Chapitre 20 - Honte

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L’emplacement du Hovedhuren n’avait pas été choisi au hasard. Ishta avait d’abord pensé que le village avait été construit à cet endroit car il était judicieusement placé sur une colline entre l’eau, la forêt et la montagne. Elle s’était ensuite dit que la proximité de la tanière du Glemsött n’était pas une coïncidence mais la vraie raison était toute autre.

Construit à flanc de la colline, le Hovedhuren abritait en son sein l’entrée d’une caverne gigantesque. Éclairée d’une torche, Toumet accompagna Ishta dans un escalier caché derrière une porte, au fond du couloir qui menait à sa chambre. À peine l’eut-elle ouverte qu’une chaleur humide se dégagea de l’ouverture. Plus elles descendaient et plus la chaleur moite devenait intense.

Arrivée tout en bas, Toumet entreprit d’allumer les lampes accrochées aux murs de pierre, laissant tout le temps nécessaire à Ishta pour découvrir les lieux. Elles étaient dans une grotte immense qui contenait plusieurs bassins naturels remplis d’eau fumante à l’odeur âcre. L’eau se déversait de l’un à l’autre et finissait sa course dans deux bassins taillés dans la pierre et entourés de marches s’enfonçant dans l’eau et richement décorés. Le plus petit, contre le mur de gauche, servait pour le linge. Ishta le comprit aux ustensiles déposés sur les bords, grattoirs, bacs et brosses. Le plus grand, occupant le centre de la pièce, était superbe et pouvait facilement contenir une dizaine de personnes. Ishta n’était pas sûre d’avoir pied mais l’eau devait arriver aux épaules de Toumet.

Les murs de pierre étaient gravés de scènes de contes épiques qu’Ishta avait entendus lors des veillées et celui près de l’entrée était creusé de petites alvéoles contenant du linge, des savons et toutes sortes de bouteilles de parfum. La plupart étaient vides et Ishta devina qu’elles servaient à déposer les affaires avec lesquelles on était arrivé. La pièce était superbe et Ishta ne comprenait pas comment cette eau pouvait être chaude.

« Le Storkan bloque la sortie d’une des sources chaudes de la montagne et l’emmène directement dans cette grotte, lui expliqua Toumet. Nos ancêtres ont eu beaucoup de chance de découvrir cet endroit. Nous ne sommes pas le clan le plus grand des Konungalands mais nous sommes l’un des plus anciens et des plus respectés. Il nous arrive d’héberger une partie d’autres clans durant les Storkan les plus sévères et ce n’est possible que grâce à cette grotte.

- Tout le monde viendre quand lui veut ? demanda Ishta.

- Oui, et non. » répondit Toumet avec un sourire.

Elle lui expliqua que tout le monde avait le droit d’accéder à la grotte, plus que ça, c’était un devoir envers le clan. Mais pour être certain que chacun ait son tour, on ne pouvait y accéder n’importe quand. Les matins étaient consacrés au nettoyage des draps et du linge, les bains se prenaient donc l’après-midi. Les gens se baignaient par groupe d’une dizaine de personnes, se regroupant souvent par famille ou entre amis. Chaque groupe profitait des bains durant un tour de clepsydre puis il fallait laisser la place au groupe suivant. Cinq à six groupes pouvaient se succéder, mais l’on ne pouvait se baigner qu’une fois tant que tout le monde n’était pas passé.

Chaque personne avait en sa possession un jeton de bois peint en noir qu’il échangeait contre un jeton rouge rangeait dans une jarre en rentrant au bain. Lorsque tous les jetons rouges avaient été remplacés par des noirs, alors le cycle recommencerait et on pouvait reprendre un bain. Il était interdit d’échanger son jeton avec quelqu’un d’autre et si quelqu’un se faisait prendre à faire une telle chose, la punition pouvait aller jusqu’à l’exclusion du Hovedhuren. Au milieu du Storkan, cela signifiait tout bonnement la mort. Ishta doutait que Toumet puisse aller jusque-là pour un simple bain manqué mais quand l’Ensatt lui rappela que c’était une mise en danger de tout le clan, son air sévère ne laissait aucun doute sur ce qu’elle pensait de ces gens. Elle précisa tout de même que certaines exceptions peuvent avoir lieu mais alors la demande devait être soumise au vote du clan au grand complet.

