Noa se retrouva de nouveau avec un collier autour du cou. Un des brigands enfonça un piton relié à la jeune femme par une chaîne. Trop étourdie pour chercher à s’enfuir, elle resta là, sur le marbre froid, reprenant doucement son souffle. Son corps lui faisait mal. Un peu plus et Nobu lui aurait brisé les os. Wanlia passa à côté d’elle, lui jetant à peine un regard pour continuer son chemin vers l’immense porte que Jim avait ouverte. Liam et les jumeaux furent menottés et emmenés pour assister à cette découverte, seul le mécanicien traître ne semblait pas être prisonnier.

  Passant le seuil de l’immense ouverture, ils débouchèrent sur une salle plus petite que le hall. Il y avait ici aussi des installations mais surtout un appareil central équipé de griffes immenses. Juste devant se tenait un socle avec quelques boutons. Liam observait tout ce qui l’entourait, intrigué par l’utilité de tout ceci. Lui et ses compagnons avaient risqué leurs vies pour venir ici, il avait presque envie de remercier les brigands pour voir ce que cachaient ces ruines. Chose qu’il ne ferait pas, pas après avoir vu dans quel état était Jack son collègue et ami. Il s’inquiétait d’ailleurs pour le mercenaire, espérant qu’il survivrait. Mais pour l’instant, il ne pouvait le voir ni l’aider alors il préférait s’occuper l’esprit sur les machines. Wanlia se dirigea vers le piédestal et scruta les interrupteurs, elle claqua des doigts pour interpeller Jim et qu’il s'en occupe.

  Le mécanicien hésita un instant après avoir lancé un regard timide à son ancien chef. Il étudia l’appareil pendant plusieurs secondes et se risqua à presser sur plusieurs boutons. Les pics en acier se mirent à briller et des faisceaux de lumière s’en échappèrent pour se rejoindre, créant un halo. Certains des brigands avaient braqué leurs armes par précaution, Wanlia souffla à Jim de ne rien tenter de stupide mais ce dernier ne l’écoutait pas, trop concentré sur ce qu’il faisait. Après avoir bidouillé encore un peu, il stabilisa la machine et un hologramme se forma à partir des rayons lumineux. Une carte du monde venait d'apparaître, montrant les différents continents. On pouvait voir une immense île au Nord, c’était Spindelsinn, le pays des glaces. En dessous et plus à l’Est se trouvait un autre archipel mais ni Liam ni Wanlia ne connaissaient cet endroit. Du peu qu’ils en savaient, c’était une zone inconnue où l’océan y était sans vagues, sans mouvements rendant la navigation contraignante voire impossible. Plus au Sud et représentant le centre et la plus grande partie du monde se trouvait un immense continent ressemblant grossièrement à une croix. Au Nord, c’était le pays de Wanlia, appelé Windochang, un endroit balayé en permanence par des vents puissants et arides. Au Sud, c’était celui de Liam et de ses compagnons : Edenia. Au milieu, formant la barre transversale de la croix, se trouvait la frontière naturelle entre ces deux régions. Une zone sauvage et dangereuse à cause de son environnement, des marais putrides ainsi qu’une jungle toxique que les gens avaient baptisée : Les Limbes. Tout au Sud, une autre île d’une taille conséquente : Terra Nova ou comme préféraient le dire les autochtones, les Terres de Gaïa, l’endroit où ils se trouvaient tous actuellement.

  Le chef des explorateurs en resta bouche-bée, il n’avait jamais vu une telle carte de sa vie. Elle était incroyablement bien détaillée et il y voyait différents points qui clignotaient sans savoir pourquoi. Nobu avait renfilé sa veste et s’était approché pour observer en silence, son regard était porté sur l’archipel inconnu. Wanlia l’avait remarqué et demanda à Jim de se renseigner sur les différents points lumineux qu’ils pouvaient voir. Il y en avait partout, quatre à Spindelsinn, dont un plus gros qui représentait la seule ville humaine du petit continent. Presque une dizaine à Windochang dont deux plus lumineux que les autres. Les Limbes en possédaient plusieurs également même si personne n’osait trop s’y aventurer. Presque autant à Edenia et sept à Terra Nova. Jim parvint à en sélectionner plusieurs, affichant des informations dont la plupart étaient dans le dialecte dans l’ancienne civilisation.

