Chapitre 32 - Source Chaudes

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Son estomac avait eu le temps d’exprimer sa frustration à loisir avant que tous les invités ne soient enfin assis. Alors, quatre hommes vinrent déposer une lourde table devant les deux trônes. Quelques instants plus tard et elle était couverte de vaisselle, de fleurs et de plats. 

Enfin, Fryktebjorn se leva et le silence se fit. Il était l’heure pour le jeune mari d’exprimer sa joie. Un chant, d’ordinaire, choisi avec soin. Seulement, Fryktebjorn n’était pas un poète.

« Mangez, avant que ma femme ne dépérisse ! » grogna-t-il.

Il se rassit et, dans un silence gêné, commença à remplir son assiette. Ishta éclata d’un rire franc qui brisa le malaise, bientôt repris en cœur par le reste des Íbúa. Les discussions reprirent et chacun se servit dans les plats disposés sur les tables. Ishta allait en faire de même mais Ulrik retint son bras. Confuse, elle s’aperçut qu’elle n’avait pas d’assiette. Une jeune fille déposa alors devant elle un petit plat sur lequel reposait un poisson entier, le plus gros qu’elle ai jamais vu, nappée d’une sauce jaune pâle à l’odeur enivrante.

« Il n’est pas bien gros, grogna Ulrik visiblement gêné. C’est pas encore la saison… Mais il est bon. »

Et la compréhension se fit dans son esprit, c’était un lak. L’émotion la prit alors qu’elle se revit assise à la petite table de l’entrée du port en compagnie du chaman, devant une assiette de lak fumé. La scène lui semblait tout droit sortie d’une autre vie. Elle pressa doucement l’avant-bras d’Ulrik dans sa petite main, exercice rendu difficile par l’épaisse fourrure qui le recouvrait. Si elle arrivait à manger seule un poisson de cette taille, ça tiendrait du miracle. Mais l’intention la toucha plus qu’elle n’aurait pu l’exprimer. 

« C’est moi qui l’ai attrapé. » ajouta-t-il avec fierté. 

Ses esprits la regardaient avec attention, attendant nerveusement sa réaction. Et elle comprit que ce n’était pas un présent d’Ulrik seul. C’était un cadeau de Fryktebjorn. Aussi elle planta sa fourchette dans la chaire rosé du poisson et mangea avec appétit. Le goût était loin de ce quoi à elle s’attendait, à la fois plus doux et plus gourmand. Un vrai délice. 

Le banquet se déroula sans accroc, au milieu des rires et de l’allégresse des Íbúa. Et sous les regards méprisants et hautains des nobles de l’empire. Rien ne pouvait plus satisfaire Ishta, si ce n’est l’air hébété de son frère. Touchant à peine son assiette, le prince semblait ailleurs, perdu dans son propre monde d’angoisse et d’inconnu.

Enfin, les bruits des couverts se firent discrets et les assiettes se vidèrent tandis que les rires et les chants se faisaient plus bruyants. L’alcool coulait à flot et il serait bientôt temps de laisser la place aux musiciens. Mais tout d’abord, Ishta devait donner le coup de grâce à la délégation.

 Après un léger signe de tête en direction d’Olvir, elle se leva. 

Il lui fallait attirer l’attention des convives mais elle se retrouva bêtement incapable de savoir comment s’y prendre. Heureusement, Fryktebjorn comprit son problème. 

« Silence ! » hurla-t-il à plein poumon. 

L’écho de sa voix résonna avec fracas dans tout le bâtiment. Aussitôt les discussions moururent et tous se tournèrent vers l’estrade. 

Avec toute la dignité qu’elle pu rassembler, elle contourna la table pour se placer à l’avant de la scène, face à la salle et appela Einar pour qu’il traduise ses paroles en Íbúan.

« Merci à tous d’avoir partagé avec nous ce jour si spécial, déclara-t-elle haut et fort dans la langue de l’Empire. Mon mari et moi-même souhaitons profiter de cette occasion particulière pour vous faire une annonce. Ce mariage se voulait une alliance entre deux peuples, un signe durable de paix. Aussi, quel meilleur moyen pour la seller et la faire perdurer que d’engendrer une descendance ? Symbole vivant de la réussite d’une unification antre deux cultures… »

Ishta prit le temps nécessaire pour se délecter de la surprise des gens de l’Empire, particulièrement celle de son frère, qui ne l’aurait pas regarder différemment si une deuxième tête lui était poussée. 

