Chapitre 30 - Couronne

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« Je suis pas un porc ! dit-il, faussement outré. Je préfère profiter de ce moment pour pouvoir enfin te parler, te voir pour la première fois depuis longtemps… J’ai maudit ce foutu voile et je le maudis encore aujourd’hui. Bande de dégénérés bouffis d’orgueil… Ils m’ont humilié, ils t’ont… Je les détruirai tous autant qu’ils sont…

Mais ensemble, nous serions deux contre le monde. À nous deux, l’Empire prendrait une tout autre direction…

- Parce que tu comptes changer les choses ? »

Elle avait parlé sans réfléchir et regretta de ne pas avoir plutôt appelé à l’aide. Mais quelque chose au fond de sa tête l’en empêchait. Elle savait que faire venir les Íbúa ne ferait qu’augmenter la colère du prince et son sentiment de puissance, elle préférait mourir plutôt que d’en arriver là. Um Dakshi était un homme dangereux, capable de beaucoup une fois en colère.

« Oui, toi et moi, ensemble, nous en avons les moyens. J’en suis certain. Viens avec moi… »

Son ton s’était presque fait suppliant… Presque.

« Tu n’as rien à m’offrir qui m’intéresse, cracha-t-elle dans un murmure.

- Regarde autour de toi, ricana-t-il. C’est ton futur mari ici qui n’a rien à t’offrir. Je te promets le monde, le pouvoir, le statut de ton choix. Je peux te donner tout l’or et les bijoux que tu mérites. Tu ne manqueras jamais de rien. Je ferai de toi une femme puissante, intouchable.

- Mais ce que je veux, c’est ma liberté. Tu ne veux pas m’aimer, tu veux me posséder. Ici, mon futur mari m’aime et me respecte, moi et mes choix.

- Personne ne t’aime plus que moi ! Cracha-t-il en attrapant la mâchoire d’Ishta de sa main. Tu m’entends ? Personne !

- C’est pas de l’amour que tu as pour moi, et tu me fais mal. Plutôt mourir que d’appartenir de nouveau à quelqu’un ! »

Il allait répondre mais se tut. Des bruits de pas lourds et précipités se faisaient entendre dans l’escalier. Alors il serra Ishta contre lui, la submergeant de son parfum écœurant, il enfoui son visage dans les cheveux épais de sa sœur et inspira profondément. Puis il s’éloigna comme si rien ne s’était jamais passé.

Ulrik apparut en haut des marches, cherchant le regard d’Ishta qui tenta de le rassurer d’un geste. Mais elle devait faire bien pâle figure, adossée contre le mur, tremblante, parce qu’une lueur bleue à peine perceptible s’alluma dans le regard du chaman alors qu’il prit la parole d’une voix rauque.

« La sia preciuosa ast aspezia. Oun pericò con el süia gentess. »

Elle se tourna vers son frère dont le regard calculateur passait sans interruption d’elle, au chaman, son visage n’affichant que de la rage. Le cœur d’Ishta se serra. Il avait fait le lien entre elle et Ulrik, tous leurs plans tombaient à l’eau. Fryktebjorn pourrait apparaître au mariage que Dakshi n’y croirait pas. Il n’était pas stupide.

« Je m’en occupe, » répondit sèchement Dakshi en direction d’Ulrik, laissant tomber tout faux-semblant sur les barrières de la langue.

Sans plus se préoccuper d’Ishta, Um Dakshi se précipita dans l’escalier. Inconscient de la découverte de leur relation par le prince, Ulrik le suivi, à regret.

Dès que les deux hommes disparurent dans l’escalier, l’écho de leurs bottes noyé par le brouhaha des conversations du rez de chaussé, Nishka lâcha le coffre en bois sans plus de ménagement, retirant son voile de bienséance pour se précipiter sur Ishta et la serrer fort contre elle. La jeune femme s’effondra dans ses bras et elles se retrouvèrent toutes deux à genoux, Ishta pleurant toutes les larmes de son corps tandis que Nishka lui caressait doucement les cheveux.