 – Du peu qu’il est écrit dans notre langue, ce sont les différents sites technomagiques encore en état ou partiellement. Je crois qu’on peut en activer d’ici mais je ne suis pas sûr.

Liam trouvait tout ceci follement incroyable, grâce à ça, ils pouvaient localiser tous les endroits importants à travers le monde. Une mine de connaissances qui pourrait permettre enfin, de comprendre ce qu’il s’était produit des siècles auparavant.

***

  Zenia observait à présent le moniteur avec beaucoup d’intérêt. Elle poussa Sven pour prendre le clavier afin de se jeter dessus. Pianotant à toute vitesse, plusieurs fenêtres s’ouvraient sur l’écran avec des centaines d’informations. Le jeune homme essayait de suivre pour savoir ce qu’elle voulait faire mais il n’y parvenait pas : trop de choses étaient inscrites en Krolt. Il vit cependant un lieu s’allumer avec plus d’intensité, il comprit que c’était le lieu où il était avec elle. L’Écorchée appuya une dernière fois sur une touche et releva les yeux en souriant. Une jauge chargeait sur l’écran et la lumière de la pièce où ils étaient s’amplifia alors. Satisfaite, elle poursuivit sur sa lancée pour faire autre chose. Le jeune homme la questionna mais elle ne prit pas le temps de lui répondre. Ce qu’il pouvait comprendre c'est qu'elle était enfermée ici depuis des années et qu'à présent, elle avait une opportunité de sortir d’ici. Même s’il ignorait encore ce qu’elle comptait faire, il pensa à ce que Zenia avait dit un peu plus tôt : le climat se détraquait et elle avait une solution pour ce gros problème. Un autre point s’amplifia dans la zone au Sud de Spindelsinn, cette île pourtant petite, disposait d’un nombre incroyable de sites des Krolt.

 – Si j’active ce bâtiment enfin… s’il est encore en état. On pourrait remédier aux changements climatiques, annonça-t-elle finalement pour répondre à Sven. Mais, ajouta-t-elle, il faudra encore qu'on s'y rende pour commander manuellement les appareils. Qu’on répare ce qu’il faut et encore que je vérifie si d’autres installations sont en état.

 – D’autres installations ?

 – Normalement, il y a un site météorologique sur chaque continent. Un ou plusieurs, expliqua-t-elle. S’ils ne sont pas foutus, on pourra les commander depuis l’autre endroit. Tu te souviens, j’avais expliqué que les Krolt avaient solutionné les maladies ? Ils géraient également le climat pour éviter de trop gros écarts pouvant influencer leur santé. Bon, à la base ce n’était pas prévu pour ça mais on doit pouvoir détourner son utilisation.

***

  Dans les ruines et devant l’hologramme, les gens présents voyaient différents points clignoter, des informations défiler sans que Jim ne touche à quoi que ce soit. Le mécanicien n’y comprenait rien. Avait-il activé un programme sans le vouloir ? Nobu et Wanlia fixaient le lieu en surbrillance sur le continent inconnu comme si cela apportait simplement la réponse à leurs questions.

 – Récupère la localisation avec Keiko et entrez ça dans l’aéronef, ordonna Nobu. C’est là qu’on se rend. Le lieu avec une technomagie en parfait état, un lieu où les radiations n’ont pas tout détruit. Les premiers messages qu’on a trouvés nous ont conduits au premier aéronef dans la montagne. Les autres, comment le réparer. Celui-ci n’est pas un hasard, c’est l’indication qu’on attendait. Celui pour trouver la terre promise, l’endroit où l’on pourra s’installer et vivre enfin correctement.

Wanlia acquiesça et appela la fille du grand guerrier pour l’aider à récupérer les coordonnées. L’adolescente avançait déjà en tenant une tablette dans les mains. Nobu quitta les lieux après avoir donné ses indications et Liam l’observa un instant. C’était donc lui le chef de toute cette bande. Wanlia devait être son apprentie et il la laissait faire pour juger ses agissements.

  L’explorateur se fraya un chemin jusqu’au socle pour se tenir à côté de son ancien ami, Jim. Il jeta un coup d’œil à ce que le mécanicien faisait puis porta son attention sur la carte. Il bouillonnait de l’intérieur, mitigé entre lui demander ce qu’il faisait ou le frapper voire au moins l’insulter. Les soldats aux alentours les fixèrent mais ne virent là aucun problème pour le moment, laissant Liam discuter avec son collègue.

