34. Natalia Morelli – 27 Avril
Londres - 16h58
De l’autre côté de la cloison transparente, l’individu leur tourne le dos. Assis, immobile, devant un écran d’ordinateur, il semble attendre quelque chose. Natalia comprend immédiatement que le Veilleur a vu juste. La brume grise autour de lui constitue la preuve que cet homme est le bras armé ayant libéré le virus meurtrier.
Brusquement, il se lève, fait volte face. Grand, plutôt bel homme, il porte un costume de bonne coupe. Ses yeux… Natalia frissonne. Entièrement noirs, ils brillent d’un éclat terrifiant. Aucun doute possible, il s'agit bien d'un fidèle d'Abaddon, un Corrompu. Le halo grisâtre s’épaissit convulsivement tandis qu'un sourire cruel anime son visage.
Sans consulter Jonas, n’écoutant que son instinct, l'Italienne focalise son attention sur la paroi vitrée. D'un simple geste de la main, elle augmente la pression d'air contre le verre trempé. La cloison explose soudain en une pluie de fragments scintillants. Le type sursaute mais continue de leur faire face. Bennett bondit, saisissant son adversaire à la gorge. Ils roulent au sol parmi les débris, luttent violemment, aura incandescente contre brume de noirceur.
Un bourdonnement désagréable vrille les tympans de Natalia. Sa vue se brouille.
Une dispute… des cris… des coups… le goût du sang dans sa bouche… les hurlements d’un enfant… un claquement de porte… une tempête… un petit corps sans vie…
— Natalia, sauve-toi !
Morelli reprend ses esprits. Pourtant, elle ignore l'ordre de son partenaire. Au sol, l’homme ceinture Jonas de ses jambes tout en tentant de l’étouffer au creux de son coude. Leurs halos respectifs se mêlent rageusement. Le type pousse un cri. Une odeur étrange imprègne l’atmosphère. La jeune femme comprend que Jonas fait monter la température. Cependant, le Corrompu se montre coriace. Malgré la douleur qu'il doit ressentir, il ne lâche pas sa proie pour autant.
Soudain, l'Élément Feu rugit furieusement. Un appendice noir, luisant, tout droit sorti de la nuée grisâtre, tente de perforer la tempe gauche de Jonas. Loin de se laisser faire, ce dernier accélère subitement le processus de fusion. Le costume commence à fondre, le Corrompu gémit. Pourtant, le sinistre tentacule poursuit son œuvre. Lorsque la peau de l'homme se met à cloquer, sa détermination faiblit. La brume grise qui l’enveloppe s'estompe, le serpent d'onyx se rétracte. Alors l’homme hurle, hurle à mesure que sa chair fond, se liquéfie, jusqu'à se réduire à un amas de tissus visqueux.
Jonas se redresse tant bien que mal, chancelant. Natalia le rejoint afin de le soutenir. Sans un mot, il refuse son aide, puis se penche vers l’ordinateur, plaçant ainsi la micro-caméra intégrée à sa tenue au niveau de l'écran.
— Tu as l’image, Tom ? Qu'est-ce que tu en dis ?
— J’en dis que cette saloperie était un virus 2.0 et que ce type allait déclencher une nouvelle vague de contamination. Heureusement, Izaya a bien bossé et maîtrisé la première.
— Un virus activé informatiquement ? s’étonne Natalia.
— On ne connaît qu’une infime partie de ce dont les biotechnologies sont capables. Rentrez maintenant, on vous attend.
Morelli s’apprête à activer le Portail avec sa gemme, un quartz fumé, lorsqu’elle suspend son geste.
— Jonas, est-ce que ça va ?
Elle porte la main à la tempe gauche de son co-équipier. À cet endroit, une arborescence noire, semblable à une figure de Lichtenberg provoquée par la foudre, marque sa peau. L’Élément Feu a un mouvement de recul. Une lueur étrange que Natalia connaît bien traverse son regard sombre.
— T’inquiète pas, il n’a pas réussi à m’avoir.
— Tu as quand même une sacrée trace, s’inquiète Natalia.
D'un geste, le jeune homme balaie les doutes de sa partenaire, puis affiche un sourire de tombeur.
— Comment tu m’as trouvé ? roucoule-t-il.
Natalia Morelli sourit. Juste avant de déclencher le processus de retour à la base, elle lance :
— Chaud comme la braise !
Annotations
Versions