voix basse dans le couloir.
« Sjel, tu dois lui dire ! »
Toumet.
« On ne sait toujours pas si elle est capable ou non de communiquer avec son père ! »
Leif. Comme si elle possédait le moindre moyen de communication. Elle allait pas se mettre à faire des signaux de fumées. Elle n’avait pas caché un pigeon voyageur sous ses jupes de voiles ou construit un bûcher en haut d’une montagne, discrètement, en chausson de soie.
Plusieurs bruits de bottes se firent entendre, trois personnes au minimum se dirigeaient d’un pas pressant dans le couloir. Presque aussitôt suivit par une remontrance sévère à voix basse.
« Elle dort, laissez-la tranquille ! Leif, tu crois pas que t’en as fait assez ? »
Finn ? Elle ne l’avait jamais entendu se mettre en colère.
« Sjel, si la Dod Varmt possédait encore la moindre magie digne de ce nom la guerre aurait eu une tout autre allure tu ne crois pas ? »
Au moins, Toumet savait utiliser sa tête.
« Le Storkan n’est pas encore passé, c’est trop tôt, on peut pas prendre de risque. » répondit son mari.
Ishta ne voyait pas en quoi le Storkan avait un quelconque rapport avec la situation. Et quand bien même elle serait en communication avec son père, avant ou après le storkan ne faisait pas vraiment une grande différence.
Malgré elle, sa tête reprit le dessus et son cerveau se mit à fourmiller, cherchant des réponses.
« J’en ai rien à foutre de ta paranoïa de merde ! Laisse la vivre ! »
La voix était celle d’Askel.
« La seule raison pour laquelle t’as pas encore reçu mon poing dans la gueule c’est l’affection qu’Ulrik te porte pour les dieux seuls savent quelle raison ! »
D’un tempérament d’ordinaire calme, sa voix était pourtant déformée par la rage.
« Tu as de la chance qu’elle vienne de la Dod Varmt, une femme Íbúa t’aurait déjà ouvert les entrailles à coups de couteau pour moins que ça ! »
Asvard. Étaient-ils en train de la défendre ?
Elle était bien d’accord avec lui, elle aurait dû planter un couteau dans le ventre de tous ces abrutis. Mais les deux frères et Finn s’étaient déplacés jusqu’à sa chambre, dans le fond d’un couloir inusité, pour la défendre face à Leif. Ishta ne comprenait pas. Et elle en avait plus qu’assez de ne pas comprendre. Plus qu’assez que tous décide à sa place. Tant pis si elle passait pour naïve de croire qu’ils tenaient à elle. Au moins elle serait fixée.
Elle se leva du lit et ouvrit la porte. Leif et Toumet se tenaient face à Finn, Asvard et Askel. Et tous la regardèrent, surpris.
« Pourquoi tu fâches contre moi quand je pleurer ? » demanda-t-elle à Finn.
Devant son incompréhension évidente elle précisa.
« Dans la grande salle, quand je crier sur Toumet.
- Je...J’étais pas fâché contre toi. J’étais fâché contre Leif à cause de sa paranoïa et contre Ulrik qui se comporte comme un lâche pour la première fois de sa vie ! »
Ishta avait du mal à imaginer Ulrik avoir assez peur de quoique ce soit que pour devenir un lâche.
« Si je bien comprendre, vous défendre moi ?
- O… Oui. »
Le guerrier parut perplexe, comme si la question ne se posait pas.
« Et quand vous donner nourriture à moi, c’est parce que vous inquiet pour moi ? »
Les deux frères se regardèrent, confus.
« Oui, répondirent-ils d’une seule voix.
- Mais alors pourquoi vous me donner à Fryktebjorn ? »
Sa voix se cassa sous l’émotion et ses yeux se remplirent de larmes.
Finn s’agenouilla devant elle, il était tellement grand qu’il était presque à hauteur de ses yeux, il sortit un couteau de sa ceinture et le plaça dans la main d’Ishta. Il en appuya la pointe contre son propre cœur et planta son regard dans celui de la jeune fille.