« Je suis t-t-tellement désolée m-m-mon enfant… murmura-t-elle en boucle. »

Toumet, Astrid et Knut arrivèrent quelques instants plus tard, les deux femmes s’installèrent autour de la Vieille Mère et la princesse, s’ajoutant à l’étreinte. Aucune ne parla si ce n’est Toumet, pour adresser quelques mots rassurant à Knut, laissant Nishka continuer sa litanie jusqu’à ce que qu’Ishta n’ait plus de larme à verser.

Debout devant la glace entourée de rose de bois peintes en rouge, Ishta se contemplait de la tête au pied pour la première fois depuis longtemps.

La robe de lin vert pâle brodée de motif Íbúa argentée soulignait les courbes de son corps et le khôl faisait ressortir ses yeux, adoucissant ses traits. Holga et les couturières avaient fait un travail fantastique. Mais la femme qui lui rendait son regard depuis le miroir ne ressemblait en rien à celle qu’elle avait l’habitude de contempler. Quelques mois seulement s’étaient écoulés depuis la dernière fois qu’elle avait vu son reflet mais la différence ne pouvait être plus frappante. Son visage avait définitivement perdu les rondeurs de l’enfance. Ses membres s’étaient affinés et ses hanches avaient encore pris de l’ampleur. Pourtant, le plus marquant restait ses yeux. Non pas qu’ils aient beaucoup changés, mais ce n’était plus le regard d’une enfant que lui renvoyait le miroir. C’était celui d’une femme. Plus dur, plus assertif.

Nishka le lui avait dit, une fois ses larmes passées. Elle avait d’abord posée une main douce sur sa joue avant de murmurer :

« Tu es p-p-partie en enfant apeurée et t-t-traumatisée. Je te retrouve femme é-é-épanouïe et Heureuse… Parce que t-t-tu es heureuse, n’est-ce p-p-pas ? Je le vois dans tes yeux… »

Revoir la Vieille Mère dans cet état lui avait brisé le cœur, éteignant les dernières étincelles de colère et rancœur qu’elle avait encore à son égard. Une vilaine cicatrice lui barrait désormais le visage. Depuis le milieu de la joue, elle passait sur la tempe et finissait loin dans sa chevelure savamment coiffée pour en camoufler une partie. Mais les séquelles n’étaient pas seulement physiques, Nishka ne pouvait s’exprimer sans que sa langue ne s’empâte et il lui arriver d’avoir des absences, le regard vide, donnant l’impression que son esprit avait déserté son corps. Elle n’était pas sûre que l’esclave s’en rende même compte.

« Oui, Vieille Mère, avait-elle répondu avec un sourire doux. Je suis heureuse. »

Um Dakshi avait menti. Nishka n’enseignerait plus rien à personne, elle n’en avait plus les capacités. Elle ne possédait d’ailleurs plus l’habit de sa fonction, n’arborant que celui, plus simple, des servantes.

Les préparations avaient ensuite repris. Elle n’avait pas voulu leur parler de sa conversation avec le prince. Un sentiment diffus que le faire serait lui accorder trop d’importance retint sa langue. Elle le ferait sûrement, mais plus tard. Pas le jour de son mariage. Pas alors qu’il y avait déjà tant de choses qui requéraient leur attention…

Nishka avait ri gentiment des efforts de Toumet et Astrid pour dompter ses cheveux. Il lui avait fallu tout défaire et, avec le geste sûr créé par l’habitude, elle les lui avait remontés sur la tête en des boucles ouvragées et harmonieuses, puis y avait accroché les bijoux sélectionnés avec soin par Astrid. Toumet s’interposa une ou deux fois, se plaignant que la coiffure remontait trop haut sur le crâne ou redescendait trop bas sur le front, pour une raison qu’elle était seule à connaître et, chaque fois, Nishka avait rectifié docilement d’après les traductions d’Ishta.

