Chapitre 31 - Tendres Baisers

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Elle se tenait enfin devant Toumet. La lumière du jour déclinait alors que Pahala disparaissait doucement derrière les montagnes. L’air salé emprunt des odeurs humides du soir se faisait frais et il amena un léger frisson le long de son dos. Si la petite foule rassemblée sur la plage discutait gaiement quelques instants plutôt, elle s’était tue alors qu’une brume compacte s’élevait du sol et avalait les pieds de tous. Un silence pesant et inhabituel s’était emparé de la scène, même le ressac des vagues sur le rivage se faisait discret.

Alors, Toumet leva au dessus de sa tête les deux bâtons creux qu’ils avaient utilisés lors de la dernière cérémonie et, d’un mouvement lent et théâtrale, les battit l’un contre l’autre d’un coup sec et puissant qui résonna dans tout le fjord. Puis une seconde fois. Et une troisième fois. Au quatrième battement, tous les Íbúa l’avaient rejoint. Le fracas du bois contre le bois se répercuta jusque dans les os d’Ishta. Elle ne pouvait voir les gens de l’Empire mais elle entendit leurs murmures inquiets s’élever timidement derrière elle. Les Íbúa avaient un sens de la dramatique hors du commun et elle adorait ça.

Ils continuèrent à battre au rythme lent et régulier imposé par Toumet. Le brouillard se mit à pulser en cadence bientôt suivit par les flammes des torches. La nervosité dans son dos était palpable, la tension de l’air faisait battre son cœur plus vite et elle la reconnu pour ce qu’elle était, son lien avec les Sintånd se manifestait. Si elle ne comprenait pas bien ce qui se passait, son corps réagissait de lui-même à la magie s’éveillant autour d’elle.

Le battement régulier s’accéléra, répondant presque aux pulsations du cœur d’Ishta. Le brouillard en mouvement ne s’élevait pas du sol mais s’agitait sans discontinuer et il recouvrait désormais les eaux de la baie, alors que le bruit des vagues parvenait à leurs oreilles, léchant le rivage en cadence. Aussi soudainement qu’elle avait commencé, Toumet suspendit son geste et un silence assourdissant s’abattit sur le fjord.

Un fourmillement, devenue presque familier, envahit ses jambes alors que la magie qui l’habitait grondait de frustration de n’avoir pas été utilisée. Un nuage dense d’oiseaux prit son envol au dessus du bois un peu plus loin et les fit sursauter. Sans un cri, sans autre bruit que celui de leurs ailes battant furieusement. Un rire nerveux parcouru l’assemblée, surprise par l’envole soudain des animaux, coupé court par un rugissement caverneux s’élevant dans les airs. Puissant, résonnant entre les montagnes, dévalant la pleine et roulant le long du rivage pour étreindre leur cœur et attisé leur peur. Les Íbúa avaient lancé un appel à leur protecteur et Fryktebjorn répondait présent.

Le silence revint, tous scrutaient les ombres entre les troncs d’arbre, dans l’expectative. Au travers de son voile, Ishta ne voyait pas grand chose d’autre qu’une grosse tache informe au loin et sa vision ne s’améliorait pas avec la lumière de Pahala qui déclinait. Un vrombissement sourd et continu se fit entendre, la cime des arbres ploya soudain alors qu’une vague de vent traversait le bois pour s’attaquer ensuite au rivage. Toute la nature s’anima au passage de la bourrasque, les herbes et la végétation courte se trouvèrent plaquées au sol, les arbres plièrent dramatiquement et une partie du feuillage fut arrachée à leur branche par la force du vent, emmenant un nuage de poussières et végétation droit sur la foule. Tous se protégèrent de leurs bras, le bruit assourdissant du vent envahissait leurs oreilles. Ishta sentit le voile se plaquer contre son visage à l’en étouffer, sa jupe fouetta furieusement ses jambes et elle était persuadée de la sentir se déchirer. Mais, aussi vite qu’elle était arrivée, la bourrasque s’évanouie.

