Libération
Ishta était sonnée, elle n’était pas sûre de bien comprendre. Pourtant la phrase du chaman était claire. Mais, s’il était Fryktebjorn...
« Tout ce temps je peur de lui et c’était toi... murmura-t-elle, incrédule. Pourquoi tu me pas dis avant ? »
Ishta comprenait qu’Ulrik ne lui voulait pas de mal, mais en l’instant il était toute la raison de son malêtre. Pas Leif. Lui ! Visiblement, Ulrik ne savait pas plus qu’elle comment réagir, le visage défait, il cherchait une réponse d’un geste vide de ses mains.
« Pourquoi ? » demanda-t-elle à nouveau.
Ulrik ouvrit la bouche mais il fût interrompu par Askel, déboulant depuis le chemin avec le reste des guerriers d’Ulrik.
« Ishta tu vas... Oh la vache ! Il est énorme ! Tu m’étonnes qu’on n’était plus attaqué ! »
Askel avait été coupé dans son élan par la taille monstrueuse de la carcasse de la bête qui brûlait encore par endroit. L’arrivée du reste de la troupe ramena Ishta dans l’instant et elle fut assaillie par l’odeur d’ozone et de chair brûlée. Ses vêtements de laine étaient trempés et pesaient lourds sur ses épaules, se rajoutant à sa fatigue.
Ulrik envoya Olvir et Sigvald récupérer Knut entre les arbres tandis qu’il fabriquait un brancard de fortune avec Askel.
Asvard faisaient le tour de la carcasse, étudiant les marques de brûlure sur le sol.
« Un éclair ? s’étonna-t-il alors que les guerriers revenaient en portant Knut, toujours inconscient. Vous avez eu une sacrée chance...
- Non. » répondit simplement Ulrik et il lança un regard en direction d’Ishta.
Elle les vit tous se tourner un à un vers elle, le visage ahuri, alors que la compréhension se faisait dans leurs esprits. Elle-même n’était pas sûre de ce qui venait de se passer, mais elle ne voyait pas en quoi appeler un éclair qui ne réclamait que de venir était plus impressionnant qu’invoquer une foule d’âme depuis le pays des morts.
« Pas un mot à Leif. » ajouta Ulrik, alors que tous acquiesçaient.
Mais Ishta n’était pas d’accord. Pour un peuple à cheval sur l’honnêteté comme les Íbúa, elle trouvait ses sept-là fort cachottiers.
« Pourquoi ? » demanda-t-elle. Ne recevant aucune réponse, elle continua, d’un ton résigné. « Je me trouve toujours à poser cette question… Et jamais l’un de vous répond. Il va faire quoi Leif s’il sait ? »
Silence.
« Parce que si vous me répond pas, j’irai demander à lui directement. »
Askel pouffa. Gêné par le regard de reproche d’Ishta, il expliqua :
« Pour quelqu’un qui osait à peine parler il y a quelques semaines… Tu te rattrapes, pour sûr, Sjel ! »
Elle ne savait pas si la pique se voulait blessante mais elle n’en retira que de la fierté. Oui, elle avait bien grandi.
« La guerre a rendu Leif paranoïaque, expliqua Ulrik. Il est persuadé que si tu as de la magie, tu vas courir transmettre tout ce que tu sais à ton père à la seconde où tu le pourras. »
Devant l’absurdité de la chose, Ishta ne put s’empêcher d’éclater d’un rire nerveux qui déstabilisa tout le monde. Il lui fallut un moment pour se reprendre et avoir assez de souffle pour s’expliquer.
« Si mon père meurt de soif sous mes yeux, je même pas crache dans sa bouche pour l’abreuver. » et pour bien illustrer ses propos, elle cracha par terre.
« Mais je pas comprends ce que ça change pour lui. J’ai pas beaucoup à dire qui aide mon père. »
C’est Finn qui lui répondit.
« Il a peur que tu lui apprennes pour ton mariage avec Fryktebjorn trop tôt. »
L’incompréhension d’Ishta dû se lire sur son visage car il expliqua.
