QG - 08h30

Nuit de pleine lune… effluves d’embruns… rivières de sang… arabesques écarlates… volutes nacrées… silhouettes charbonneuses… hydre d’obsidienne… cauchemar.

Maya ouvre brusquement les yeux, haletante, désorientée. Avec fébrilité, elle se redresse, cherche des repères. Une pièce aux murs gris pâle, éclairée par une unique fenêtre donnant sur un ciel limpide. La jeune femme se trouve dans un lit muni de poignées métalliques, flanqué d’une table de nuit sommaire. Une légère odeur de désinfectant lui confirme qu’elle se trouve dans un hôpital ou une clinique.

Qu’est-ce que je fais là ?

Son cœur s’emballe à mesure que les événements de la veille lui reviennent. Une profonde angoisse la saisit.

Julia !

Avisant la porte en bois clair sur sa droite, Maya tente de se mettre debout. Ses muscles endoloris manquent de tonus. Des picotements remontent de la plante de ses pieds à la racine de ses cheveux. Des étoiles sombres dansent devant ses rétines tandis qu'un bourdonnement emplit ses oreilles. Prenant appui sur l’épais matelas, la biologiste laisse passer le vertige puis, vacillante, se dirige vers le battant. Elle doit à tout prix retrouver son amie. C’est sa seule priorité pour l’instant.

La chambre donne sur un long couloir aux murs monochromes, bleu clair, ornés de toiles florales. À première vue, six chambres occupent cette partie du bâtiment. Maya est logée dans la dernière. Vêtue d’une chemise de nuit d’hôpital, pieds nus sur le linoléum tiède, l’étudiante longe le corridor aussi vite que son corps courbattu le lui permet. Arrivée à son extrémité, elle amorce un virage à droite quand surgit une femme, d'origine asiatique, portant une blouse blanche. Menue, âgée d'une vingtaine d'années, son regard pétille derrière de larges lunettes à monture métallique. Ses longs cheveux d'ébène, noués en queue de cheval, dégagent un joli visage aux pommettes saillantes.

— Maya ! s’exclame-t-elle en affichant un sourire charmant. Vous ne devriez pas vous lever, vous êtes encore trop faible.

Focalisée sur son objectif, l’angoisse ancrée aux tripes, Delorme n’a que faire de l’apparente gentillesse de l’infirmière.

— Où est Julia ? demande-t-elle brusquement, la voix rauque.

— Vous devriez retourner dans votre chambre. Il faut vous reposer.

— Je veux voir mon amie, s’il vous plaît.

L'étudiante serre les dents, le sourire de la soignante faiblit. Une chape de plomb s’abat sur Maya, son esprit envahi d’images tragiques. L’Asiatique pose une main compatissante sur son épaule.

— Julia est en vie mais elle a subi un traumatisme important qui l’a plongée dans le coma.

— Si elle est ici, je veux la voir. Immédiatement !

Une nuée d’émotions assaille la jeune femme. Le soulagement de savoir Julia vivante, l’inquiétude quant à son état, la colère contre ces inconnus par qui tout était arrivé, la culpabilité d’avoir entraîné son amie avec elle.

L’infirmière semble réfléchir un instant, puis, avec douceur, prend sa patiente par le bras.

— D’accord, je vous y emmène.

En silence, elles traversent un hall dont les baies vitrées offrent une superbe vue sur un jardin luxuriant. Maya y prête à peine attention tant son impatience est grande.

— Je m’appelle Aïko Tanaka, déclare soudain son accompagnatrice. Je suis très heureuse de vous rencontrer enfin.

Je vais bientôt avoir un vrai fan club.

— Où sommes-nous ? s’enquiert la jeune femme d’un ton peu amène.

— Noah vous a ramenée au Quartier Général de notre organisation.

— Un QG ? Ça fait très militaire.

— C’est un peu ça, oui !

La dénommée Aïko s’arrête puis indique une porte.

— Voilà, nous y sommes.

Maya hésite un bref instant avant de pénétrer dans la chambre. À l’intérieur, le chuintement d’un respirateur accompagné du bip lent et régulier d’un moniteur rendent l’atmosphère oppressante. À la vue de Julia, l'étudiante sent son cœur se morceler, son estomac se contracter. Elle semble si frêle, perdue au milieu d’un lit trop grand, sous un drap immaculé d’où émergent de nombreux fils et tuyaux. Le visage creusé, la peau grise parcheminée de stries bleuâtres, les lèvres réduites à une simple esquisse, on dirait un oisillon tombé du nid, à la merci de tous les dangers. Maya voudrait prendre son amie dans ses bras, trouver les mots qui la ramèneraient. Sa gorge reste nouée, obstruée par la vague de chagrin qu’elle tente de refouler. Avec tendresse, elle embrasse les cheveux ternes de Julia, se penche vers son oreille puis murmure finalement :

— Accroche-toi sweetheart. Je vais te ramener à la maison. Tout ira bien.

À regret, Maya quitte la pièce. Refermant la porte, elle colle son front contre le panneau en bois, la respiration saccadée, les yeux humides. Ce n’est pas le moment de se laisser aller à ses émotions.

La douce voix de l’infirmière l’interpelle :

— Maya ? Ça va aller ?

Sérieusement ? Ça va aller ?

La jeune femme redresse soudain les épaules, essuie une larme rebelle puis fait volte-face, furieuse. La répartie meurt au bord de ses lèvres. À côté d’Aïko Tanaka se tient un homme. La cinquantaine, grand et large d’épaules, des cheveux clairs coupés à ras estompant sa calvitie. Son visage est long, sa mâchoire robuste. Ses lèvres minces s’étirent en un sourire qui fait briller ses yeux bleu glacier.

— Bonjour Maya ! Je suis Mac Snyder. Sois la bienvenue.

La Française manque de s’étrangler. Ignorant la main tendue, elle le fusille du regard.

— Faute d’être responsable d’une mission de recherche, vous l’êtes certainement de tout ce cirque !

Snyder laisse échapper un rire franc.

— Elle n’a pas la langue dans sa poche. J’adore ! Mais tu as raison, c’est un sacré bordel et nous te devons des explications.

Maya voudrait lui cracher sa rage à la figure. Pourtant, elle s’abstient, attendant de savoir à qui elle a réellement affaire. L’angoisse provoquée par le sort de Julia a pris le dessus sur le flot de questions qui tourmente la jeune femme depuis son réveil. Elle a désespérément besoin de réponses.