Chapitre 44

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Pour la première fois depuis une éternité, les êtres humains de tout un pays avaient été touchés au même instant par le même mal. Les officiers chargés du maintien de l’ordre avaient été appelée dans les rues pour contenir la colère de certains et les réactions presque instantanées qui avaient suivi la vidéo, même si eux-mêmes avaient de nombreuses difficultés à ne pas se laisser déborder. Ils avaient été les premières victimes de cette longue liste, avec les familles des victimes, et ils devaient bien être touchés par le mécontentement des citoyens. Ils avaient été attaqués par une personne qu’ils tenaient entre leurs mains moins de quarante-huit heures auparavant, qui leur avait listé chacune de leurs faiblesses, chacune de leurs erreurs, tout en leur prouvant qu’elle était hors de leur portée, qu’ils ne pouvaient pas l’atteindre, et qu’alors même qu’ils l’avaient eu en leur pouvoir, ils avaient été incapables de la garder sous leur contrôle.

Alors s’il y en avait qui avaient été ridiculisés, c’était bien eux. Et cette réalité les rendait encore plus agressifs, tandis que les mots qui les avaient glacés se répétaient sans cesse dans leurs têtes.

- Incapables !

- Menteurs !

- C’est un complot !

- On veut voir la directrice !

- Présidente, dîtes-nous que c’est pas vrai !

Malgré les cris et le mécontentement affiché des citoyens, il n’y eut aucun débordement. Tous s’étaient réunis pour hurler qu’il fallait qu’elle leur parle, que leur très chère Présidente Kafka démente les propos incroyables qu’ils avaient entendus de la bouche de cette criminelle, alors que celle-ci même était cloitrée dans son bureau, entourée de vigiles et de conseillers prêts à réagir en cas de révolte. Tout ce qui avait été dit lui avait paru si lointain, si irréel, et puis elle avait vu les larmes de Zelda. C’avait été comme si le monde lui était tombé sur la tête.

Chaque nom prononcé avait eu un écho dans ses fichiers. Il y en avait peu qu’elle avait constitué elle-même, mais ces noms-là, elle les avait reconnus. De toutes les morts suspectes qu’elle avait reçues en dossiers à dissimuler, il lui semblait que quelques noms pouvaient y être retrouvés… Elle avait ouvert passé sa main sur les couvertures des classeurs, jusqu’à trouver, sous une épaisse couche de poussière, celui noté secret-défense. Elle l’ouvrit au hasard, lut le nom qui s’étalait sous ses yeux, tandis que les mots de son amour résonnaient.

Théo Kaïra.

C’avait été… Oui, ç’avait été son premier également. Le premier d’une longue liste. D’une interminable liste. Elle avait été sur les lieux du crime. Elle avait vu le sang sur le bitume, les pompiers, les parents, les camarades, les professeurs. Elle avait vu le traumatisme dans leurs yeux, la colère, l’horreur. Elle en avait été témoin. Elle les avait contemplés de ses yeux, comme elle avait vu le sourire et embrassé les lèvres de celle qui lui avait ôté la vie, de celle qui avait fait couler son sang. Comme elle l’avait pardonnée de tous ses crimes. Même de celui d’un enfant, dont la tête avait roulée jusque sur le trottoir, où l’attendaient ses parents. Non. Ce n’était…

Excusez-moi. Excusez-moi. Excusez-moi… Ce n’était pas assez ! Pas assez ! Comment avait-elle pu la pardonner ?! Comment avait-elle pu croire que celle qui avait tué un enfant qui avait presque son âge regrettait sincèrement ce crime ? Alors qu’elle le revendiquait maintenant seulement en retenant ses larmes ? Elle devrait être en train de pleurer, de se noyer dans ses larmes, pas faire des pauses pour les retenir !

Elle jeta le classeur à travers la pièce et se prit la tête dans les mains, crispée, tous ses muscles contractés. La vidéo se termina avant qu’elle ne comprenne ce qu’il s’était passé. Au même moment, la sécurité fit irruption dans la pièce, l’entourant pour la protéger.

- Madame la Présidente, est-ce que tout va bien ? s’inquiéta une jeune femme en entrant dans la pièce, ses talons claquant sur le lino.

- Zelda… Zelda… Zelda ! ZELDA !

- Appelez le psy et le médecin, elle a subi un choc ! Que personne ne la dérange, sortez tous !

- Qui êtes-vous ?

- Je suis Maëlle Bachan, sa conseillère en affaires internationales. S’il-vous-plaît, laissez-nous.

- Jamais entendu parler de ça, grogna un garde en pointant son arme sur elle.

- Baissez votre arme je vous prie. Elle a besoin d’aide, je peux la lui apporter. Présidente Kafka, c’est Scarlet ! Scarlet, la Faucheuse m’a dit que…

- Scarlet… ? La Faucheuse vous a… ? Alors, c’est…

- Ça vous dérange si je vous en parle maintenant ?

- Je… Non, dîtes-moi… Que les autres sortent, s’il-vous-plaît, j’ai besoin de rester seule avec elle, c’est une affaire qui me concerne personnellement… Que les autres suivent le protocole et les ordres de leurs supérieurs, il va me falloir du temps… Du temps pour m’en remettre… Interdisez l’accès à mon bureau, et que personne ne me dérange tant que je n’aurais pas fini de discuter avec mademoiselle Bachan. Si quiconque essaye d’écouter, je vous promets des châtiments éternels, c’est bien compris ?

- Des… Des châtiments éternels ? bredouilla le chef de la sécurité en la fixant.

Il n’avait jamais été aussi confus devant sa supérieure. Depuis quand lui donnait-elle des ordres ? Et cette menace ? D’où pouvait-elle bien sortir cette idée stupide, alors qu’elle n’était même pas capable de se décider entre deux paires de chaussures ? Qu’est-ce qu’il pouvait bien lui être arrivé ? Il releva les yeux, croisa ceux de sa démente de patronne et fit signe à son équipe de battre en retraite.

Lorsque tous furent sortis, un étrange silence tomba sur le bureau. La personne la plus puissante de la planète s’était roulée en boule sous la table, le visage fermé et les lèvres crispées. Debout, à quelques mètres, se tenait une grande femme perchée sur des talons aiguilles, semblable à une statue de cire tant sa peau et ses cheveux châtains avaient cet aspect irréel que la beauté offre parfois. Et pas un mot. Pourtant, toutes deux avaient assez à se dire pour changer trois fois la face du monde.

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