Les trois femmes s’entendaient étonnamment bien, malgré la barrière de la langue, cette fois bien présente, et l’atmosphère s’était faite douce et joyeuse, même si la présence de Knut avait créé quelques tensions au début. Nishka perdue quant à comment se comporter. Mais, rassuré sur l’état d’Ishta, Knut avait fini par redescendre l’escalier de lui-même pour ne pas déranger plus.

Puis, pour le plus grand plaisir de la jeune femme, Nishka sorti de sa poche un gros pot de poudre khôl avec une petite fourche en bois. Elle avait toujours aimé les motifs des maquillages traditionnels et particulièrement ceux prévus pour les mariages. Alors la Vieille Mère entreprit d’appliquer la poudre et en proposa même à Toumet et Astrid qui acceptèrent volontiers. Sous l’œil amusé d’Ishta, elle apposa sur leur visage à la peau pâle les arabesques désignant la mère et la sœur de la mariée.

Elle n’était pas certaine qu’Um Dakshi apprécie et une petite voix dans sa tête émit l’idée que c’était exactement la raison qui avait poussé Nishka à choisir ces dessins. La Vieille Mère était loin d’être bête, peut-être avait-elle compris ce qu’ils étaient en train de faire…

Il ne lui restait alors plus qu’a enfiler sa robe. Si tôt déshabillée, Nishka eu un hoquet d’effroi en voyant son blason et se mit à parler à toute vitesse, de manière si confuse que même Ishta ne put rien en tirer. Finalement, elle réussit à calmer la Vieille Mère et lui expliqua calmement ce qu’elle avait découvert sur les tatouages, Astrid allant jusqu’à lui montrer ceux entourant sa cuisse et son mollet.

« Votre f-f-frère ne laissera pas passer un tel a-a-affront… s’inquiéta-t-elle. Votre p-p-père encore m-m-moins, lorsqu’il l’apprendra…

- J’y compte bien, répondit-elle avec un sourire en coin. »

Et c’est comme ça qu’elle s’était retrouvée devant le miroir. Il ne lui restait plus qu’à mettre le voile de bienséance. Elle haïssait cette pièce de coton. Et le voile porté le jour du mariage était d’une tout autre envergure. Il ne camouflait pas que la partie haute du visage mais il recouvrait la mariée de la tête au pied. Une fois les vœux échangés, le mari dévoilait alors sa femme et son blason aux yeux de tous, retirant la pièce de tissu qu’elle n’aura plus jamais à porter. Non pas que cela change grand chose à la direction que son regard devait prendre, mais elle était considérée assez maîtresse d’elle-même pour ne pas lever les yeux par erreur.

Ishta se serait bien passée de ce cérémoniale, mais la révélation de son blason altéré n’en serait que plus spectaculaire, elle s’était donc fait une raison. Nishka s’apprêtait à la recouvrir quand Toumet l’arrêta d’un geste avant d’aller farfouiller derrière le paravent séparant le lit du reste de la pièce. Elle revint avec un gros coffre de bois ouvragé sur lequel Ishta pouvait distinguer son prénom gravé en rune Íbúa. Peu importe ce que Toumet avait mis à l’intérieur, ça semblait important.

Elle prit alors un air solennel, imité par Astrid.

« Ishta, Mère de la foudre, femme de mon clan, ma sœur. Bien que nos maris ne soient pas frère de sang, ils sont issus du même foyer et c’est avec un immense plaisir que je te vois aujourd’hui rejoindre notre famille. Mais c’est avec un honneur encore plus grand que j’exécute la tâche que m’a confiée Ulrik, chercheur d’esprit, Ansatt de tous les chamans.

Durant ton séjour parmi nous, tu le sais déjà, tu as été touché par les Sintånd. C’est un grand honneur. Et, bien que tu manques encore de maîtrise, tu n’en as pas moins des responsabilités et des devoirs.