 – Tu peux au moins me dire pourquoi et comment, tu nous as trahis ?

 – Je le peux, dit timidement Jim sans oser le regarder. Comment ? J’ai… récupéré la batterie du véhicule que j’ai ensuite raccordée au mécanisme de la salle de contrôle. Comme ça, j’ai obtenu l’énergie qu’il me manquait pour ouvrir la porte. J’ai emprunté la radio pour discuter avec Wanlia et négocier notre survie.

 – Mes négociations ne convenaient pas ? interrogea Liam.

 – J’ai exposé des faits que tu cachais. Comme qui tu étais ou surtout : de qui tu étais le petit-fils. J’ai parié sur la notoriété de ton grand-père, illustre politicien de Edenia, pour te garder en vie. Espérant qu’ils verraient là un moyen de se faire de l’argent en t’échangeant contre une rançon…

 – Ça ne protège que moi, cracha Liam. T’as pensé aux autres ? T'as imaginé qu'ils vous tuent, car ils n'ont besoin que de moi? Pourquoi ne pas nous en avoir parlé ? Pourquoi faire ça dans mon dos, Jim ?

 – Jack est dans un triste état à cause de moi, sanglota Jim. Billy et Arno sont morts. J’ai… j’ai eu peur. Toi et moi, on se connait depuis longtemps. T’as toujours été là pour moi. Tu m’as sorti de la misère en m’offrant du travail. Alors désolé si je sacrifie les autres ! Désolé s’ils meurent ! Tant que toi, tu survis, je n’en ai rien à…

  Jim ne termina jamais sa phrase. Il s’était figé, ses yeux exorbités se posèrent sur son ami à qui il avouait tenir énormément. Un filet de sang suinta de ses lèvres qui tressautaient. Il baissa la tête vers sa poitrine, Liam en fit autant. Et les deux hommes virent un poing couvert d’acier, traversant sa cage thoracique. Wanlia se tenait derrière, l’ayant perforé en une attaque, le tuant presque instantanément. Le mécanicien s’effondra au moment où la jeune femme retira sa main de son corps. Son poing fumait et laissait échapper un léger crépitement. Le chef des explorateurs resta bouche-bée, traumatisé par la mort de son ami. Il en oubliait sa trahison et la colère qu’il ressentait à son égard. Tout ceci laissait à présent place à l’incompréhension. Il croisa le regard améthyste de l’adolescente et se contint avec difficulté de l’attaquer. Malgré sa colère, il n’en perdait pas sa prudence, il était toujours entouré de soldats armés.

 – Pourquoi ? hurla-t-il en postillonnant de rage.

 – Il était convenu que j’épargne ta vie et celle de tes compagnons. L’autre punk est en vie malgré ses blessures, non ? Et tu pensais, un instant, qu’on allait embarquer un type capable de trahir ses collègues et son ami ? S’il peut vous trahir, nous ne pouvons lui faire confiance. Sans confiance, son utilité s’en retrouve vite réduite, comme sa vie d’ailleurs.

Fière de sa tirade, elle sourit avant d’ordonner à ses hommes de les embarquer pour l’aéronef. Liam tenta de se débattre mais une fois une lame pointée vers la gorge d’un des jumeaux, il se ravisa. Comme il le craignait, ils n’avaient besoin que de lui et n’hésiteraient pas à tuer ses compagnons pour qu’il obéisse.

  Wanlia s’intéressa à Keiko et sa tablette pour s’assurer qu’elle parvenait à récupérer les coordonnées. Les deux jeunes femmes utilisèrent avec précaution le panneau de commande de la carte jusqu’à obtenir tout ce qu’elles voulaient. Ce qui leur prit plusieurs minutes. Avant de quitter les lieux, la femme au poing d’acier se mit sur le chemin de l’autre adolescente.

 – Si tu me manques encore une fois de respect devant les autres... Fille de mon mentor ou non, tu le payeras. Est-ce clair ?

 – Et dans cet ingénieux plan, tu comptes ensuite piloter l’aéronef à ma place ?

Keiko lui fit un grand sourire en inclinant un peu la tête sur le côté. Elle contourna sa collègue pour partir, marchant d’un pas triomphal après avoir rabattu le caquet de Wanlia. Cette dernière cracha au sol, fulminant en silence pour sortir à son tour.