Elle avait déjà remarqué à plusieurs reprises l’importance de l’hygiène chez les Íbúa. Dès leur première rencontre à vrai dire, alors que la seule odeur qu’ils dégageaient était celle de l’herbe et du cheval. Et, bien qu’elle-même prît plusieurs bains par semaine et qu’elle ne pensait pas avoir à rougir, il lui avait fallu un moment pour comprendre comment ils y arrivaient. Au final, ce n’était qu’un mélange entre un changement de vêtements très régulier et l’usage du bloc de savon, qui ne laissait pas d’odeur sur la peau et la rendait sèche et douce au toucher. Non pas que les gens de l’Empire ne se lavaient pas, mais ils utilisaient des huiles lavantes saturées de parfum de fleur ou autre herbes aromatiques qui s’ajoutaient à l’odeur de transpiration des vêtements portés trop longtemps. Elle rougit en se disant qu’elle ne devait pas sentir très bon à son arrivée au Konungaland. Elle était heureuse d’avoir changé ses habitudes si rapidement.

Elle était perdue dans ses pensées quand elle vit le regard inquiet que lui lançait Toumet.

« Tu as question pour moi, non ? l’interpella Ishta.

- Tu vas devoir participer aux bains de la même manière que les autres... »

En effet, Ishta essayait de ne pas y penser. Il lui suffirait de trouver un groupe composé que de femmes. Le cas contraire, elle s’entourerait de personne de confiance derrière qui elle pourrait se faire toute petite. Elle pensait déjà demander de l’aide à Holga quand Toumet reprit la parole.

« Je sais que dans certains peuples, le bain se prend avec une chemise légère ou une serviette mais les Íbúa se lavent nus. Tu n’auras que peu de chance de garder ton dos à l’abri des regards. Ça va aller pour toi ? »

C’était donc pour ça que Toumet l’avait prise à part pour lui montrer les bains. Et elle avait raison. Outre la mixité homme femme, elle ne pourrait cacher que son blason n’était pas fini. Et, contrairement à la croyance de son père, la prévenance de Toumet montrait bien que les Íbúa en comprenaient la signification. Le rouge monta aux joues d’Ishta. Ces dernières semaines lui avaient complètement fait oublier sa peur d’être découverte qui revint la frapper de plein fouet. Le sentiment familier d’être acculée refit surface. Mais cette fois il ne lui vola pas son souffle, n’amena pas de mouchettes noires devant ses yeux et elle n’était pas sur le point de s’évanouir. Elle se sentait calme et prête.

Elle avait confiance en la prévenance des Íbúa. Elle savait que le blason n’avait que peu d’importance dans une culture ou le statut était amené par les accomplissements personnels et la confiance donnée par les membres de la communauté. Son ego en prendrait un coup et tous verraient le peu d’importance qu’elle avait aux yeux de son père mais ça s’arrêterait là. Et certainement qu’aucun n’aurait l’inconvenance d’en parler car les Íbúa ne se mêlent pas de ce qui ne les regarde pas.

« Ça va aller pour moi, dit-elle, non sans fierté, et elle ne put empêcher un léger sourire. »

Mais elle s’était réjouie un peu trop vite et, maintenant qu’elle se tenait devant le bassin où se baignait Holga, ses filles et quelques autres femmes. Debout sur le rebord, interdite, elle ne pouvait se résoudre à enlever sa chemise face à ce qu’elle voyait. Une nouvelle fois sa stupidité lui sautait au visage et l’ampleur de la vérité qui s’étalait sous ses yeux la laissa pétrifiée.

Elle s’était levée ce matin-là pleine d’entrain, elle savait qu’elle devait prendre le bain mais elle avait réussi à tout organiser au mieux. Ayant pris son courage à deux mains, elle était allée voir Holga et lui avait parlé de ses inquiétudes concernant la mixité des bains. Elle s’était préparée à devoir expliquer d’où venait son angoisse quitte à paraître faible et elle était fière de sa décision. Mais Holga ne lui posa aucune question et accepta la requête d’Ishta pour ce qu’elle était, une demande de soutien. Elle lui promit de rassembler un petit groupe de ses amies et la rassura autant que possible.

Elles étaient donc descendues dans un joyeux brouhaha et toutes avaient commencé à se préparer, Ishta compris. Mais alors qu’Holga retirait sa chemise, le sang se retira de son visage et son cœur rata un battement.