« Tu fais partie de la famille maintenant, Sjel. Fryktebjorn ne touchera pas un cheveu de ta tête j’en fais la promesse. S’il venait à me faire mentir, alors tu pourras planter cette dague dans mon cœur et personne ne t’en empêchera. Tu comprends ? »
Au cours des dernières semaines, elle avait appris beaucoup de choses sur les Íbúa, la première d’entre elles étant qu’ils ne mentent pas. Finn lui avait clairement dit que la Bête ne lui ferait pas de mal, bien qu’elle ne sût pas comment il pouvait en être si sûr. Mais elle ne pouvait continuer à batailler seule. Ces hommes tenaient visiblement à elle, il lui faudrait apprendre à leur faire confiance. Et Finn venait de le lui promettre sur sa vie. Elle retira le couteau de la poitrine du guerrier et voulu le lui rendre mais il le repoussa.
« C’est le souvenir de ma promesse envers toi aujourd’hui. Il est à toi. »
Elle accepta le présent et se tourna vers Leif.
« Tu devoir explications à moi. Quand je enfin voir ta tête sans vouloir la taper, toi et moi devra parler. »
Son cœur battait la chamade. Jamais elle n’avait osé parler comme ça à un homme. Encore moins à un homme de son statut. Mais si elle voulait être traitée comme une Íbúa, elle devait se comporter comme telle. La raison pour laquelle Finn le tenait pour responsable lui échappait encore mais elle avait décidé de faire confiance au guerrier. Elle retint son souffle, ne sachant trop comment Leif allait réagir. Mais celui-ci sourit d’un air contrit et acquiesça. Comme il ne faisait toujours pas mine de bouger, Askel fit quelques pas en sa direction, la main à la ceinture posée sur son épée, le regard dur. Leif fit signe qu’il avait compris et parti.
Toumet voulut parler à Ishta mais elle la fit taire d’un geste de la main.
« Je pas encore savoir quoi penser de toi. Je comprendre que tu pas pouvoir décider de parler à moi. Mais de toi ça faire encore plus mal. Laisse à moi le temps. »
Les larmes aux yeux, Toumet acquiesça et partit à la suite de Leif.
Ishta poussa un soupir de soulagement profond et se laissa tomber contre le mur. Sous le regard étonné des trois hommes elle expliqua.
« Femme chez moi pas avoir le droit de parler. Alors parler comme je faire maintenant... »
Elle laissa échapper un rire nerveux.
« Tu as l’air toute fragile, Sjel, mais il faut vraiment pas se fier aux apparences ! »
Asvard venait-il de la complimenter ? Son sourire en coin et le regard admiratif qu’il lui lançait allaient dans ce sens. Pour la première fois de sa vie, Ishta était fière d’elle-même.
« Avant de croiser Leif on venait te chercher, lui dit Finn. Ce soir c’est la présentation des enfants. »
Si la cérémonie était ce soir alors elle avait passé une semaine à se morfondre.
« On ne voudrait pas que tu manques ça. Tu veux venir te préparer à la maison ? Holga sera heureuse de te revoir, les filles aussi. »
Ishta n’avait rencontré la femme de Finn qu’une seule fois. Souriante et chaleureuse, elle avait discuté de bon cœur avec la jeune femme. Elle ne réfléchit pas longtemps.
« Oui, avec plaisir ! »
Elle se réjouissait de passer la soirée en leur compagnie mais une partie d’elle se sentait mal à l’aise. Encore une fois, les six guerriers n’avaient été que prévenants avec elle et elle avait pensé le pire d’eux.
Toute sa vie n’avait été remplie que d’ennemis et de trahison, la méfiance faisait partie intégrante de son quotidien. Ishta ne voulait plus vivre comme ça. Elle admirait et enviait les relations des Íbúa mais, au moindre problème, elle se comportait comme une femme de l’Empire. Toute forme de colère la terrifiait et, pourtant, c’était sa première réaction face à l’adversité. Sans même chercher à comprendre la vérité, les pires hypothèses s’étaient imposées à son esprit paniqué et avaient transformé ses alliés en ennemis.
Une fois encore elle s’était retrouvée seule face au reste du monde. Mais une fois encore, depuis son départ du Saam’Raji, elle était seule responsable de cette solitude.
Ses seize années de vie jusqu’à aujourd’hui devaient être mises de côté. Elle devait apprendre à faire confiance et à communiquer. S’enfermer dans sa chambre et faire la morte pendant une semaine n’était pas une attitude constructive.
Pour commencer, des excuses en bonne et due forme auprès de ceux qui avaient pris soin d’elle s’imposaient. Pour la deuxième et la dernière fois, espérait-elle.
Quant à Ulrik… Elle verrait bien au soir si il lui venait l’envie de le taper ou de lui pardonner.
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