Ils eurent juste le temps de reprendre leurs esprits avant que le bois ne vomisse un brouillard compact qui dévala la pente légère jusqu’à la grève. Si Ishta ne voyait pas grand chose, elle lui fut impossible de manquer les centaines de points lumineux s’allumant les uns après les autres dans les sous-bois. Jamais seul, toujours par deux. Autant de paires d’yeux luisants, bleutés, braqués sur eux. Les Sintånd étaient de la fête et le faisaient savoir.

Une tension familière s’empara d’elle à nouveau, sa magie répondant à l’apparition des esprits. Un murmure paniqué traversa la foule, s’élevant autant en langue de l’Empire qu’en Íbúa. Voilà quelque chose qui n’était visiblement pas prévu. Qu’importe, que les esprits en soient témoins, aujourd’hui elle lançait un défi à l’Empire et elle comptait bien le gagner.

Tout le monde se tut sans qu’Ishta ne comprenne pourquoi. Plissant les yeux, elle tenta de percer la fibre même du tissu, avidement, sans succès. Elle luttait contre sa frustration quand, enfin, une tache luminescente plus importante que les autres se fraya un passage au milieu de la noirceur du sous-bois. Encore quelques instants et elle se rendit compte que la lumière n’était pas unique mais divisée en trois et qu’elles étaient rattachées à une silhouette immense. Une silhouette qui semblait bien plus imposante qu’Ulrik ne pourrait jamais l’être.

Sous les hoquets de stupeur et l’acclamation des Íbúa, leur protecteur avait fait son apparition. La silhouette approcha à pas lents, d’abord sur deux pattes, il descendait parfois sur quatre. Le haut de son corps démesuré se penchait alors un coup de droite, un coup de gauche, comme humant l’air. Finalement, il se redressa de toute sa hauteur et avança d’un pas décidé, moitié marchant, moitié courant, vers Ishta.

Plus il approchait, plus les lueurs prenaient forme. Elle ne parvenait pas à discerner correctement les traits de la bête, mais les trois esprits habitants son corps étaient aussi visibles que si le voile n’existait pas. Trois fantômes de fumées luminescentes, agités, rattachés à la silhouette par le cou. Elle distinguait de plus en plus clairement un loup, un Glemslött aux bois gigantesques et enfin un cerf. Leurs yeux aux orbites vides étaient intimidant, mais ils n’étaient pas pour autant inexpressifs. Sans se l’expliquer, elle les savait fiers. Elle les savait impatients.

Enfin, Fryktebjorn posa un premier pied sur l’estrade. La foule retint son souffle. Éblouie par ses esprits, elle ne voyait toujours qu’une masse sombre et imposante. Il y posa le deuxième pied et Ishta entendit son souffle lent et profond, elle sentit l’odeur d’humus et de transpiration qu’il dégageait. Son cœur battait la chamade et résonnait dans tout son corps. Après tant de temps à attendre ce moment, il était enfin là, devant elle. Elle n’apercevait que sa silhouette mais les trois esprits la dévisageaient avidement, se tendait pour humer la moindre once de parfum émanant d’elle. Elle aurait pu se sentir frustrée de ne pouvoir le voir mais Fryktebjorn n’était rien d’autre qu’Ulrik et ses trois esprits. Or elle connaissait déjà Ulrik…

Il avait parcouru la distance les séparant et s’était arrêté à un pas d’elle, la surplombant de toute sa hauteur, immobile. Le monde autour n’existait plus, il ne restait qu’Ulrik, les Sintånd et elle. Sa main voulut se tendre vers le cerf dont le museau semblait le plus proche mais le voile la gêna dans son mouvement et elle suspendit son geste. Les trois esprits grondèrent de frustration, un son caverneux et profond bientôt repris par Fryktebjorn lui-même. Le son se transforma en un grognement de rage et, avant qu’Ishta ne comprenne ce qu’il se passe, il déchira le voile en deux de ses mains, la dévoilant aux yeux de tous. Elle et son blason.