« Je vous présente donc notre fille, Vabachea… »

Et elle fit un signe vers l’entrée de la grande salle au moment ou les doubles portes s’ouvrirent. Là, dans l’encadrement, se trouvait Vabachea. Des cris de stupeur s’élevèrent de la noblesse impériale tandis qu’un rugissement de joie y répondait du coté des Íbúa. La Glemslött, quant à elle, était bien trop heureuse de revoir Ishta pour s’en soucier. Elle se précipita à travers la salle, renversant plusieurs personnes au passage, et s’arrêta de justesse devant Ishta pour lui faire la fête. 

Celle-ci n’eut pas même besoin de descendre de l’estrade pour être à hauteur de l’animale tant l’ours avait grandi. Elle serra sa grosse tête dans ses bras et enfoui son visage dans sa fourrure. Elles furent bien vite rejointes par Fryktebjorn qui voulu jouer avec sa fille adoptive, qu’importe le danger qu’ils faisaient courir au mobilier autour. 

Ishta n’osait pas imaginer le spectacle qu’ils devaient offrir tous les trois, elle espérait seulement que ça suffirait à faire réagir l’Empire. Alors même qu’elle commençait à douter de sa méthode, le bruit de plusieurs dizaines de pieds de chaises raclant le sol se fit entendre alors que la totalité de la noblesse impériale se levait pour quitter le bâtiment. Certains criant à l’outrage et au blasphème, d’autres insultant Ishta de tous les noms. S’en était trop. Seul Um Dakshi resta à table encore quelques instants, lançant à Ishta un regard qu’elle ne put déchiffrer. Les effets de sa magie s’étaient visiblement dissipés puisque la terreur étalée sur son visage avait été remplacée par une expression qu’elle ne lui connaissait pas et qui ressemblait bien trop à de la satisfaction. Mais, enfin, il se leva à son tour et prit la suite de ses gens. 

La fête battait son plein et tous riaient, chantaient et dansaient. Ishta n’avait jamais participé à un événement aussi animé et festif. Même la fête sur la plage après le møtbarn faisait pâle figure à côté de ce qui se passait actuellement dans la grande salle. Les tables avaient été poussées contre les murs et des danses s’improvisaient autour des fosses à feu. Ishta avait depuis longtemps retiré sa couronne et s’était laissée embarquer à plusieurs reprises par la foule. Elle dansa pour la première fois de sa vie. Ses joues étaient en feu d’avoir trop ri mais son sourire refusait de quitter son visage. Elle ne s’était jamais sentie aussi vivante. 

Bien trop tôt à son goût, Fryktebjorn la souleva délicatement du sol pour l’emporter hors du Hovedhuren sous les rires grivois de l’assistance, Vabachea sur leurs talons. 

Le froid soudain la fit frissonner et Ulrik resserra son emprise autour de son petit corps. Derrière eux, les bruits assourdis de la fête leur parvenaient encore. 

« Nous rentre déjà ? demanda-t-elle, mi-déçue, mi-impatiente.

- Non, répondit Fryktebjorn d’une voix rauque. On doit d’abord aller quelque part. »

Puis, sans plus d’explications, il l’emporta à travers la ville. 

Ils marchaient depuis un petit moment déjà, dans le froid, lorsqu’ils atteignirent la forêt. Fryktebjorn s’y engagea sans hésiter et elle fut assaillie par l’odeur humide de l’humus. La petite balade avait laissé à Ishta le temps de reprendre ses esprits. Et, avec sa tête de nouveau fonctionnelle, elle commença à se poser des questions. Où l’emmenait Fryktebjorn ? Si elle n’était pas inquiète, elle n’en était pas moins intriguée. Vabachea s’était depuis longtemps éclipsée à travers les fourrés, suivant une odeur qu’elle seule pouvait sentir. Les esprits s’agitaient d’impatience et se penchaient autant qu’ils pouvaient pour la sentir, ce qui commençait visiblement à agacer Ulrik. Il dut les repousser à plusieurs reprises sans quoi il lui était impossible de voir où il allait. 

