Descente aux enfers (1)

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  Un silence pesant régnait sur l’immense salle plongée dans l’obscurité. En de rares occasions, on pouvait entendre un grincement de ferraille ou une goutte d’eau. Après le vacarme et le chaos qui s’étaient abattus ici, ce calme n’augurait rien de bon pour les trois hommes. Ils étaient toujours sur la plateforme même si celle-ci tanguait dangereusement, des câbles d’harnachement avaient cédé lors de l’explosion. Incliné dangereusement, le support métallique menaçait de céder à un moment ou un autre, ce qui n’avait rien de rassurant pour les individus. Encore secoués par le tremblement du bâtiment, le bruit qui avait vrillé leurs tympans et le monde qui avait faillit s’écrouler sur eux, les chasseurs se tenaient à la rambarde comme s’ils s’accrochaient à la vie elle-même.

  Quelques mètres plus bas, la salle un peu plus tôt partiellement immergée était à présent visible. Des machines de forages et des véhicules gisaient ici et là, couverts de rouille et de vase. Des gravats du plafond étaient tombés mais c’était surtout une partie du sol qui avait cédé sous son propre poids, créant un immense gouffre qui avait avalé l’eau contenue depuis des années dans le hangar.

  Sibjorn contemplait la scène sans oser prononcer le moindre mot, craignant qu’un simple son suffise à provoquer un autre cataclysme. Et à en juger par le visage de ses compagnons, ils devaient penser la même chose. Le grand costaud était ravi de voir que son chef était parvenu à s’agripper malgré son bras en écharpe. Les secousses furent si violentes qu’il avait pensé passer par-dessus bord pour aller se briser le crâne et les os quelques mètres plus bas.

  Du coin de l’œil, Sibjorn voyait la passerelle par laquelle ils étaient arrivés. Détruite en grande partie par l’éboulement, l’escalier semblait encore praticable. Le pont, en revanche n’était plus qu’un lointain souvenir. L’homme se remémora la disparition de Sven, le combat avec les goules dont il portait encore les marques douloureuses. L’endroit lui rappelait un échec cuisant, la perte d’un ami mais elle signifiait aussi autre chose : sans le pont, il n’était plus possible de retourner à leur quartier pour y récupérer leurs affaires. Il devait exister un autre chemin, mais s’aventurer à l’aveugle dans un bâtiment souterrain qui menaçait de s’effondrer aurait été stupide.

  Continuant d’observer le hangar, Sibjorn remarqua l’immense porte qui devait donner sur l’extérieur : le pied du glacier et les créatures qui y vivaient. L’impressionnant portique branlait, des gonds ayant cassé durant l’explosion, elle pendait pitoyablement sur le côté et laissait entrer les rayons du soleil. Le faisceau lumineux éclairait faiblement les lieux, seule source de lumière depuis le cataclysme. Le vent s’engouffrait par le passage en grognant tel un animal affamé, frappant contre la porte pour l’ouvrir et entrer comme si la bête avait senti les trois hommes, des proies qu’elle pourrait mordre de son froid.

  Désireux de ne pas mourir ici, Sibjorn se décida finalement de se redresser. Ce simple mouvement fit osciller la plateforme et d’instinct, il resserra sa main sur la rambarde. Ogard lui lança un regard noir mais le costaud lui fit signe de se taire. Il savait très bien ce que le vieux voulait lui dire : éviter tout mouvement brusque. Mais s’ils ne bougeaient pas, ils finiraient aussi morts que si la plateforme tombait. Mourir de faim ou de fatigue revenait au même que mourir d’une chute, on était pas plus mort d’une façon ou d’une autre.

  Il se laissa glisser sur la rambarde pour avancer sur la plateforme et se diriger vers le coin qui inclinait vers le sol. De là, il espérait voir qu’ils n’étaient pas si haut et qu’ils pourraient descendre en sautant sur un véhicule ou une machine. Dix mètres à parcourir qui lui semblèrent pourtant si longs. Arrivé à destination, il sentit un certain soulagement qui fut malheureusement très vite chassé par la déception. D’ici, le sol était encore à sept ou huit mètres, sauter était pourtant envisageable mais non sans risque. Soupirant de colère, il laissa échapper plusieurs jurons avant de tourner la tête vers ses compagnons. Il avait bien une idée et celle-ci certes comportait quelques dangers mais était probablement leur meilleure chance. Malheureusement, Orm ne pouvait utiliser qu’un seul bras. Descendre en utilisant le câble d’harnachement n’était donc pas possible pour son compagnon sauf s’il se laissait glisser en s’arrachant la peau et la chair de sa main valide. Le risque était trop grand et Sibjorn refusait de laisser son meilleur ami derrière.

  D’un geste de la main, le grand gaillard fit signe à ses compagnons de le rejoindre. Ogard pesta mais se mit en route, suivi par Orm qui était blanc comme un linge. Alors que les deux hommes avançaient prudemment, Sibjorn continua d’analyser les alentours. Il ne vit rien d’autre que le fameux câble et douta d’une autre solution. Lorsque les deux chasseurs l’avaient rejoint, il se pencha vers eux.