Un hoquet de stupeur monta de la foule alors que le tissu tombait au sol, à ses pieds. Ce n’est pas la révélation qu’elle avait prévue, mais c’était encore plus spectaculaire. Elle eut vaguement conscience que des gens s’indignaient tandis que d’autres les acclamaient, mais elle s’en fichait bien, elle n’avait d’yeux que pour Fryktebjorn. Ulrik, torse nu, était couvert d’une peau d’ourse à la fourrure épaisse et d’un noir intense. La tête de la bête recouvrait la moitié supérieure de son visage et était surmontée de bois de Glemslött gigantesques, de chaque côté, une de loup et une de cerf avait été greffées au manteau de peau et, surplombant chacune d’entre elles, son esprit respectif.

Si Ishta pensait les voir à travers le voile, ce n’était rien comparé à ce qu’elle avait devant les yeux en l’instant. Les volutes de brumes, qui se tortillaient en tous sens pour former leurs corps, brillaient d’un bleu si éclatant qu’il en était presque blanc. Ils étaient majestueux… Et impatients ! Renâclant et soufflant de frustration. Alors, sans plus attendre, sa main reprit son mouvement vers le cerf qui se tendit pour accueillir son touché.

Elle rencontra son museau et la tension de son corps s’intensifia, emmenant une vision de cauchemar à son esprit l’espace d’un instant. Fryktebjorn n’avait alors plus rien d’un homme et le torse d’Ulrik avait disparu, recouvert en entier par la fourrure. Les trois esprits n’étaient plus et leurs trois têtes avaient pris vie, trio de gueules béantes et hurlantes, vomissant bave et poison, et des yeux aux orbites vides d’où s’échappaient des flammes. Aussi vite qu’elle était venue, la vision s’estompa et la réalité reprit place devant ses yeux. Le sang battait fort à ses oreilles et la magie emmagasinée dans son corps pulsait dans chacun de ses muscles. Elle comprit alors ce que voyait la foule rassemblée autour d’eux. Quel tableau ils devaient faire, tous les deux, la bête et son offrande. Elle sourit à l’idée et caressa doucement le museau du cerf.

Elle ne s’était pas attendue à grand chose et fut surprise d’avoir un contact solide et chaud. Elle pouvait sentir la fourrure de l’animal sous ses doigts, l’air chaud et humide sortant de ses naseaux. La tête d’ours au centre remua pour venir lui lécher le poignet et elle rit de bon cœur. Mais alors le loup ne tint plus lança un hurlement sauvage repris en cœur par Ulrik qui se jeta tout simplement sur elle. La serrant contre son torse, il l’embrassa fougueusement et son cœur explosa de joie.

Une ovation éclata du côté des Íbúa. La couronne sur sa tête lui fit perdre l’équilibre et Ulrik en profita pour la soulever du sol. Comment un homme aussi puissant avait pu s’attacher à elle ? L’amour qu’il dégageait la submergea et elle aurait voulu pouvoir se noyer dans son affection. Les mains du chaman se promenaient désormais sur tout son corps et le rouge lui monta aux joues alors que l’une d’elles empoignait un de ses seins. Il n’en fallut pas plus pour qu’elle comprenne ce qu’il voulait.

L’euphémisme de Knut sur les débordements d’émotion lui revint en mémoire et elle ne put s’empêcher de le maudire sur l’instant. Elle parvint à dégager sa bouche juste assez longtemps pour parler.

« Ça suffit ! »

Sa voix s’était faite autoritaire, toute la tension accumulée depuis l’apparition des Sintånd en profita pour s’échapper et voyager à travers sa courte phrase qui claqua comme un éclair, résonnant dans l’air. Fryktebjorn se tendit et, après quelques secondes de réflexion durant lesquels les trois esprits l’observaient avec envie, il la reposa doucement au sol. Dans la périphérie de sa vision elle aperçut les visages terrifiés et dégoûtés des gens de l’Empire. Seul Um Dakshi, détendu, la regardait avec une adoration non dissimulée. Ishta ne comprenait pas ce qui n’allait pas chez lui.