Holga n’arborait pas de blason.

Mais pas seulement. Là, le long de sa colonne vertébrale et s’étalant sur ses omoplates, le tatouage d’un corbeau stylisé aux ailes déployées. Son regard se porta sur les amies d’Holga, mariées pour la plupart, mais elle ne vit que des dos lisses, immaculés ou décorés à l’encre.

Incapable de bouger, Ishta essayait de donner un sens à ce qu’elle voyait. Une partie d’elle se trouvait fort stupide d’avoir cru que les Íbúa porteraient un blason. Il n’avait aucun sens ni aucune valeur dans leur culture. Mais elle ne s’était jamais réellement posé la question. Le blason est le fondement même de toute son éducation, toute sa culture, toute sa vie. On lui en avait toujours parlé comme quelque chose d’universel et elle n’avait jamais pris la peine de remettre en question ce fait, même après plus d’un mois passé parmi son nouveau peuple.

Elle avait bêtement cru que les blasons n’étaient pas affichés à cause des habits chauds qui ne le permettaient pas. Mais, maintenant qu’elle se trouvait devant l’irréfutable réalité, elle devait en convenir, Finn préférerait mourir plutôt que de fouetter ses filles à sang pendant plusieurs mois. Et il n’en avait pas l’utilité puisque leur valeur ne dépendrait pas d’un dessin gravé sur leur dos mais plutôt de leurs actions et leurs caractères.

Quant à l’hystérie féminine dont lui parlait son père, que le Vasheekaran était sensé exorcisé de leurs âmes… La preuve en été sous ses yeux qu’elle n’existait pas. Aucune de ces femmes n’y avait succombé et elles en avaient pourtant toutes l’âge. L’énormité de la situation lui coupa le souffle.

Son peuple oppresse ses femmes depuis la nuit des temps sans aucune excuse valable, tuant des enfants à peine adolescentes à coups de fouet pour le plaisir de les dominer. Allant jusqu’à leur faire croire que ce n’était qu’un désagrément passager pour avoir le droit de vivre. Parlant de la souffrance qu’eux-mêmes enduraient sous l’aiguille, douleur dites insoutenables et pouvant tuer une femme. Menaçant les plus récalcitrantes de les tatouer.

Mais les femmes qui rentraient maintenant dans le bassin ne semblaient pas mortes d’avoir été décorées à l’encre. Les dessins affichés un peu partout sur leur corps soulignaient leurs formes et leurs musculatures. Ils étaient de véritables œuvres d’art qu’elles portaient avec fierté. La peau de leur dos claire et intacte semblait douce. Le dos des femmes de l’Empire suintait la douleur et le traumatisme. Ses cicatrices, soignées grâce à Toumet depuis plusieurs semaines, se mirent à lui brûler le dos comme si elles étaient encore à vif. La chaleur lui prit la tête et ses yeux vomirent des larmes sur ses joues rougies de honte d’avoir été si naïve.

Holga vit la pauvre fille et se précipita vers elle. Toutes l’entourèrent alors qu’elle tombait à genoux, repliée sur elle-même et cette blessure béante qu’était devenu son cœur. On lui parlait mais elle n’entendait que ses propres pleurs et le bruit du fouet. Elle ne sentait que ses morsures sur ses chairs et ne ressentait que l’injustice de ne pas être née au bon endroit. Et, quand bien même elle vivrait le reste de sa vie parmi les Íbúa qui la considéreraient comme l’une des leurs, elle aurait toujours ces horribles marques pour lui rappeler d’où elle venait. Elle était à jamais marquée par la haine et la condescendance de son père qui l’avait mutilée à vie sans plus y penser que s’il lui avait coupé les cheveux.

Et elle comprit que la réaction de Toumet ne venait pas de la présence d’un blason non-fini mais de l’existence des cicatrices mêmes. Elle hurlait de douleur et pleurait de rage. Elle aurait voulu arracher la peau de son dos et la brûler. Elle ne voulait plus appartenir à ce peuple sanguinaire et décadent. Elle ne voulait plus rien qui la relie à cette culture arriérée et stupide. Elle avait honte de tout ce que l’Empire représentait. Honte d’être la fille de celui qui le dirigeait sans aucune intention de l’améliorer.

