Chapitre 32

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- Alors, comment avance votre enquête ?

- Mal. Très mal. Depuis que la Présidente a été libérée, elle nous a collé un procès pour diffamation et garde à vue abusive, et toutes les preuves nous accusent, je suis écarté de l’enquête, et plus personne n’aura accès au dossier de l’autre tueuse de Carmen… !

- Il doit bien vous rester quelque chose à faire, non ?

- Oui, on a récupéré l’arme qu’elle avait sur elle, ses empreintes, son ADN, mais sans INRIS, aucune chance de l’inculper, les affaires sans témoignage Optique sont généralement mises en suspens en attendant des informations de la maison-mère, et on sait très bien qu’on en aura plus jamais. Mais c’était sûr, tous les meurtriers doivent être liés à cette abrutie de Présidente, c’est pour ça qu’ils nous échappent systématiquement, parce qu’elle les couvre !

- Arrête de raconter n’importe quoi, tu sais très bien que ce n’est pas possible…

Le commissariat de police où l’inspecteur et l’officier se disputaient désormais n’était qu’à quelques kilomètres de l’hôpital où Zelda se morfondait. Ses dernières pensées n’avaient pas été les plus joyeuses, et son inquiétude commençait à se faire ressentir. Son esprit vagabondait dans un des recoins les plus sombres de sa conscience, laissant à l’inconscient le choix des souvenirs à laisser glisser vers elle.

Son premier meurtre. Cet enfant. De son âge. Ce petit garçon. Elle s’en souvenait. Elle l’avait égorgé. Au milieu de la rue. Devant l’école. Devant ses parents. Son premier sang. Son premier corps. Sa première vie. Arrachée. Sans aucun remord. Sans aucune larme. Sur le moment, elle n’avait rien ressenti de spécial. Elle aurait pu avoir coupé un oignon. Mais ç’avait été une tête. Sa tête. Sa petite tête blonde. Ses petits yeux bleus. Qui n’avaient même pas eu le temps de se fermer. Qui l’avaient regardé faire. Sans cligner. Fixés sur elle.

C’était étrange. Pourquoi ne le regretter qu’aujourd’hui ? Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? Pourquoi ne pas avoir réagir lorsqu’il était encore temps ? Pourquoi commençait-elle seulement à penser que tout aurait pu être différent, alors qu’il était trop tard, bien trop tard ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?!

Un râle horrible s’échappa de sa gorge, tandis qu’elle essayait de ne pas laisser ses émotions l’emporter. C’était une lutte perdue d’avance, elle le savait, alors lorsqu’elle préféra s’avouer vaincue plutôt que de se battre en vain, les larmes furent comme prises par surprise, et ne s’écoulèrent pas tout de suite. En fait, ce fut seulement la douleur née dans sa gorge, comme si elle avait été déchirée de l’intérieur, qui les força à quitter les coins de ses yeux pour rouler sur ses joues. Des mots envahissaient son esprit, sans lui laisser un seul instant de répit.

- Ta faute, lui murmurait Swan.

- Ma faute, répétait-elle, assombrie.

- Ta faute, grondait Victoria.

- Ma faute.

- Ta faute !, s’exclamait Mamoru.

- Ma faute.

- Ta faute, grondait Louis.

- Ma faute.

- Ta faute…, sanglotait Joy.

- Ma faute…

- Ta faute…? demandait Kazumi.

- Oui, ma faute… Je ne suis pas héroïque. Je suis faible. Je suis stupide. Je suis impulsive. Tout ça, c’est de ma faute. Vous avez raison, mais…

- Mais ? Mais quoi ?

- Mais je voudrais… Je voudrais… Je ne sais pas. C’est de ma faute, mais ici, maintenant… Qu’est-ce que je peux faire ? Comment je peux vous aider ? Comment je peux réparer mes fautes ? Sauver les vies que j’ai arrachées, rendre un fils, une mère, un grand-père, une amante, un professeur, une idole… ? C’est trop tard, et je ne suis même pas sûre de véritablement avoir de regrets. Et je suis égoïste, parce que lorsque ce sont des gens auxquels je tiens, je cherche toujours une solution pour éviter le pire. Alors que les autres… Les autres, je me contente de les exécuter, sans…

Elle soupira et s’étouffa. La douleur était revenue, plus forte, mais pas dans sa gorge. Dans sa nuque. À l’endroit exact où elle savait que son implant résidait. À l’endroit-même où ce qu’elle savait être sa carte d’identité, son lien avec les autres, avec cette réalité, avait été glissé sous sa peau. Douleur. Brûlure. Horreur. Rejet. Voilà ce que c’était. Son corps rejetait cette capsule garante de sa normalité. Ça n’avait aucun sens. Après près de vingt ans dans un corps… Non, ce n’était pas possible...

Bip ! Bip ! Bip ! Bip !

Rythme card… en hauzzzz…

La voix qui résonnait aux oreilles de Zelda n’avait plus rien d’humain. L’image devant ses yeux ne cessait de sauter, les couleurs se séparaient, les sons déformés, même les battements de son cœur ne semblaient plus avoir de sens. L’appareil chargé de vérifier son état de santé s’était mis à hurler, comme une sirène, sauf qu’aux oreilles de la jeune femme, des coups de feu dans une cathédrale auraient été plus doux, même si on avait brûlé vives des centaines de personnes, leurs hurlements et l’horreur n’en auraient été qu’affaiblies. Tout simplement parce que quelque part, elle avait peur de devenir un fantôme. De devenir comme ces autres, qu’elle protégeait. De devenir une taupe, une légende et de voir son monde s’écrouler. De voir celui qu’elle espérait bâtir s’effondrer.

Simplement de ne pas mourir. De devoir survivre. De devoir souffrir, pour le restant de ses jours.

Toutes les couleurs disparurent brusquement, ne laissant derrière elles qu’une obscurité silencieuse.

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