Ulrik, chercheur d’esprit, s’engage à t’enseigner tout ce que tu auras besoin d’apprendre. Il s’engage à te transmettre tout ce qu’il t’est nécessaire de savoir. Ce que je t’offre aujourd’hui sont les symboles de son engagement, le symbole de tes responsabilités et le symbole de ta nouvelle fonction au sein du clan. »

Elle déposa le coffre sur la table et invita Ishta à l’ouvrir d’un signe de la main.

La jeune femme resta interdite quelques instants. Perdue. Toumet venait-elle de l’introniser comme chaman ? Ulrik venait-il de la prendre comme apprentie ? Son côté logique nota tout de même que ce n’était pas une demande. Son lien avec les esprits lui donnait des responsabilités envers tous et il était impensable pour les Íbúa qu’elle puisse les refuser. Non pas qu’elle en ai envie.

D’un geste incertain et tremblant elle enclencha le loquet du coffre et souleva le couvercle. Au centre de la boite, sur un coussin tapissé de velours vert, se trouvait une coiffe en bois de cerf orné de bijoux. Le temps de l’étudier un peu plus et elle comprit enfin qu’il ne s’agissait pas tout à fait de ça. D’un mouvement précautionneux, voir révérencieux, elle souleva l’objet dans ses mains pour mieux l’observer et confirmer ses soupçons.

Elle laissa la lumière du jour faire scintillé la fine chaîne d’argent savamment accrochée qui passait et repassait d’une excroissance à l’autre, créant une résille fine et élégante, de laquelle pendait une multitude de petites perles, clochettes et talismans représentant les différentes divinités Íbúan. Elle remarqua même une petite plaque ronde en bronze sur laquelle avait été apposé le symbole d’Hakon, la divinité gardienne du premier souffle des enfants, dont elle s’était toujours sentie proche sans réelle raison. Elle ne savait pas qui avait créée ces bijoux, ni comment il avait trouvait le symbole d’une divinité du Saam’Raji, mais le résultat était à couper le souffle.

Elle n’aurait pu trouver une meilleure façon d’honorer la mémoire de la mère de Vabachea. Parce que c’était bien de ça qu’il s’agissait. Les bois de la Glemslött avaient été taillés pour être plus courts, Ishta n’aurait jamais pu les porter dans leur taille initiale, mais leur complexité ne laissait aucun doute sur leur origine.

Elle avait les larmes aux yeux alors que Toumet et Astrid lui déposaient la coiffe sur la tête, le symbole de sa fonction, le symbole par excellence de son appartenance au peuple. Et soudain les demandes de Toumet auprès de Nishka alors qu’elle la coiffait prenaient tous leurs sens. La coiffe était faite de telle façon, qu’une fois mise en place, les bois semblaient émergé de sa propre tête. Elle était maintenue par des lanières de cuire que la Vieille Mère passa habilement sous sa coiffure.

Elle se tourna vers le miroir, ne parvenant pas à se convaincre que le reflet de la femme féroce et intrépide qu’il lui renvoyait n’était autre que le sien. Une partie d’elle se demandait ce que ressentirait Ulrik en la voyant, serait-il aussi impressionné qu’elle l’était ? Un léger sourire apparut sur ses lèvres à la pensée qu’elle n’avait jamais paru aussi grande.

Un sifflement admiratif attira son attention. Askel et Knut se tenaient en haut des escaliers, tandis que Nishka se prosterna au sol précipitamment, bien vite remise sur pied par Toumet.

« Tu es superbe, Sjel » ajouta Askel en s’approchant pour la serrer dans ses bras.

Mais la couronne en bois de cerf lui rendit la tache complexe, aussi il se contenta de déposer un baiser maladroit sur sa joue, sous les moqueries douces d’Astrid. Ishta se revit agir de même avec son frère quelques heures auparavant. Sauf qu’ici, l’affection d’Askel était sincère, il l’accueillait comme une sœur de son foyer, rien de moins.