« Le but de ton mariage c’était d’avoir la paix durant le Storkan. On ne peut pas utiliser les cercles de pierres pendant la grande tempête, du coup on peut pas défendre le peu de terre qu’on a gagné avec la guerre. C’est compliqué à expliquer mais on a besoin que les combats reprennent au printemps sans que nous soyons ceux qui brisent la trêve. »
Ce fut comme si la lumière s’allumait enfin dans son esprit.
« Me marier à Fryktebjorn c’est l’insulte qui fera que mon père attaque. Mais si lui apprend ça trop tôt, vous peut pas défendre les soldats restés sur place ! »
Le plan n’était pas mauvais du tout, un peu alambiqué, mais pas mauvais. Elle comprit aussi que Leif n’hésiterait pas à s’en prendre à elle si jamais elle devenait une menace en dévoilant la supercherie trop tôt, le charpentier lui avait prouvé ça. Elle doutait qu’Ulrik le laisse faire, emmenant avec lui ses six guerriers, créant une dissension terrible au sein du commandement militaire Íbúa. Voilà pourquoi les guerriers n’hésitaient pas à garder le silence sur sa magie potentielle. Une pointe de regret perça son cœur, si Leif avait pu lui faire confiance plutôt, elle aurait pu vivre ces dernières semaines de manière plus sereine.
« Je crois que c’est le moment pour que je parle à Leif, dit-elle d'un ton décidé.
- Tu n’es pas obligée, Sjel. » Ulrik avait l’air gêné.
Ishta comprenait maintenant qu’il aurait pu mettre un terme à la paranoïa de Leif et elle comprenait mieux ce qu’il avait voulu dire avant le Storkan, alors qu’ils étaient seuls dans sa nouvelle maison.
« Je sais, mais je veux arrêter toute cette bêtise, répondit-elle. Si on rentre ? C’est la nuit maintenant, je froid et l’état de Knut et Finn va pas aller mieux avec la pluie. »
Le trajet de retour se fit dans le silence. Ishta avait beaucoup de choses auxquelles réfléchir et l’annonce d’Ulrik tournait encore dans sa tête. Un coup elle était en colère contre le chaman, l’instant d’après le soulagement de savoir qu’il était son fiancé la submergeait. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi il s’était tu, mais ce n’était pas une discussion qu’elle voulait avoir devant les autres, assaillie par la fatigue et la culpabilité.
Parce qu’elle avait bien conscience que, sans sa bêtise, Finn ne serait pas allongé sur le brancard de fortune tiré par Askel. Elle n’osait imaginer ce qu’Holga allait lui faire pour avoir mis son mari en danger. Knut, de son côté, s’était réveillé alors qu’ils essayaient de l’installer sur le sien, ne se plaignant que d’un léger mal de tête et d’une légère douleur au côté.
Mais elle était encore bien loin de comprendre toute l’implication de son comportement. L’annonce de la mort du Glemsött fût accueillie par des regards graves et inquiets. Avec son action irréfléchie, Ishta avait perdu le peu de bienveillance qu’elle avait pu gagner durant le Storkan, elle se fit donc aussi discrète que possible. Les Íbúa ne voyaient pas d’un bon œil la mort de l’animal et toute personne capable de tenir une arme fut enrôlée pour entamer les rondes sur les terres autours de Jorundarholt. Le Glemsött mort, les autres créatures sauvages n’allaient pas tarder à venir chercher à manger sur son territoire désormais vacant.
Ishta ne comprenait pas bien comment les autres animaux sauraient que l’ours était mort. Aussi, un midi qu’elle mangeait avec Toumet et Astrid, elle posa la question.
« Le Glemsött faisait des rondes, lui expliqua Astrid. Elle laissait ses marques de griffes sur les arbres. Son urine a une odeur forte aussi. Très peu osent s’enfoncer sur son territoire.
- Elle ? demanda Ishta.
- Oui, répondit Toumet. Ce sont les femelles qui s’occupent du territoire et de la chasse, les mâles restent à la tanière. Les glemsött vivent en groupe normalement mais celle-là est toujours restée seule depuis son arrivée. C’était sa première grossesse d’ailleurs.
Celle qu’elle avait combattue était enceinte, à l’arrivée du printemps…
« Celle-là était encore grosse alors ? Ou bien le petit déjà sorti ?