« C’est assez loin. » grogna-t-il enfin et il la déposa sur le sol. 

Une nouvelle vague de frisson la parcourut alors qu’elle quittait la douce chaleur dégagée par son corps. 

« T’es marié à nous, dit-il doucement en lui prenant les mains. Mais c’est avec Ulrik que tu vas vivre. Fryktebjorn c’est… Je suis juste un outil de la guerre. On est heureux, maintenant c’est ton tour. »

Et sur ces paroles énigmatiques, qui ne la laissèrent que plus confuse, les trois esprits s’évanouirent dans les airs. Il ne resta alors plus qu’Ulrik devant elle, qui paraissait étrangement plus petit, moins imposant. Si tant est qu’elle puisse dire ça de l’homme le plus grand qu’elle connaisse. 

Le chaman se débarrassa de sa peau d’ours, et se retrouva torse nu dans la brise fraîche de la nuit. Le silence s’installa autour d’eux, seulement brisé par le hululement occasionnel d’une chouette dans le lointain. Il la regardait et elle ne savait pas exactement ce qu’il attendait. Une ride qu’Ishta avait appris à reconnaître lui barrait le front. Il était inquiet. Un sentiment qu’elle retrouvait bien trop souvent sur les traits d’Urlik à son goût. Elle comprit soudain qu’il n’attendait rien. Il ne savait juste pas comment se comporter. Elle savait qu’il n’avait qu’une vague conscience de ce qu’il se passait lorsque Fryktebjorn prenait le contrôle, mais elle ne s’était jamais plus attardée sur la question. 

Seulement, il avait l’air aussi perdu qu’inquiet. Un sentiment diffus remonta du fond des souvenirs d’Ishta. Elle se revoyait enfant, émergeant d’un cauchemar au milieu de la nuit. Incapable de faire la part du réel ou du rêve tant que les bras de sa mère ne venaient pas l’enserrer, l’ancrant ainsi dans le présent. Elle comprit alors, le chaman ne savait pas vraiment ce qui s’était passé et, de fait, ne pouvait être sûre qu’Ishta ait bien vécu sa rencontre avec Fryktebjorn.

Avait-il si peu foi en elle qu’il s’inquiétait constamment de ses réactions ?

« Je voudrais embrasser le mari de moi mais lui est tellement grand que je peux pas même atteindre son menton… » dit-elle, un sourire taquin accroché aux lèvres. 

D’un mouvement si empressé qu’il failli la faire tomber, il la souleva du sol comme il l’avait fait pour sortir de la baignoire quelques nuits auparavant. Ayant enfin accès à son visage, elle l’embrassa avec toute la tendresse que son impatience voulait bien lui laisser. 

« Tu as rencontré Fryktebjorn, murmura Ulrik. Tu n’as toujours pas changé d’avis ?

- Non ! S’exclama Ishta, exaspérée. Je pas changer d’avis ! Si je crois que tu manges des cœurs humains sur les champs de bataille me pas faire changer d’avis, rien fera changer moi d’avis ! Arrête de s’inquiéter. J’aime toi, Sjel. Je veux rester avec toi. 

- Alors, allons nous marier ! dit-il sans pouvoir retenir un sourire.

- Quoi ? dit-elle, confuse. Nous fait quoi toute la journée si pas marié ? »

Il éclata de rire tout en la posant au sol. 

« Les chamans ne se marient pas comme ça, expliqua-t-il. Viens… »

Et il lui prit la main pour l’emmener à travers les bois. 

Le chemin qu’ils suivaient les conduisit loin dans la forêt, grimpant de plus en plus haut sur la montagne. La pleine lune leur éclairait le chemin, se reflétant sur une fine brume qui flottait de ci de là, à quelques centimètres du sol. Les bruits de la nuit se faisaient entendre autour d’eux, des bruits auxquels elle n’était que peu habituée et qui la firent sursauter à plus d’une occasion. Bien qu’Ulrik l’aide et la soutienne dans les passages les plus difficiles, la fatigue de la journée la rattrapa et elle était sur le point de supplier pour rentrer quand les silhouettes d’Olvir et Vabachea apparurent un peu plus loin sur le sentier. 