Knut lui serra affectueusement l’épaule, sourire aux lèvres.

« On pourrait presque croire que tu as une taille normale, c’est fou !

- Et un instant je cru que toi tu drôle, c’est fou ! rétorqua-t-elle, pince sans rire. »

Il sourit chaleureusement avant de prendre un air plus sérieux.

« Je peux te parler un instant, s’il te plaît ? »

Du regard, elle questionna Askel qui haussa les épaules, l’air aussi perdu qu’elle. Curieuse, elle suivie le guerrier derrière le paravent où ils s’assirent sur le lit. De l’autre côté, Toumet et Astrid se mirent à discuter bruyamment avec Askel, de tout et de rien, pour leur donner le plus d’intimité possible, sous le regard médusé de Nishka.

Ishta ne savait trop que penser de cet aparté, quel autre secret lui avait-on caché ? Devait-elle s’inquiéter ?

« Toi fait peur à moi, Sjel, dit-elle doucement.

- Non, la rassura-t-il en souriant. Je veux juste te parler parce que tu vas rencontrer Fryktebjorn pour la première fois…

- Je connais Ulrik maintenant, dit-elle, soulagée.

- Oui, reprit-il d’un ton plus sérieux. Tu connais Ulrik, mais Fryktebjorn est un peu différent. C’est toujours le même homme, mais plus brute, plus sauvage. Les Sintånd lui retirent tout filtre et toute retenue. Il ne raisonne pas de la même façon. Déjà pour un berserkir c’est compliqué… Seulement Ulrik, lorsqu’il est Fryktebjorn, n’est pas habité par un seul esprit, mais par trois. »

Il laissa à Ishta le temps de digérer l’information. Elle avait déjà compris que le contrôle de soi devenait compliqué lorsque le lien était actif. Pour que Knut ait cette conversation avec elle ce devait être encore plus dangereux que ce qu’elle s’était imaginé. Peut-être qu’elle n’avait pas assez réfléchie à toutes les implications du problème…

« Si toi veux dire que lui peut avoir des comportements ou paroles blessantes, inappropriées, je sais ça. Je pas inquiète…

- Pas seulement, la coupa Knut. Enfin, je me tracasse pas pour toi. Tu ne crains rien de plus qu’un… Débordement d’affection dirons-nous. Ce que j’essaie de dire c’est qu’on ne peut pas savoir comment il va réagir s’il se met en colère et… Avec la délégation présente… Bref, on est là si il y a besoin mais je ne veux pas que tu aies peur de lui pour quelque chose qui se passerait. »

Elle trouva touchante la préoccupation du guerrier. Elle avait vu les charniers laissés par Ulrik dans la forêt alors qu’il avait perdu le contrôle. Elle avait entendu les récits des soldats ayant rencontrés Fryktebjorn sur le champ de bataille et, si elle les savait exagérés, elle n’avait pas moins une idée de ce qu’il était capable de faire. Elle y aller tout de même l’esprit apaisé, libre de toute incertitude.

Ce n’est pas pour autant qu’elle n’avait aucun questionnement et c’est par curiosité qu’elle interrogea Knut, sourire aux lèvres.

« Lui être vraiment si terrifiant ? Je du mal à croire… Je connais lui plus calme et doux que en colère. »

La question avait prit le guerrier par surprise. Il hésita un moment, visiblement perdu quant à la direction que devait prendre sa réponse.

« Ça dépend, dit-il enfin. Déjà, il sera celui qui établira le lien, donc il sera plus serein que s’il avait perdu de le contrôle. Ensuite, je ne pense pas que tu verras grand chose d’autre qu’Ulrik sous une peau de bête. Alors, il est impressionnant dans son costume, tout est fait pour inspirer la peur, mais ce n’est qu’une mis en scène. Il est heureux aujourd’hui, plus qu’il ne l’a jamais été et il n’y a pas que le négatif qui est exacerbé, le positif aussi. Il ne sera pas terrifiant de par son attitude envers toi si c’est là ta question. »

Ça répondait à certaines de ses interrogations, oui. Mais encore une fois, pas à toute.