- Peu importe, dit Astrid. Si elle était enceinte, il est mort avec sa mère. Si elle a mis bas, il va mourir seul dans la nature. »
Ishta ne comprenait pas le désintérêt des deux femmes, ne voyaient-elles pas que le petit pouvait être la solution ?
« Pas peu importe ! s’insurgea-t-elle. Si le petit est vivant, il peut prendre le rôle de sa mère, d’autant plus si c’est une femelle !
- Aucune chance qu’il survive de lui-même aussi jeune, répondit tout net Astrid. Il mourra de faim, s’il ne se fait pas dévorer.
- Justement, répondit Ishta d’un ton ahuri. On doit pas le laisser mourir. »
Ce fût au tour de la mère et la fille de paraître confuses. Et Ishta comprit son erreur. Maintenant qu’elle y pensait, les Íbúa n’avaient pas d’animal de compagnie. Ils avaient du bétail, comme les moutons ou les poules, et ils avaient des animaux de travail, comme les chevaux ou les ânes. Mais pas d’animaux sauvages, domestiqués. Mais c’était pourtant, ici, la meilleure solution.
« Laissez tomber, je m’occupe. » dit-elle aux deux femmes.
Et elle partit nettoyer son assiette, les laissant pleines de questions.
Elle priait pour que le petit soit né et encore en vie. Mais elle ne ferait pas la même erreur deux fois, aujourd’hui elle chercherait Ulrik pour qu’il l’accompagne. Quatre jours s’étaient passés depuis l’incident et, avec les patrouilles à effectuer, elle ne l’avait que très peu vu. De plus, le chaman évitait visiblement de se retrouver seul avec elle. Pourtant, il faudrait bien discuter du sujet à un moment ou l’autre. En lui demandant de venir avec elle, elle espérait pouvoir rouvrir le dialogue.
Elle le trouva un matin alors qu’il s’occupait d’Hakon, s’assurant que le cheval serait en état de faire la patrouille de l’après-midi.
Il tenta d’abord de s’éclipser mais s’aperçut bien vite qu’il n’avait nul pas où aller, le petit gabarit d’Ishta bloquant, comme elle le pouvait, l’entrée de la grange où il se trouvait.
« Je besoin de ton aide. Tu vas éviter moi encore ou tu viens avec ? demanda-t-elle, décidée.
- Ça dépend, répondit-il, l’air grognon. Tu comptes déranger la tanière d’un autre Glemsött ? »
Techniquement ce n’était pas une autre tanière… Devant l’absence de réponse de la jeune femme, Ulrik se redressa pour faire face à son visage décidé et, légèrement, gêné. Il eu un soupir exaspéré.
« Pour quelle foutue raison tu irais là-bas à nouveau ? Si tu veux me punir, fait le ici et qu’on en parle plus ! »
Le punir ?
« Tu crois que je fâchée contre toi ? C’est pour ça que tu évites moi ?
- Le clan t’en veut pour ce qui s’est passé et c’est moi qui t’y ai poussé. Sans parler de ce que je t’ai caché. T’es en droit de demander réparation pour ce que j’ai fait... »
Ishta vit alors les cernes sous ses yeux rougis, l’air hagard et son ton abattu. La culpabilité qui le rongeait serra le cœur d’Ishta.
« D’accord, répondit-elle. Si tu estimes que je dois punir toi, voilà ma punition. »
Elle fit une pause, laissant ses paroles s’imprégner dans l’esprit du guerrier qui baissa la tête, résigné. Non, elle ne voulait pas le punir, mais lui faire un peu peur peut être…
« Explique-moi pourquoi, c’est ça, ta punition. Pourquoi tu rien dit à moi ? »
Elle allait enfin avoir sa réponse. Ulrik soupira.
« Un Íbúa qui fait un mariage arrangé… Ca va a l’encontre de tout ce en quoi on croit. J’espérais que… Je sais pas… Que ça ne soit pas si arrangé que ça... »
Le rouge lui était monté aux joues et Ishta n’arrivait pas à démêler ses paroles. Ulrik le comprit car il prit une grande inspiration pour se donner du courage avant de continuer.