 – On va descendre par le câble d’harnachement. Ogard, donne moi ta ceinture.

 – Ma ceinture ? répliqua l’ancien interloqué.

 – Oui, avec nos trois ceintures, je vais tenter de faire un harnais de fortune pour accrocher notre valeureux chef blessé, dit-il en affichant un sourire taquin. Tu vas m’aider à attacher Orm à moi puis tu descendras le premier, d’accord ?

 – L’idée me semble bonne à un détail prêt, souligna Ogard en levant la main.

 – Je t’écoute.

 – Vous devriez descendre en premier, je pourrai te tenir pendant que tu enjambes la rambarde et t’agrippes au câble. Avec Orm sur toi, tes mouvements ne seront pas simples alors autant que quelqu’un t’assiste, la suite sera suffisamment difficile pour ne pas te compliquer la tâche.

  Ne voyant rien à redire à cette proposition, Sibjorn hocha vigoureusement la tête et tourna les yeux vers Orm qui, étrangement, n’avait rien dit. Livide, le chef lui fit un vague sourire pour dire qu’il acceptait le plan. Le guerrier imagina non sans mal que son ami n’avait pas pensé pouvoir s’en sortir dans son état et qu’il s’était déjà résigné à mourir ici. Ou alors était-il malade à cause d’une vision ? Avait-il vu son frère mourir sous les décombres ? N’osant pas poser la question, Sibjorn se contenta de défaire sa ceinture pour la relier à celle d’Ogard et celle d’Orm. Ils s’attachèrent ainsi dos à dos, les ceintures autour de la taille. Se mettre ainsi n’était pas des plus confortable mais ils avaient jugé que ce serait préférable pour ne pas écraser le bras cassé d’Orm contre le dos de Sibjorn.

  Se hissant par-dessus la rambarde, Ogard agrippait fermement Orm pour le retenir et éviter que les deux hommes basculent dans le vide. Sibjorn attrapa d’une main le câble, l’autre après la barrière, il poussa sur ses jambes pour se plier en deux, se doutant que la position ne devait pas ravir son compagnon. Avalant sa salive avec difficulté, le grand gaillard ferma les yeux et prit une longue inspiration.

 – T’es prêt, Orm ?

 – Ouais. De toute façon, on doit descendre. J’ai une préférence sur la manière d’arriver en bas mais quoiqu’il arrive, je ne t’en tiendrai pas rigueur. En avant mon ami !

  La main de Sibjorn lâcha la barrière, il se sentit partir en arrière, aspiré par le vide. Le temps sembla se figer autour de lui. Le grognement du vent lui donna l’impression que la mort elle-même l’appelait et qu’elle se délectait de cette scène.

  De toute ses forces, il serra le câble et y jeta sa main libre. Il glissa sur un mètre vers le bas, se brûlant les mains pour arrêter la chute. Comme il s’y attendait avec le poids d’Orm, ce serait bien plus dur qu’il n’avait osé l’imaginer. Il enroula rapidement ses jambes autour de ce fil d’Ariane et entreprit de descendre avec le plus de précaution possible.

  Après plusieurs minutes, Sibjorn s’accorda une pause pour reprendre son souffle. Ses phalanges étaient blanches à force de serrer le câble et ses articulations devenaient de plus en plus douloureuses. Il sentait aussi son tibia et sa cheville droite le démanger, la peau de sa jambe étant irritée à force de frotter sur la corde métallique. Le corps couvert de sueur, le souffle court et des bouffées de chaleur, le chasseur avait hâte d’arriver à destination. À ce rythme, il craignait même d’avoir des crampes dans les mains. Derrière lui, Orm l’encourageait en parlant doucement autant pour se rassurer lui-même que donner du baume au cœur à son compagnon. Relevant les yeux, Sibjorn vit qu’Ogard commençait à les rejoindre, lui au moins n’aurait pas tant de difficulté pensa le grand costaud.

  Un bruit sourd résonna dans le hangar suivit d’un grondement du vent. La porte vibra dangereusement avant de subir un autre choc. D’autres cris vinrent se joindre à celui du blizzard et le martellement s’intensifia. Sibjorn comprit que des curieux se trouvant à l’extérieur, avaient envie de voir sur quoi donnait l’immense porte. Se rappelant ce qu’il avait vu depuis le haut de la falaise, il décida d’ignorer sa fatigue et la douleur pour descendre le plus rapidement possible. Ogard semblait du même avis car il avait avalé une bonne partie du chemin qui les séparait.

  Accompagnés par les chocs contre la porte et les rugissements, les trois hommes longèrent le câble métallique pour enfin poser les pieds à terre. De soulagement, Sibjorn voulut s’écrouler pour reprendre son souffle mais se ravisa très vite : il avait son compagnon accroché dans le dos. Ogard atterrit à son tour, fit un sourire plein de satisfaction à son collègue et s’attela très vite à décrocher Orm. Les coups contre la porte se faisaient plus violents et celle-ci oscillait de plus en plus. Dans quelques secondes, elle s’écroulerait… Une fois libre de ses mouvements, Orm pointa une main vers un véhicule.

 – Là-dessous ! Vite !

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