« On est arrivé, Sjel. » lui confirma Ulrik. 

Au bout du chemin, entre les arbres, Ishta pouvait apercevoir une petite clairière noyée dans la brume au pied d’une falaise. Elle pouvait entendre le bruit d’un petit cours d’eau ainsi que les rires et discussions à voix basse de plusieurs hommes qu’elle reconnut aussitôt. 

C’est en s’approchant de Vabachea qu’elle remarqua la lueur bleue se dégager de ses yeux et de ceux d’Olvir. Elle se retourna vers Ulrik, pleine de questions, pour retrouver le même regard intense et bleuté. Il rit doucement devant son étonnement avant de lui prendre la main pour l’emmener dans la clairière. 

Le brouillard semblait s’ouvrir devant eux, les invitant à pénétrer dans ce petit espace clos entre montagne et forêt. La végétation y était particulièrement abondante et une douce chaleur l’enveloppa. Les rayons de la Lune se reflétaient sur l’eau d’un bassin naturel dont le fond était tapissé d’algues phosphorescentes, baignant la clairière d’une aura verte et douce semblable à celle de la grotte des bains. De petites fleurs de toutes les couleurs avaient été répandues et flottaient à la surface, au milieu des vapeurs d’eau. Assis autour du bassin, se tenaient les berserkir, dont les yeux bleus perçaient la nuit.

Vabachea et Olvir avaient rejoint les autres et s’étaient installés sur les rochers tandis qu’Ishta s’émerveillait encore de la beauté des lieux. Des lucioles apparaissaient tout autour. Elle n’en avait encore jamais vu au Konungalands, il y faisait bien trop froid, mais plus elle s’approchait du bassin, plus la température devenait agréable. La chaleur de l’eau et le parfum enivrant des fleurs se diffusaient dans l’air et les enveloppaient dans un doux cocon réconfortant.

Les hommes autour du bassin discutaient toujours… Ishta en profita pour interroger Ulrik.

« Pourquoi vous tous en lien avec le Sintånd, demanda-t-elle à voix basse. Même Vabachea… Quoi se passe ?

- Viens, dit-il avec un sourire énigmatique. Tu devrais regarder le fond du bassin. »

Quand elle atteignit enfin le bord de l’eau, les guerriers se levèrent et attendirent, sourire aux lèvres. Visiblement ils savaient pertinemment ce qu’Ulrik lui avait conseillé de faire. Prudemment, elle se pencha au-dessus de la surface pour tenter d’en percer le fond, mais les reflets bleus des yeux d’Ulrik l’empêchaient d’y voir correctement. Elle se retourna pour lui demander de s’écarter mais son mari ne se tenait plus derrière elle, il avait rejoins les autres hommes de l’autre coté de la source chaude. Intriguée, elle reporta son regard vers la surface pour enfin comprendre qu’elle n’était gênée que par le reflet de ses propres yeux. Sa surprise fit rire les berserkir.

« C’est la source qui active notre lien avec les Sintånd, expliqua Sigvald. On sait pas trop pourquoi, mais leur force est ici très concentrée. 

- Il faut qu’un lien existe déjà, évidemment, ajouta Askel. Mais la source est tellement puissante que même certains animaux plus sensibles que d’autres en ressentent les effets. »

Ce qui expliquait les yeux de Vabachea.

« Pourquoi nous on est tous là ? demanda-t-elle.

- On s’est dit qu’il était temps que tu sois correctement présentée à ceux qui te réclament, répondit Ulrik. 

- Et quel meilleur moment que ton union avec l’un d’entre nous ? » ajouta Knut. 

Elle n’était pas certaine d’avoir tout suivi, qui la réclamaient exactement ? Sa confusion devait être évidente.