« J’espérais qu’avec le temps tu puisses m’apprécier, même un peu... Alors je te l’aurais dit... Et peut être que tu te serais sentie moins prise au piège le jour du mariage et que tu ne dirais pas non... Je sais pas... »
Ishta n’en croyait pas ses oreilles. Cet imbécile de géant ne se rendait pas compte qu’elle s’était refusé tout sentiment à son égard précisément parce qu’elle ne savait pas qu’il deviendrait son époux. La situation était tellement aberrante qu’elle en devenait risible. Et c’est ce qu’elle fit. Elle fût prise d’un grand éclat de rire incontrôlable, mais se rendit tout de suite compte qu’Ulrik avait mal interprété sa réaction.
« Personne ne te forcera à m’épouser si tu veux pas, dit-il d’une voix plus forte que nécessaire, les joues rougies par la honte. Et celui qui le fera prendra ma hache dans le ventre. Et, même si tu me pardonnes pas, s’il te plaît préviens quand même ton père qu’on a voulu te marier à Fryktebjorn histoire que le plan fonctionne comme prévu. Mon peuple n’a pas à pâtir de ma bêtise. »
La peine qu’elle lu sur son visage coupa instantanément son rire. Elle s’approcha du géant et l’attrapa par le col pour l’attirer au sol. Docilement, il s’assit et elle se mit à sa hauteur, son regard planté dans celui du chaman.
« Ulrik, messager des Dieux, chaman du futur clan de moi, tu es idiot. Oui je suis colère mais pas autant que ce que je suis soulagée. Si je repoussais toi c’est que je devais épouser un autre. Pas parce que je veux pas toi. »
Le regard confus et plein d’espoir d’Ulrik la fit fondre. Alors elle se fit plus précise.
« Si un autre homme vient au lieu de toi le jour du mariage de nous, c’est moi qui te plante dans le ventre. Tu comprends ? »
Le visage du chaman se transforma sous le soulagement et il la serra contre lui. Coincé dans ses bras puissants, elle ne pouvait plus bouger mais elle se sentait enfin en sécurité, aussi elle lui rendit son étreinte.
« J’ai cru qu’elle allait te mettre en pièce ce foutu glemsött, lui murmura-t-il dans l’oreille. J’ai jamais eu aussi peur.
- Et moi, alors... répondit-elle dans un souffle.
La pensée fugace des lèvres d’Ulrik sur les siennes lui chauffa les joues et son cœur battit la chamade. Elle enfoui son visage dans le cou du guerrier pour cacher son embarras, l’odeur familière de cuir, de foin et d’herbe coupé l’envahit.
« Tu avais vraiment besoin de moi pour quelque chose ou c’était juste une excuse ? » demanda-t-il doucement.
Le bébé abandonné lui revint en tête et elle se leva précipitamment.
« Ah Oui ! Viens, nous on a bébé glemsött à adopter ! »
Et elle rit doucement devant son regard perdu.
Il avait fallu négocier un moment pour qu’Ulrik cède et accepte d’accompagner Ishta. Il ne comprenait tout simplement pas en quoi le fait que le glemsött soit un bébé le rendait actuellement moins dangereux à approcher, pas plus qu’il ne comprenait en quoi s’encombrer d’un animal sauvage pourrait les aider au quotidien.
Ce n’est que quand elle lui expliqua avoir déjà dompté un tigre qu’il accepta de l’emmener. Non pas qu’il l’avait réellement prise au sérieux. Les Íbúa ne connaissaient pas les tigres avant la guerre et les premières rencontres avec l’animal avaient emportées bon nombres de leurs guerriers. Alors l’idée de sa petite personne commandant un fauve de trois cents kilos le fit beaucoup rire, mais l’histoire l’intrigua assez pour qu’Ishta lui propose un marché. Elle lui racontait comment elle s’y était prise sur le chemin et, si le chaman ne la croyait toujours pas, ils feraient demi-tour.
C’est comme ça qu’ils se retrouvèrent en direction de la tanière, sur le dos d’Hakon. Ishta était de nouveau installé devant Ulrik, inconfortablement, n’osant pas s’appuyer contre son torse. Le parallèle entre sa situation actuelle et son arrivée, plus de deux mois auparavant, s’imposa à son esprit. Elle se revit perdue et inquiète, n’ayant jamais côtoyé d’homme de si près, elle n’osait se tenir à lui d’une quelconque manière par peur de le toucher.