Toumet toussota doucement, tentant visiblement de leur rappeler la raison de leur présence sur l’estrade. Une pluie de rire leur tomba dessus alors qu’Ishta s’excusait doucement en se tournant vers l’Ansatt. Mais Fryktebjorn ne bougea pas, refusant de se détourner d’elle, il lui prit la main et attendit. Les trois esprits humant toujours les courants d’air venant de son côté, espérant capter la moindre trace de son odeur.

Ishta fit signe à Toumet de commencer, essayant d’ignorer les huit yeux avides de Fryktebjorn braqués sur elle.

La cérémonie se déroula sans encombre et à une vitesse folle aux yeux d’Ishta qui ne parvenait pas à croire qu’elle y était enfin. Ulrik n’avait pas lâché sa main, la serrant doucement. Son point d’encrage dans une réalité qui ressemblait bien trop à un rêve. Sous la lumière de la lune, elle partagea une boisson avec lui tandis que Toumet récitait un verset d’un poème en langue ancienne qu’Ishta ne comprit pas. La lumière de Pahala s’était complètement éteinte sans même qu’elle ne s’en aperçoive.

Elle avait d’abord été surprise d’apprendre que les mariages étaient officiés par l’Ansatt du clan et non par un chaman. Ulrik étant le marié, elle s’était attendue à ce que Sigvald ou Askel prenne sa place. Mais non, chez les Íbúa, la communion de deux être ne relevait pas de la religion ou de la magie. C’était un choix qui se devait d’être réfléchi et pragmatique. La foi ne construisait pas un foyer, la communication et l’entraide oui.

Toumet lia leurs mains ensemble avec une bandelette de cuir tressée avant de les recouvrir d’huile. Elle leur en expliqua la signification mais Ishta ne l’écoutait pas. La tension de ses dernières semaines se relâchait et sa tête refusait de fournir le moindre effort supplémentaire, lui laissant l’esprit cotonneux. Elle baignait dans une atmosphère euphorique et béate.

Enfin, Toumet les annonça mariés et Ulrik attrapa tendrement son visage entre ses grandes mains recouvertes de pattes griffues pour l’embrasser doucement. L’incrédulité se mêla à la joie. Étaient-ils enfin mariés ? Vraiment ?

Fryktebjorn poussa alors un hurlement bestial, l’esprit du loup exprimant sa joie de la seule manière qu’il connaissait, bruyamment. Quelque part dans les montagnes, son cri fut repris en cœur par une meute de Worgs, hurlant et jappant de joie pour féliciter leur frère d’une autre meute. Puis, Fryktebjorn attrapa sa nouvelle femme et la plaça sur son épaule sous les applaudissements de la foule. Assise entre l’ours et le loup, Ishta fut de nouveau envahit par une vision d’horreur. Les deux têtes autour d’elle s’agitaient dans un ballet grotesque, des vers s’échappant de leurs naseaux et une odeur de putréfaction envahit ses narines. La seconde suivante, la réalité reprit son emprise sur ses yeux et elle caressa doucement les deux esprits qui se frottaient contre elle avec délectation.

Ulrich s’élança vers le Hovedhuren où les attendait le banquet. La foule le suivit et les Íbúa se mirent à chanter un poème de bénédiction pour l’heureux couple. Riant, criant et clamant haut et fort les paroles. Ishta, euphorique, ne pouvait que se laissé emporter par leur hilarité. Elle fut heureuse de voir les berserkir autour de Fryktebjorn, tous avaient les yeux luisants mais chacun affichait un visage serein et fier. Elle se sentait aimée et elle aimait en retour.

Même les mines renfrognées et écœurées des gens de l’Empire, à la queue de la procession, ne parvenaient pas à diminuer sa joie.

