L'odeur du souffre
De retour au restaurant, la jeune fille s’ancra de nouveau dans la réalité. Le jardin derrière elle semblait apaisé, le calme était revenu et certains la regardaient avec des yeux à la fois curieux et réprobateurs, sans qu’elle ne parvienne à en comprendre la raison. Oui, elle pouvait être Renouveau et avoir une vie en dehors de ce jeu. Même si elle avait un enfant, ce qui n’était pas le cas et qu’il leur était impossible de le savoir, on ne pouvait pas la désapprouver pour quelque chose d’aussi simple. À moins que l’humanité n’ait régressé au point d’interdire aux autres d’être heureux, auquel cas elle avait raison de ne pas rester sans rien faire.
Elle soupirait encore lorsque le visage de la serveuse apparut brusquement devant elle et que sa petite voix terriblement enthousiaste ne lui vrille les oreilles.
- Alors, tout s’est bien passé ? J’ai vu ce que vous avez fait, c’était très héroïque, magnifique ! Avec Anakin, vous formez vraiment un beau…
- Nous ne sommes pas en couple, mademoiselle, la reprit-elle machinalement. Par contre, si vous pouviez m’apporter une poche de glace…
- Vous vous êtes blessée ? s’affola la jeune femme. J’y vais tout de suite !
Elle disparut presque aussi rapidement qu’elle était apparue. Un nouveau soupir glissa entre les lèvres de Zelda et elle se laissa tomber sur sa chaise pour boire une grande gorgée de chocolat chaud. Elle n’avait pas beaucoup mangé la veille et elle commençait à le sentir. Même la fatigue lui tombait dessus. Elle avait fait beaucoup d’efforts sans prendre soin de son corps, il fallait bien qu’il le lui rendre…
Elle avala d’un trait le contenu de sa tasse et fit de même avec son verre de jus d’orange. Deux ou trois pâtisseries connurent le même sort. L’enfant en face d’elle la fixait étrangement, mais elle n’y fit pas attention. Comment pourrait-elle le comprendre, elle ne le connaissait pas suff…
Son implant répondit alors même qu’elle n’avait pas fini de formuler sa pensée.
Kazumi Nakahara - 8 ans - Orphelin - Adopté par la famille Nakahara à l’âge de 2 ans, ses parents restent introuvables - Implanté dès sa naissance - Albinos - …
Son rythme cardiaque augmenta brutalement tandis qu’elle rejetait brutalement les informations dans le néant. Mais ça ne changeait rien à la réalité. Il était fiché par INRIS. Elle ne pouvait vraiment pas le garder sous sa protection. Il était un danger, autant pour elle que pour lui-même. S’il restait avec elle, ils finiraient tôt ou tard par la prendre sur le fait et elle ne pouvait pas courir ce risque. C’était de la folie. Elle devait le ramener à un commissariat le plus rapidement possible. Il était peut-être recherché, elle ne connaissait pas ce nom de famille, mais elle savait que les japonais étaient rarement le genre de personne qu’il lui avait décrit, alors si ce n’était qu’une couverture pour tendre un piège aux membres de l’organisation…
En un instant, mille visages se succédèrent devant ses yeux. Des amis, des parents, des anonymes. Des gens qui comptaient sur elle. Des gens qu’elle était peut-être en train de condamner, ici et maintenant, en tentant de recoller les morceaux avec son passé. Des gens qu’elle ne pouvait pas se permettre d’abandonner égoïstement en tombant dans un piège tendu à son attention, à cause de ce mouchard qu’elle se refusait à abandonner dans un monde si inhospitalier, si contradictoire.
Elle se redressa brusquement et une vive douleur la rappela sur Terre. Elle devait s’en débarrasser. Peu importait qu’il trouve une famille aimante si le monde dans lequel elle lui permettrait de vivre devenait meilleur. Si vraiment elle n’était pas capable de répéter le passé, elle reviendrait le chercher. Mais cela ne pourrait arriver que lorsque tout serait terminé. Et pour cette raison, il fallait qu’elle reste inconnue, juste une silhouette dans la rue, une signature sur un registre, une rencontre dans un café… Il fallait absolument qu’elle ne la retrouve pas. Sans ça… Sans ça, elle ne serait pas là pour voir l’accomplissement de douze ans d’efforts, d’apprentissages et de combats sans cesse plus difficiles. Et c’était hors de question.
Ils finirent de manger et sortirent du restaurant. Leurs consommations furent automatiquement débitées sur le compte de la seule personne majeure et désignée comme Responsable, ils n’avaient pas besoin de s’en occuper. Zelda prit le petit garçon par la main, s’accroupit devant lui et s’excusa à nouveau.
- Je suis obligée de te ramener à tes responsables, lui expliqua-t-elle d’un ton à la fois doux et ferme, sinon ils vont croire que je t’ai enlevé et je vais avoir des problèmes, tu comprends ?
- Mais je leur dirais que tu m’as sauvé et…
- Il y a quelqu’un qui ne doit pas savoir que je suis ici et en allant voir la police, elle sera forcément au courant. Je ne peux pas prendre le risque que tu sois blessé par ma faute. Tu seras plus en sécurité là qu’avec moi, alors je n’ai pas le choix…
- Mais tu es super forte ! Tu vas la battre et après on pourra rester tous les deux, hein ?
- Quand tout sera fini, murmura-t-elle avec un sourire triste, je promets de venir te chercher.
- Qu’est-ce qui sera fini ?
Elle préféra ne pas lui répondre. En savoir trop lui coûterait probablement la vie et les enfants ne pouvaient s’empêcher de parler de ce qui ne les regardait pas, elle était trop bien placée pour le savoir. Elle s’assura qu’elle tenait bien sa main et se dirigea d’un bon pas vers le commissariat le plus proche. Si elle ne se trompait pas, il devait être par là… Oui, c’était ça. Elle ne savait pas encore comment elle allait expliquer la situation ni comment elle allait s’en sortir, mais il n’y avait pas de temps à perdre. Si elle s’était jetée dans un piège aussi bien ficelé, sans se rendre compte de rien, ça ne pouvait vouloir dire qu’une chose : elle était derrière et elle ne lui ferait pas de cadeau.
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