Mais, aujourd’hui, son trouble était autre. Sa dernière conversation avec le chaman envahissait son esprit, l’aveu qu’elle lui avait fait, et le fait qu’il soit celui qu’elle devait épouser, donnait à leur relation une profondeur qu’elle n’arrivait pas encore à appréhender. L’image des lèvres d’Ulrik se posant sur les siennes ne cessait d’apparaître dans son esprit et la rendait bien trop consciente de la présence du chaman dans son dos. Elle ne savait plus comment se comporter, définir ce qui était normal ou ce qui ne l’était pas dans leur relation. Elle en avait presque oublié comment respirer correctement.
Alors qu’elle perdait de plus en plus l’équilibre, Ulrik passa un bras protecteur autour de sa taille et l’attira tout contre lui. Mais au lieu de le retirer comme il l’aurait fait auparavant, il continua son étreinte et alla jusqu’à déposer un léger baiser sur le sommet de son crâne. Le geste était tendre et intime, la chaleur envahit le visage de la jeune femme alors que toute pensée la désertait, heureusement son corps réagit sans attendre sa tête, et sa main se plaça d’elle-même sur celle d’Ulrik. Le contact de sa peau était grisant et tout son corps se détendit.
Personne d’autre que sa mère ne l’avait jamais enlacé de manière aussi intime, elle se laissa aller à la douceur du moment, incrédule sur le fait que son tour soit enfin arrivé. Peut-être allait-elle émerger et comprendre enfin que cette nouvelle vie n’était qu’un doux rêve qu’elle se serait créé ? Se réveillant au son du fouet de son père. Elle trembla légèrement à cette idée, se raccrochant au bras d’Ulrik qui, bien qu’inconscient de son trouble passager, la serra plus fort contre lui.
« Tu devais pas me raconter un conte épique sur ta petite personne domptant le fauve le plus meurtrier de tes contrées sauvages ? » demanda-t-il d’une voix douce et rieuse.
Contente de la diversion, elle commença à raconter comment ses sœurs et elle s’étaient prises d’affection pour le bébé tigre d’un de ses frères. Si l’histoire commençait bien, elle avait en revanche une triste fin et se replonger dans ce souvenir ne l’enchantait pas vraiment. Mais si cela pouvait convaincre Ulrik…
Um Rohan, de trois ans son aînée, avait reçu pour son onzième anniversaire un bébé tigre. Possédant déjà plusieurs animaux de compagnie il s’en désintéressa bien vite. Voyant le regard d’envie de ses sœurs, il leur dit de l’éduquer à sa place et que, si elles faisaient du bon travail, elles pourraient même le garder.
Encore naïve à l’époque, Ishta ne mit aucunement en doute l’offre de son frère et entreprit, avec l’aide de Sha Roshna, d’éduquer le jeune tigre. Elles le nommèrent Mahin, signifiant puissant et extraordinaire, et c’était approprié. Elles s’en occupèrent jours et nuits pendant plus d’un an et lui donnèrent tout leur amour. Un jour où Um Rohan s’ennuyait particulièrement, il leur demanda de lui présenter les progrès de l’animal. Certaine de pouvoir le garder et fières du résultat de leur travail, elles se présentèrent devant le jeune prince avec Mahin.
Celui-ci, persuadé de passer un bon moment à les ridiculiser face à leur inévitable échec, ne fut que plus en colère de voir à quel point la bête était docile, affectueuse et obéissante.
« Quel gâchis... avait-il alors dit. Un animal si intelligent obéissant à deux pisseuses… Vous l’avez rendu complètement inutile, c’est dommage. »
Et il fit signe à son garde personnel qui se tourna vers le tigre, inconscient du danger, et le tua d’un coup de sabre.
Ishta frissonna à ce souvenir. Elle se revit, tremblante de rage et de douleur, s’empêchant de proférer un son ou de laisser couler une larme, ne sachant que trop bien ce qui se passerait sinon. Ulrik la serra de nouveau contre lui, déposa un nouveau baiser sur sa tempe. Elle n’était pas sûre de pouvoir un jour s’habituer à cette sensation.
