19. Mitsy.
Je suivis Chambers, le gardien en charge du transfert, jusqu'à la salle des visites. Alors que je passais la porte du sas de sécurité où il m'ôterait la chaîne qui entravait mes chevilles et mes poignets, j'eus le temps d'entrapercevoir Mitsy à travers la vitre qui nous séparerait. Contrairement à moi, elle n'avait presque pas changé.
Ses boucles blondes étaient nouées en un chignon artistique sur le haut de sa tête, quelques mèches folles s'en étaient échappées et encadraient son visage à l'ovale toujours parfait. Son teint était halé et faisait ressortir l'azur de ses yeux, pétillants toujours de jeunesse. J'entrais dans le box, m'assis et décrochais le combiné en même temps qu'elle.
Machinalement, je plongeais mon regard dans le sien, la sondant furtivement pour essayer de deviner les secrets cachés derrière ce besoin impérieux de me revoir. Le rouge lui monta aux joues, teintant ses pommettes hautes et saillantes.
-Bon... Bonjour Colton, bégaya-t-elle.
-Salut, Mitsy.
J'essayais, tant bien que mal, de me la jouer cool et de masquer mon malaise, mais ma voix tremblante me trahissait.
-Je suis désolée, Colton, pour tout ce qui t'es arrivé à cause de moi, dit-elle, ses beaux yeux se remplissants instantanément de larmes.
Ma gorge se noua, j'ignorais si j'étais capable de répondre à ses excuses, car je ne savais pas comment les gérer, je sentais mes sentiments s'emméler en un tourbillon confus. Aussi fis-je un geste de la main, comme pour chasser le sujet. Il y eu quelques secondes de battements, où, ni elle ni moi ne savions tout à fait quoi dire pour engager la discussion.
Nous reprîmes la parole au même moment ce qui nous fit sourire et détendit enfin l'atmosphère qui jusque là était très lourde.
Elle me fit signe de continuer la phrase que j'avais commencée.
-Que deviens-tu depuis toutes ces années ? Tu es repartie en Georgie ? demandais-je.
-Non, pas du tout, je suis toujours restée au Texas, je vis à Irving.
-Irving ? Tu n'es pas partie bien loin, dis-je.
-Je travaille à Dallas, donc les trajets ne sont pas bien longs, le matin. J'ai une petite fille, que j'élève seule, reprit-elle, elle a neuf ans.
Neuf ans... Pendant une fraction de seconde, la pensée furtive que le secret ait été cette enfant, que j'aie été père tout ce temps sans le savoir m'effleura l'esprit. Puis je me souvint que Mitsy et moi n'avions jamais couché ensemble, et que c'était donc impossible.
- Ta fille, son père c'est Der... commencai-je en réalisant l'horreur de la question que j'allais poser.
-Ô dieu merci, non ! me coupat-telle. Son père était une histoire de passage, un peu après ton arrestation. Quand j'ai appris que j'étais enceinte, je lui en ai parlé, mais il n'a rien voulu savoir, donc je l'élève seule.
-Ça ne doit pas être facile tous les jours, répondis-je en me souvenant de comme maman et moi avions parfois du mal à boucler nos fins de mois.
- Cherry Lee est une enfant merveilleuse, facile, douce, appliquée, j'ai beaucoup de chance, et j'ai un excellent emploi, rétorqua-t-elle, et je ne suis pas venue ici pour me plaindre, pas à toi !
- Je n'insinuais rien de tel Mitsy, lui dis-je, comprenant qu'elle ait pu prendre ma remarque pour un reproche déguisé.
-Colton, répondit-elle semblant soudain mal à l'aise, je voulais te voir pour deux choses.
Je me rendis compte que je la fixais intensément, avide de savoir les réelles raisons de sa visite, aussi baissais-je légérement le regard, par crainte de la destabiliser encore plus.
- J'ai appris que les résultats des analyses de viols étaient toujours exploitables.
Je retins mon souffle. Saskia m'avait annoncé la même chose au téléphone, j'étais déjà au courant de cette information. Cependant, le fait qu'elle sorte, à présent, de la bouche même de Mitsy, lui conférait une tout autre dimension.
- Il y a dix ans, continua Mitsy, en lisant nerveusement les plis de sa robe fleurie, je n'avais pas la force d'admettre le viol, d'en parler devant un jury, une salle comble, affronter tous ces regards... Puis j'étais perdue, je n'arrivais pas à reprendre pied avec la réalité, j'étais tellement détachée de moi-même. Comment aurai-je pu penser à quelqu'un d'autre, quand je n'était déjà plus moi-même ?
-Je comprends, glissais-je furtivement.
-Je ne te demandes pas de me pardonner, Colton, je ne mérite pas ton pardon, pas après tout ce que tu as traversé à cause de moi, je ne suis pas une bonne personne.
-Mitsy, ne dis pas de bêtises, la consolais-je, me rendant compte à quel point son emprise sur moi était toujours présente, je ne supportais pas de la voir attristée.
- Ce ne sont pas des bêtises Colton, j'aurais pu te sortir de là, il y a bien longtemps, mais je n'étais qu'une gamine apeurée et qui avait peur des rumeurs, et je t'ai sacrifié pour mon bien-être.
Je demeurais silencieux, ne sachant que répondre à cela, car d'une certaine façon, elle avait raison, et je l'avais moi-même pensé, en ces termes exacts d'ailleurs.
- Dis à ton avocat de me contacter Colton, je veux utiliser ces résultats, je veux que tu sortes de là.
J'eus le souffle coupé, son témoignage pouvait m'obtenir une révision de peine. Serait-il possible que je sorte enfin d'ici ? Je n'osais pas laisser mes pensées s'aventurer plus loin, je savais qu'un tel espoir pourrait facilement me faire basculer dans la folie.
-Merci Mitsy, balbutiais-je, sous le choc.
J'aurais voulu lui prendre la main, mais forcément cette foutue vitre m'en empêchait, me frustrant plus que jamais auparavant.
-C'est la moindre des choses, c'est de ma faute si tu es derrière cette vitre. Mais ce n'est pas tout et c'est loin d'être la raison principale de ma venue.
Devant mon regard interrogateur, elle poursuivit :
-Je t'ai dit que j'avais un très bon emploi. Je travaille dans l'immobilier, et, dernièrement j'ai vendu une demeure...
Je me demandais quel était le rapport entre une vente et moi.
- La maison était à Dallas, Colton, reprit-elle, mais son acheteur était un Navajo...
Elle se tut et respira profondément avant de m'annoncer dans un murmure :
-Colton, j'ai retrouvé ton père....
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