« Pourquoi tout le monde il a peur si lui a juste une peau de bête ?

- C’est un mélange de notre astuce et de la présence terrifiante des Sintånd. Les esprits ont un pouvoir de suggestion très fort capable d’agir sur la vision des autres, déformant et grossissant la réalité d’après leurs peurs les plus profondes. Tu ne verras sûrement qu’un homme déguisé mais dis-toi que pour des esprits plus faibles, plus malléables ou tout simplement étrangers au stratagème, il apparaît comme un monstre de cauchemar à trois têtes rugissantes sorties tout droit des jupes d’Hella. Ils le verront cracher du feu ou contrôler les ténèbres…

- Et je pas voir ça parce que je sais ?

- Peut être que tu verras quelques déformations mais entre ton lien avec les Sintånd et ta connaissance de la situation, ça devrait pas aller plus loin que ça, non.

- Merci Sjel, dit-elle en lui prenant la main. Je suis prévenue, mais tu pas t’inquiéter. Ulrik peut pas se débarrasser de moi maintenant. Qu’importe ce que Fryktebjorn il fait… Maintenant je dois me marier. »

Seule la moitié de la journée s’était écoulée et il lui semblait qu’un siècle était passé. Elle n’avait pas vu Vabachea depuis l’arrivée de son frère et la grosse boule de poils commençait à lui manquer. La présentation de sa fille devait faire sensation, aussi Ovlir s’occupait d’elle pour le moment et la gardait cachée, jusqu’au banquet du soir.

Se dire qu’il y a tout juste quatre mois elle était encore au sein de l’Empire d’Or lui fit un choque. Cette vie lui semblait lointaine, étrangère. Le chemin qu’elle avait parcouru pour arriver jusqu’à aujourd’hui n’avait pas été des plus simple mais elle y était enfin, Nishka et Toumet la recouvrèrent du voile. Les bois sur sa tête lui donnaient un aspect fantomatique et étrange mais ça n’empêcha pas Askel de s’extasier à nouveau.

Elle était fin prête, plus que quelques heures avant d’être une femme mariée.

Le chemin jusqu’à la plage n’avait pas été des plus simple. Le voile qui la couvrait ne lui laissait voir que des formes rougeâtres difficiles à distinguer les unes des autres. Knut et Askel tenaient chacun un de ses bras pour l’aider à se déplacer sans encombre, ce qui ne l’avait pas empêcher de trébucher à plusieurs reprises. Les bois sur sa tête n’amélioraient pas son équilibre. Sans être inconfortable car bien pensés, ils n’en étaient pas moins lourds et elle n’avait pas l’habitude de se déplacer avec.

A son arrivée elle ne put qu’apercevoir la foule rassemblée sur la plage. Deux masses informes formant un couloir au fond duquel elle devinait l’estrade au bord de l’eau où se tenait Toumet, debout devant une arche de bois fleurie, avec le fjord et les montagnes en arrière plan. Une pensée fugace traversa son esprit et elle ressentit un instant de regret de ne pas pouvoir contempler la scène dans toute sa splendeur, elle avait toujours particulièrement aimé ce paysage. C’est celui qu’elle avait contemplé de nombreuses heures lors de ses repas quotidiens avec Ulrik, ici même. Qu’il ai choisi cet endroit fit battre son cœur plus fort. Comme chaque fois devant une preuve flagrante de son affection pour elle.