« Plus j’en apprends sur ta famille et plus je meure d’envie de la rencontrer... » murmura-t-il, menaçant.
Ishta ne savait pas trop quoi lui répondre et, heureusement, elle n’eut pas besoin de le faire, ils étaient arrivés devant la grotte. Et, à son grand soulagement, les pleurs du bébé encore vivant atteignaient déjà leurs oreilles.
Ils le trouvèrent au milieu des sacs de nourriture éventrés, cherchant désespérément à manger, mais incapable d’avaler ce qu’il trouvait. Comme elle s’en était doutée, il n’était pas encore sevré. Ulrik lui apporta les outres de lait de chèvre qu’ils avaient pris le temps d’acheter en chemin. Elle en renversa un peu sur le sol et il ne fallut pas longtemps pour que le petit, tout d’abord apeuré et feulant, s’approche doucement, attiré par l’odeur familière.
Quelques minutes plus tard, il tétait goulûment à même la poche de cuir que retenait difficilement Ishta. À sa grande surprise, le petit ourson n’était pas blanc mais brun et des petits bois dépassaient déjà du haut de sa tête.
« On a de la chance, commenta Ulrik. C’est une femelle. »
Devant regard confus d’Ishta, il expliqua :
« Seules les femelles ont des bois.
- Et le pelage blanc ? Ça change de ours à ours ou alors ça viendre avec l’hiver ?
- Un ours ? Ulrik rit doucement. Les ours sont pas dangereux en comparaison de celui-là… Mais oui, ils changent de pelage en hiver pour se fondre dans la neige. Même la couleur de leur bois change. »
Ils restèrent un long moment dans la tanière, laissant l’animal s’habituer à leur présence. Grosse boule de poils arrivant aux genoux d’Ulrik, Ishta aurait eu bien du mal à la porter dans ses bras tellement elle était imposante. Pourtant, elle était minuscule comparé au gabarit de sa mère. Finalement, après maintes tentatives, le glemsött se laissa caresser et, quelques instants plus tard, il vint se lover sur les genoux d’Ishta.
« On peut va y aller, dit-elle à Ulrik. Tu peux prendre les sacs au sol là où elle dormi ?
- Pour l’odeur, je suppose ? demanda Ulrik.
- Oui, c’est la dernière chose qu’elle avoir de sa mère. Ça sera plus facile pour elle de dormir avec. »
Elle voulu se lever mais l’animal ne la laissa pas faire, se collant le plus possible à elle pour ne plus être seul. Mais, elle parvint finalement comme elle put à soulever le bébé qui s’accrocha à son épaule.
« Elle peut marcher ? Elle va nous suivre ? demanda Ulrik
- Je sais pas, je crois qu’elle s’accroche pour pas que je la laisse seule. Hakon va pas pouvoir porter nous tous, pas vrai ?
- Non, mais on est pas très loin, je peux marcher. »
La descente jusqu’au village parût bien plus rapide, le petit glemsött refusa tout bonnement de s’écarter d’Ishta, s’accrochant à son épaule et son cou comme un petit enfant humain. Son ton posé alors qu’elle discutait avec Ulrik sembla peu à peu calmer l’animal. Finalement ils passèrent devant la petite maison qu’Ulrik lui avait construite et Ishta arrêta Hakon.
Elle resta muette quelques instants, rester ici serait une bonne idée, tout du moins pour cette nuit. Amener le glemsött au Hoveduren promettait d’être compliqué et elle ne voulait pas gérer ce problème tout de suite. D’un autre côté, rester seule dans la maison l’angoissait quelque peu.
« Ulrik, cette maison… Tu l’as faites pas que pour moi… C’est la future maison de nous, pas vrai ?
- Non. Cette maison elle est pour toi. Tu avais besoin d’un endroit où vivre, tu l’as. Si tu veux la partager avec moi c’est ton droit mais tu n’y es pas obligée. »
La voix calme et assurée d’Ulrik mit fin à ces incertitudes. Le rouge lui monta aux joues alors qu’elle lui demanda :
« Je jamais vécu seule… Et je pas envie de faire ça. Tu bien vouloir partager la maison avec moi… Maintenant ? »
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