Fryktebjorn grimpa quatre à quatre les marches menant à la grande porte sculptée du Hovedhuren.

La grande salle avait été entièrement décorée. Des voiles jaunes et bleues pendants du plafond, décorés de guirlandes de fleurs toutes plus colorées les unes que les autres. Les tables aussi avaient été décorées de la même façon, la belle vaisselle d’argent gravé était de sortie et les habituelles choppes de bois avaient été remplacées par des cornes sculptées et rehaussées d’argent. Sur l’estrade au fond de la salle, se trouvaient deux trônes de bois recouverts de voiles et de fleurs.

Une délicieuse odeur de nourriture lui parvint et réveilla son estomac qui protesta bruyamment de ne pas être encore plein.

« Ma femme a faim ! » gronda Fryktebjorn d’une voix puissante qui ne correspondait en rien à celle d’Ulrik.

« Eh bien, elle attendra ! » lui répondit Sigvald, déclenchant l’hilarité générale.

L’esprit du loup gronda qu’on ignore les besoins de sa compagne, mais Ishta l’apaisa d’une caresse.

Fryktebjorn la déposa délicatement sur l’un des trônes et s’installa sur l’autre, il ne la lâcha pas pour autant et déposa sa grosse main sur celle de sa femme.

Alors commencèrent les félicitations. Avant de s’asseoir à table, les invités avaient la possibilité de venir échanger quelques mots avec les jeunes mariés. La tradition voulait que seul un membre par famille se présente pour que le buffet ne soit pas trop retardé, mais ce n’était pas une obligation. Aussi, chaque invité fit valoir son droit aux félicitations, aucun Íbúa ne voulait rater l’occasion de s’approcher de Fryktebjorn alors qu’il était de bonne humeur. Il apparaissait rarement pour autre chose qu’une bataille, ce qui le rendait d’ordinaire assez peu enclin à la discussion.

Pour Ishta, ce fut un défilement de visage flous. Un inconnu apparaissait, à peine avait-elle eu le temps de sourire et de le remercier qu’il était remplacé par un autre. Elle fut tout de même particulièrement touchée par certains d’entre eux. Un vieux vétéran un peu bourru la remercia maladroitement pour son appel à la guerre. Ishta n’était pas sur de ce qu’il avait voulu dire mais l’effort fournit la bouleversa autant que le câlin chaleureux et franc d’Oda. Elle ne serait pas aller jusqu’à dire que la relation était devenue proche, et leurs premières cessions de travail avaient été marquées par le malaise, mais Oda s’était ouverte et Ishta en était venue à apprécier leurs discussions matinales.

Les filles de Finn lui avaient aussi laissée une forte impression. Se tenant la main, suivies par leurs parents, les deux petites têtes rousses étaient montées sur l’estrade pour leur offrir chacune un bouquet de fleurs des champs. La plus petite ne pouvait s’empêcher de lancer des regards inquiets vers Fryktebjorn. Mais, alors que ses parents se dirigeaient vers une table, elle avait fait demi-tour et s’était approchée d’Ishta avec un air très sérieux.

« Tu dois pas t’inquiéter, avait-elle murmuré sur un ton conspirateur. C’est rien que tonton Ulrik. Il fait un peu peur mais c’est pour que les Ettins, ils nous attaquent pas… »

Puis elle avait couru derrière sa sœur pour s’installer à table.

Ishta riait encore quand Um Dakshi se présenta devant elle. La main d’Ulrik sur la sienne se resserra alors qu’elle entendait les trois esprits grogner. Les gens de l’Empire ne s’étaient pas approchés de l’estrade. La plupart s’étaient contentés de s’asseoir à table sans se soucier d’un quelconque protocole. Venant d’un peuple aussi à chevale sur l’étiquette, le mépris était flagrant. Mais le prince ne les avait pas suivis et il se tenait désormais devant sa sœur, son éternelle demi sourire méprisant aux lèvres.