Toute à ses émotions, elle n’avait pas vu une silhouette s’approcher. Si elle ne l’avait pas reconnu à sa démarche, le parfum qui envahit ses narines l’aurait trahi. Um Dkashi tendit la main vers sa sœur, s’attendant visiblement à la conduire jusqu’à l’autel. Il est vrai que ce rôle lui revient de droit par son lien du sang, mais il était hors de question pour Ishta d’aller où que ce soit avec lui. Elle n’avait pas encore eu le temps d’assimiler tout ce qui s’était passé durant leur conversation et elle refusait de lui céder quoique ce soit.

Ils n’étaient pas encore assez prêt de la foule pour qu’une oreille indiscrète épie leurs échanges, aussi elle en profita, priant intérieurement pour qu’Askel et Knut n’interviennent pas.

« Si tu veux tellement que je rentre à tes côtés pourquoi tu ne m’enlèves tout simplement pas ? » demanda-t-elle dans la langue de l’Empire.

Elle senti les deux guerriers se crisper, elle ne pouvait les voir mais elle imaginait parfaitement bien le regard dur et sévère qu’ils arboraient. Sans se laisser surprendre, Dakshi reprit de son ton mi-amusé, mi-ennuyé.

« Je n’ai aucun intérêt à ce que tu me suives de force. Je ne vaudrais pas mieux que tous les autres. Ta mère nous a enseigné la valeur de l’amour. Elle l’a assez dit, il ne se force pas… Alors je te prouverais que je suis le seul à mériter le tien.

- N’y met pas trop d’espoir.

- J’ai toute une guerre pour te le prouver, pour te montrer l’étendue de mes capacités. Tu verras tout ce que j’ai à t’offrir.

- Alors pour me prouver ton amour tu vas piétiner ceux que j’aime ?

- Oui, dit-il sans l’ombre d’une hésitation. Pour construire un monde à ta hauteur. Donc je te laisse jouer à la petite femme de barbare autant qu’il le faudra pour que tu réalises tout ce que tu manques. J’en profiterai pour préparer ton arrivée. Parce que je ne doute pas. Je sais que tu viendras vers moi, il te faut simplement un peu de temps…»

Ishta eut tout juste le temps d’attraper le bras de Knut pour l’empêcher de se jeter sur Dakshi. L’entièreté de son être criait de le laisser faire mais elle savait qu’il n’y avait pas de pire moment. Qu’un Íbúa touche le prince maintenant et les soldats impériales se jetteront sur l’occasion pour passer à l’épée quiconque se trouve entre eux et Um Dakshi. Adulte armé comme désarmé, vieillard ou même enfant. Le tout finirait dans un bain de sang.

« Merci de ta proposition mon frère, dit-elle le plus calmement possible. Mais il a déjà été prévu qu’Askel ici présent me conduise à l’autel et, tu l’as dit toi-même, chez les marchands Tsukun… »

Sans attendre de réponse, elle se dirigea d’un pas décidé vers l’allée au centre de la foule, amenant avec elle les deux guerriers.

« Sjel ? l’interpella Askel d’un ton inquiet, le plus bas possible pour ne pas être entendu.

- Je tout expliquer à vous mais après, chuchota-t-elle. Là ce pas le moment. Mais toi tu t’inquiètes pas, lui parle seulement beaucoup mais il pas agit sans réfléchir. »

Sur ce dernier point, elle n’était pas aussi confiante que ce qu’elle voulait bien leur montrer mais ce n’était réellement pas le bon moment pour s’en préoccuper. Autant qu’ils ne se rajoutent pas des problèmes supplémentaires.

Knut parti rejoindra les autres berserkir au pied de l’estrade en bois, mais pas sans lui avoir dit une dernière fois à quel point elle était resplendissante, ajoutant en rigolant que le voile aidait certainement beaucoup. Knut avait toujours eu un don pour lui redonner le sourire.

Enfin, elle arriva au pied de l’estrade. Cette fois-ci elle y était. Plus rien ne pouvait se dresser entre elle et ce mariage. Avec l’aide d’Askel, elle posa son pied sur la première marche de bois.

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