11. Soulagement.
Quand je donnais la lettre pour Saskia au gardien chargé du courrier sortant ce jour-là, je me sentais plus léger. Comme si tout le poids de cette décision si difficile à prendre s'envolait avec elle par le réseau US Mail. J'étais enfin persuadé d'avoir fait le bon choix.
Mitsy n'avait plus rien à m'apporter, elle en avait déjà fait bien assez comme ça. Cette fille avait foutu ma vie en l'air, d'un bout à l'autre. Pendant très longtemps, j'avais refusé de voir cette réalité en face. Et tout à coup, c'était une véritable révélation. Je souris en repensant à toutes les fois où Jeffrey Humpfries, un ancien voisin de cellule parti les pieds devant il y avait bien des années, avait essayé de me relever de ma culpabilité, en m'ouvrant les yeux sur Mitsy. En vain.
Et là, avec une étrange soudaineté, tous ces mots échangés et restés si longtemps sans échos, prenaient enfin tout leur sens. Certes, je n'avais jamais été un enfant de cœur. La délinquance m'avait frappé très tôt et l'excuse de mon milieu social n'en était pas vraiment une.
Malgré tout, j'avais des valeurs. S'il m'était arrivé de voler des voitures, jamais je ne l'avais fait à main armée. Si, parfois, je vendais de la drogue, je m'assurais toujours de le faire à des adultes et en aucun cas à d'autres adolescents au bord de la dérive. Et jamais, au grand jamais, je n'avais usé de violence envers qui que ce soit. Pas d'insultes, pas d'agression.
Mon unique acte d'agression avait été fatal à mon quotidien déjà fragile. Et je l'avais fait pour elle. Elle seule.
Qu'avais-je donc eu en retour ? Elle n'avait pas accepté de témoigner en ma faveur. Elle avait protégé sa réputation, refusé de mettre son calvaire en lumière. Au détriment de ma vie.
Longtemps, je lui avais trouvé des excuses. Elle n'avait pas voulu raviver le souvenir du viol en choisissant de ne pas avoir à le raconter en détails, de ne pas se faire analyser sous toutes les coutures devant le jury. Préférant troquer le regard de pitié qu'ils auraient sans nul doute eu à son égard, pour des œillades assassines tournées vers moi.
J'avais mentalement déchargé cette colère qui brûlait en moi contre le jury en question. Les accusants de ne pas avoir cherché à me comprendre, de m'avoir condamné dès mon arrivée dans le tribunal, moi et ma gueule de sauvage. Mais aujourd'hui, avec dix années de recul, je comprenais leur décision.
Qui avais-je été à leurs yeux, sinon un gamin agressif et violent qui avait assassiné son voisin de sang-froid en lui collant une balle de calibre trente-cinq à bout portant dans le front ?
Sans la preuve du viol, c'est à ça que je me résumais. Un délinquant sans scrupule, ni regret. Un être violent et dépourvu de sentiments. Une créature diabolique. Un monstre, le même que celui du portait que les forums pro-peine de mort dépeignaient de moi sur internet.
Mitsy aurait pu changer la donne. Me rendre visage humain. Allumer chez les membres du jury, la lueur de compréhension qui leur manquait pour m'innocenter, ou au moins accepter que je vive. Son égoïsme ne méritait pas les excuses que je lui avait cherché pendant autant d'années. Elle ne méritait pas que je pose mon regard sur elle. Encore moins que je lui accorde mon pardon. Je l'avais sauvée, libéré de sa misère. Et en échange elle avait pris mon avenir, mes rêves, chacun de mes espoirs et mes lendemains.
Désirait-elle seulement mon pardon ? J'avais déduit qu'elle voulait me revoir pour pouvoir avoir la conscience tranquille. Je pensais qu'elle avait perdu le sommeil, de me savoir ici alors qu'elle était libre et heureuse dehors. J'imaginais que, quelque part, dans un coin sombre de son esprit, ma présence dans le couloir de la mort, l'empêchait de vivre pleinement.
Mais c'était encore lui accorder une part d'humanité. Il était temps pour moi de grandir et d'accepter que j'avais sacrifié ma vie pour une nana qui n'en avait rien à foutre de moi.
La revoir ne m'attirerait que des ennuis. Des regrets. Ne ferait que me rappeller tout ce que j'avais perdu pour elle. Par sa faute.
Et après dix longues années, j'avais enfin compris que j'avais assez souffert comme ça.
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