Sans trop savoir comment, elle se retrouva dans les bras de Toumet. Toujours sur le sol au bord du bassin, elle avait fini par se calmer sous les paroles douces de toutes les femmes qui l’entouraient. Holga lui offrit de quoi se moucher et se rincer le visage, une autre lui tendit un verre d’eau et chacune n’affichait que des regards inquiets.

Elle finit par reprendre le contrôle de sa respiration et de sa voix. Elle ne put s’empêcher de s’excuser et de remercier tout le monde, avant d’enfin les rassurer. Non, elle n’était ni blessée, ni souffrante. Tout du moins plus maintenant. Et, à sa propre surprise, elle retira sa chemise. Il s’en fallut de peu pour que les hoquets de surprise et d’horreur qui en résultèrent fassent rejaillir les larmes mais elle parvint à se contrôler et répondit aux questions muettes qu’elle voyait sur tous les visages.

Sans s’en apercevoir, elle raconta l’entièreté de son éducation, en quoi consistait le Vasheekaran ou le blason et pourquoi elle avait été tant inquiète de le montrer jusqu ici. Alors qu’elle parlait, Toumet la dirigea vers le bain et l’aida à se laver. Une fois de plus, l’eau chaude fit des merveilles et elle se détendit tout en parlant. Les femmes autour d’elle se lavaient aussi et posaient parfois des questions, mais toutes l’écoutaient avec attention. Le dégoût et la consternation qui se lisaient sur leurs visages la rassurèrent. Pour la première fois de sa vie, quelqu’un avait une réaction qui lui paraissait proportionnée face à ce rituel infâme.

Elle leur parla du fouet et du baume de son père. Elle leur parla de l’isolement et Nishka, du rituel de l’heure du thé et de Ning. Elle leur raconta comment il l’avait abandonné et comment elle avait été déstabilisée par les agissements des guerriers d’Ulrik dans la salle du trône. De sa peur face à ce peuple que tout le monde appelait « barbare ».

Mais quand elle en vint au rituel d’ouverture, elle se tut.

Toutes attendaient la suite, mais, voyant qu’elle ne pouvait continuer plus loin, elles se mirent à discuter entre elles de ce qu’Ishta venait de leur dire. Acceptant simplement le fait qu’elle n’était pas encore prête à partager la suite. Elle ne leur demanda pas de ne rien dire à personne, comme elle l’avait fait avec Toumet au tout début. Qu’elles en parlent ou pas, peu importait. Elle ne pouvait se défaire de cette part d’elle-même mais, désormais, elle n’était plus seule pour y faire face.

Les jours passèrent avec la même routine, chacun s’occupant durant la journée avec une tâche ou l’autre mais changeant tous les jours, pour ne pas tomber dans l’ennui. Ishta comprenait chaque jour un peu mieux les règles des différents jeux contés ou chantés et se surprit à y participer une fois ou l’autre, sous le regard approbateur de ses proches. Le soir, elle retournait dans sa chambre, bien vite rejointe par une demi-douzaine d’adolescentes surexcitées de passer un moment ensemble.

Petit à petit, les choses changèrent autour d’elle, des gens qui, auparavant, ne faisaient même pas acte de sa présence se mirent à lui dire bonjour et lui adresser la parole. Les regards hostiles se firent de moins en moins présents.

Malgré ça, l’atmosphère générale se détériora. Au bout de trois semaines, les éclats de voix se firent entendre plus souvent et innilokun étaient de plus en plus invoqués. Quand Ishta en parla avec Askel, faisant part de son inquiétude pour la suite du confinement, celui-ci eut un sourire énigmatique.

« D’ici la fin de la semaine, la plupart d’entre eux auront oublié leurs pudeurs et leur humeur va s’améliorer t’inquiète pas ! »

La remarque fit beaucoup rire son frère et Ishta sut qu’elle n’avait pas envie d’en savoir plus.

Un matin, alors qu’Ishta taillait des lanières de cuir à tresser, une femme s’approcha de son groupe de travail et immédiatement l’atmosphère changea.

Le groupe se tut et semblait mal à l’aise. Finn, assis à côté d’elle se redressa et porta sa main à sa ceinture, le regard dur. Petite, par rapport aux autres Íbúa, des cheveux roux flamboyant, la femme fit un geste d’apaisement vers le guerrier et s’approcha d’Ishta.

« Je m’appelle Oda et je suis la sœur d’Ivar, l’homme qui t’a attaquée. »

Ishta se raidit mais la femme ne semblait pas être agressive, plutôt mal à l’aise.