« Tu comprendras vite, Sjel, dit Finn avec un sourire bienveillant. Tu es prête pour un petit bain ? »

Est-ce qu’il venait de lui demander d’entrer dans l’eau ? Elle interrogea Ulrik du regard qui le lui confirma d’un hochement de la tête. Alors elle se déchaussa, et trempa le bout de son pied dans l’eau. La chaleur piquante lui soulagea instantanément sa jambe engourdie de fatigue, un soupir de satisfaction s’échappa de ses lèvres. L’eau était transparente et elle pouvait voir clairement la myriade de galets colorés qui en tapissaient le fond. Elle fit un premier pas, puis un autre. L’eau alourdit le bas de sa robe et la fine couche d’algue luminescente et gluante eut presque raison de son équilibre précaire. Elle parvint tout de même à avancer encore. Immergée jusqu’aux genoux, la chaleur déliait les muscles de ses mollets fatigués par la montée l’ayant emmenée jusqu’à clairière. L’odeur enivrante des fleurs portée par la vapeur d’eau envahissait son nez. L’air chaud et moite s’élevant du bassin était épais et ne se laissait pas respirer facilement. Une petite voix dans sa tête s’agita, se demandant si aller plus loin était réellement une bonne idée.

Son regard se porta vers Ulrik, devait-elle s’avancer encore ? D’un signe de tête, il lui signala de continuer en souriant tendrement. Son amour pour elle rayonnait et la confiance qu’elle avait en lui reprit le dessus. Un pas de plus et son souffle s’accéléra. Un autre, et son pouls se fit entendre dans ses oreilles. Le parfum entêtant des fleurs atteignait la limite du supportable et sa tête se mit à tourner. Un autre pas encore et l’eau lui arriva jusqu’à la taille. La chaleur soudaine enserrant son ventre lui donna un haut le cœur. La tension de la magie qui s’agite remonta le long de son corps. Si la sensation était familière, son intensité lui coupa le souffle. Elle tenta vainement d’avaler un air qui ne parvenait pas jusqu’à ses poumons. La panique la saisit et sa vision se brouilla. 

Elle voulu se tourner vers Ulrik pour l’appeler à l’aide mais ses yeux ne rencontrèrent que les étoiles et la Lune. Quand était-elle tombée ? Elle voulu se redresser mais l’eau sur laquelle elle flottait ne lui offrait aucun appui. Son souffle désormais calme, elle chercha doucement la berge des yeux, mais ne vit que la surface aqueuse parsemée de fleurs s’étendant à perte de vue et, au-dessus d’elle, le ciel infini. Disparus, les arbres. Disparue, la falaise. Disparue, la clairière. Il ne restait qu’elle, et la voûte céleste…

Elle flottait là depuis ce qui lui paraissait être des jours. Elle avait essayé plusieurs fois de se redresser mais, si l’eau la soutenait assez pour ne pas couler, elle ne le lui permettait pas pour autant de se mettre à la verticale. 

Puis, la tranquillité du lieu s’était infiltrée dans son cœur et elle avait cessé de lutter. La petite voix de sa tête lui disait souvent qu’elle devrait s’inquiéter, que ce qu’elle vivait n’était pas normal, mais la beauté du firmament la faisait toujours taire. La douce chaleur qui la berçait, l’odeur des fleurs qui l’entourait, le silence…

Elle n’avait jamais été aussi sereine durant sa vie, aussi se laissa-t-elle porter par les mouvements de l’eau. 

Elle était bien, mais la paix semblait vide. Son cœur désirait quelque chose qui n’existait que dans un autre monde. Sa main se tendit alors vers l’absence de présence à ses côtés, cherchant du bout des doigts quelque chose qui ne devrait pas être là. La surprise n’avait aucune réalité dans ce monde de quiétude, mais si elle en avait une, elle aurait sûrement saisit Ishta lorsque ses doigts rencontrèrent ceux d’un autre. Elle tourna lentement la tête pour croiser le regard d’Ulrik qui lui attrapa la main. Il lui offrit de nouveau ce sourire tendre qui la faisait fondre si facilement et la rassurait tout à la fois. Comment avait-elle pu aller jusqu’à l’oublier ?

« Tu m’as trouvé… » murmura-t-il doucement. 