Un groupe d’Íbúa s’était approché d’Ulrik et monopolisait son attention, riant et parlant fort. Dakshi avait de toute évidence choisi son moment pour se présenter, il monta la première marche de l’estrade pour être à sa hauteur.

« Voilà donc la bête que tout le monde craint ? demanda-t-il d’un ton méprisant. Un homme dans une peau d’ours… J’ai du mal à croire qu’il ai pu faire fuir tant de soldats. »

Ainsi, les Sintånd n’avaient pas d’emprise sur son esprit. Elle n’était qu’à moitié surprise, elle avait toujours pensé que quelque chose ne tournait pas rond dans la tête de son frère.

« Attends que je m’occupe de son cas et ton petit mari sera exposé aux yeux de tous pour ce qu’il est, chuchota-t-il. Un conte destiné à faire peur aux enfants capricieux. Une blague utilisée par les soldats pour bizuter la bleusaille. »

La rage s’empara d’Ishta. Elle n’avait qu’une seule envie, se jeter sur son frère toutes griffes dehors et lui faire ravaler ses paroles à grands coups du premier truc qui lui passerait sous la main. Mais c’est exactement ce qu’il attendait. Il ne cherchait qu’à la faire réagir. Il n’avait jamais rien voulu d’autre, elle en avait conscience maintenant. Toutes ses punitions et remontrances, outre la protéger des châtiments d’un autre, n’avaient que pour seul but de la pousser dans ses retranchements. La forcer à réfléchir et à agir. Il était sincère sur un point, il aimait la voir se triturer la tête pour contourner les règles, éviter le danger. Il ne la voyait vivante que quand elle luttait pour survivre. Et qu’importe la souffrance qu’elle traversait.

Mais ils n’étaient plus au Saam’Raji. Et elle ne lui donnerait pas la satisfaction de gâcher sa joie. Toute sa rage se concentra en un point dans sa poitrine, se transformant en une tension oppressante mais rassurante. Les bruits de la grande salle étaient devenus distants, seules la voix puissante de Fryktebjorn et la respiration hachée par l’excitation du prince parvenaient à ses oreilles. Les Sintånd répondaient à sa rage.

Un voile d’incertitude traversa le visage de Dakshi alors qu’Ishta se penchait vers lui, un grand sourire épanoui sur ses lèvres. Elle savait ce qu’elle avait à faire, tout comme lorsque l’éclair l’avait appelée, une force qu’elle ne comprenait pas la poussait à agir. Elle approcha son visage de celui du prince. Incertain, il ne bougea pas, un demi sourire toujours accroché aux lèvres mais dont l’humeur n’atteignait plus ses yeux. Elle était désormais si près qu’elle pouvait voir son reflet dans les rétines du prince. Un reflet aux yeux bleus luisants. Délicatement, presque avec tendresse, elle déposa un baiser sur chacune des paupières de son frère, insufflant toute sa haine dans ce geste d’amour. La tension quitta son corps alors que sa magie avait trouvé un exutoire.

La terreur envahit les traits de Dakshi tandis que ses yeux s’ouvraient. Elle ne savait pas ce que les Sintånd pouvaient bien murmurer à son esprit mais le regard emplit d’horreur qu’il posa sur Fryktebjorn suffit à la contenter.

« Tu n’as pas idée de tout ce que tu ne connais pas, mon frère, lui susurra-t-elle. Tu parles de conte mais Fryktebjorn est un mythe. Si les uns sont inventés, les autres ne sont qu’une vérité qui traverse les siècles. Et certains mythes sont plus durs à détruire qu’on ne le pense. »

Elle se rassit sur son siège, confiante, alors que le prince titubait jusqu’à sa place à table, l’air hagard. Il était d’ordinaire si sur de lui… Mais voir Fryktebjorn à travers le voile des esprits l’avait visiblement ébranlé. Elle sourit de satisfaction tandis que les esprits de Fryktebjorn s’agitaient et rugissaient. De fierté, elle le savait.

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