« J’aurais voulu te raconter une histoire, si tu veux bien l’entendre ? »

Sans rien dire, Ishta se décala sur le banc pour laisser une place à Oda. Celle-ci s’installa et commença à tailler des lanières de cuir tout en commençant à parler.

« Il y a une douzaine d’années, mon clan d’origine a été décimé par un autre. J’avais treize ans et ils m’ont prise comme esclave. J’appartenais à quelqu’un de cruel qui s’amusait à dessiner sur ma peau au fer blanc. »

Elle s’était arrêtée de travailler et Ishta la regarda avec horreur.

« Je ne te raconte pas ça pour recevoir ta pitié. Au bout de quelque mois je me suis enfuie et j’ai été recueillie ici. Si je te dis tout ça, c’est parce que je sais ce que c’est que d’être marquée à vie et de ne pas pouvoir se défaire de souvenirs traumatisants. »

Elle marqua une pause, n’osant pas regarder Ishta. Elle ne semblait pas sûre de comment continuer sa phrase et Ishta ne savait trop comment réagir. Elle ne comprenait pas ou la femme voulait en venir. Cela ressemblait à des excuses mais sans vraiment en être.

« L’attitude de mon frère a été ce qu’elle a été et je n’en suis pas responsable même si je la déplore. Il a fait son choix. Je t’en ai voulu lorsque j’ai vu que tout le monde se ralliait doucement à ta cause.

- Je pas avoir de cause ! Je juste veux survivre !

- Je sais ça, maintenant… Et c’est pourquoi je suis là. Mon frère a été buté. J’ai été butée. Pour ça, je veux te partager la solution que j’ai trouvée pour faire face à mon passé. J’ai jamais vraiment pu m’en défaire, au lieu de quoi je l’ai embrassé et me le suis réapproprié à ma façon. »

Elle souleva ses jupes pour dévoiler ses jambes. Ishta dû y regarder à deux fois pour comprendre ce qu’elle voyait. La peau claire était marquée par des sillons de brûlures mais chacun d’entre eux était entouré d’encre, créant des formes élégantes et raffinées, reliant chaque marque dans un motif complexe impressionnant. Oda n’avait pas essayé de cacher ces cicatrices mais elle en avait fait une œuvre d’art qu’elle pouvait être fière de montrer.

« Je suis la dessinatrice sur peau la plus demandée des clans alentours, j’ai fait ces motifs moi-même, ajouta-t-elle avec fierté. J’ai attisé le feu qui brûlait contre toi dans le cœur de mon peuple, c’est en partie ce qui a poussé mon frère à agir bêtement... Je voudrais réparer ma bêtise. Ce serait un honneur pour moi de t’aider à te réapproprier ton passé si tu en ressens le besoin. Les hommes de ton peuple t’ont enchaînée par la peur de l’encre, est-ce que ça te plairait de leur montrer que tu t’en es libérée ? »

Il y avait trop d’informations à assimiler pour Ishta. L’idée de l’aiguille faisant rentrer l’encre dans sa peau la terrifier, une peur incrustée dans son esprit par seize années d’endoctrinement. D’un autre côté, le pied de nez à l’Empire était bien trop tentant pour être ignoré, il n’existerait pas de meilleure manière de clamer au monde qu’elle ne leur appartenait plus. Par la même occasion, elle montrerait aux Íbúa qu’elle était prête à embrasser pleinement leur monde et leur culture.

Oda prit son silence pour de l’incertitude et reprit la parole.

« Tu n’es pas obligée de me répondre tout de suite, l’encre ne peut pas être appliquée dans un environnement comme le confinement, trop de risques d’une mauvaise réaction. Il faudra attendre la fin du Storkan, tu as le temps. »

Ce n’est pas la première fois que les Íbúa interprétaient son temps de réflexion comme un refus de répondre. Aussi elle rectifia la situation tout de suite.

« Ça c’est parfaite idée. Merci de me le proposer, Oda. Au Saa… À la Dod Varmt j’ai pas le droit parler alors je habituer à beaucoup réfléchir. Je mets du temps de répondre mais je suis d’accord. »

Oda sourit et reprit le travail, Ishta fût surprise qu’elle ne retourne pas d’où elle venait mais les discussions reprirent normalement et cela ne semblait déranger personne.

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