Elle n’était plus seule. Rassérénée, son cœur satisfait, elle tourna de nouveau son attention vers les astres, prête à reprendre son repos. Mais une masse sombre dans le coin de son œil attira son attention. Tournant le regard sur son autre côté, elle vit une silhouette de brume flottait un peu plus loin. Puis une autre. Et encore une autre. Une multitude de formes vaporeuses étaient visibles aussi loin que son regard portait. Ils étaient entourés. Tous flottant comme elle. Tous aussi serein, elle le savait. Une part de son esprit se demandait qui ils pouvaient bien être, tandis qu’une autre n’aspirait qu’à rester en paix. Mais, alors que la deuxième gagnait enfin, une silhouette au loin se redressa, debout sur l’étendue d’eau. Puis une autre. Et encore une autre. Elle sentit Ulrik s’agitait. Elle tourna la tête à temps pour le voir accroupi à côté d’elle.

« Tu viens Sjel ? » dit-il calmement.

Comme si le simple fait de le lui demander aller magiquement lui permettre de marcher sur l’eau. Elle ne pouvait pas, elle avait essayé. Mais Ulrik insista du regard et pressa doucement la main d’Ishta toujours dans la sienne. Ne voyait-il pas qu’elle n’aspirait qu’à la tranquillité ? Une nouvelle pression de sa main la décida. Très bien, puisqu’il était têtu et refusait de la laisser se reposer… 

Elle put prendre appui sur la surface dure qui se trouvait sous elle, et ne sut dire si elle était plus surprise par ce qu’elle venait de faire ou par le simple fait d’être surprise. Ses pieds reposaient sur de la roche recouverte d’une fine couche d’eau, toujours parsemée de fleurs odorante. Ce sol n’était pas là quelques instants plus tôt. 

Autour d’elle, les silhouettes continuaient de se lever. Transformant ce qui était jusqu’alors un espace vide, en une large foule s’étendant à perte de vue. Elle pouvait apercevoir des gens, mais aussi toute sorte d’animaux se déplaçant sur cette mer sans profondeur. 

« Ne lâche pas ma main Sjel, lui dit Ulrik.

- Je n’en avais pas l’intention, répondit-elle sans aucune trace d’accent. »

Le chaman sourit devant son étonnement.

« Le langage n’existe pas au royaume des morts, expliqua-t-il.

- Alors je me suis noyée dans ce bassin… »

Elle était résignée, une partie d’elle le savait, dans le fond. Mais Ulrik éclata d’un rire qui résonna étrangement dans le silence de ce pays qui n’en était pas un.

« Non Sjel, les Sintånd t’ont simplement emmenée à eux. »

Elle n’eut pas vraiment le temps d’en savoir plus, au loin, se mouvant d’un pas expert entre les figures de brume, elle vit Askel s’approcher. Un peu plus et elle lâchait la main d’Ulrik pour se précipiter à sa rencontre mais l’avertissement du chaman lui revint en mémoire juste à temps. Elle se contenta donc de l’attendre. 

Le temps qu’il les rejoigne, les autres berserkir étaient apparus autour d’eux. 

« Ton rire a fait des vagues Sjel, dit Askel à Ulrik d’une voix douce. Je ne sais pas si nous pourrons rester longtemps.

- Alors faisons vite, trancha Finn.

- Que devons-nous faire ? demanda Ishta. 

- Te présenter, lui répondit Ulrik dans un sourire. »

Le ciel se mit à tourner au-dessus de sa tête, les étoiles filant à toute allure d’un bout à l’autre de la voûte stellaire lui donnèrent le vertige. Puis le ballet impressionnant du firmament s’arrêta aussi soudainement qu’il avait commencé. Se sentant perdre pied, elle s’accrocha au bras d’Ulrik qui l’enserra par la taille pour faire bonne mesure. Sous ses yeux ébahis, se trouvaient la clairière et le bassin de la source chaude, dans lequel elle se tenait avec Ulrik et Askel, immergés jusqu’à la taille. Accaparée par le spectacle qui se déroulait tout en haut, elle n’avait pas vu le paysage changer sous ses pieds.

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