- V -

4 minutes de lecture

Une frontière se dessinait sous la lumière blafarde de l'astre lunaire. Elle se démarquait tant qu'il était impossible de la manquer, même aveugle.

D'un côté, l'herbe haute et grasse bruissait des petites vies qui grouillaient sur son sol fertile. La forêt s'étendait au loin, une barrière végétale impénétrable sur laquelle des colosses verdoyants veillaient. Les oiseaux nocturnes et autres animaux rendaient plus certaine la vie qui s'épanouissait. De l'autre, des volutes de poussières se soulevaient capricieusement de la terre asséchée. Les extrêmes de température se faisaient cruellement ressentir ; des rochers envahissaient le sol nu que la végétation avait déserté ; le Silence infrangible se fit assourdissant.

Un groupe de cavaliers s'en approchait, chevauchant des sauriens massifs à l'épaisse cuirasse. Ils s'arrêtèrent à un pied de la plaine aride, évaluant d'un œil critique l'étendue désertique. Un homme tira de sa sacoche un astrolabe cuivré, surmonté en son centre d'un prisme pyramidal et de trois réglettes. D'une main experte, il pointa l'objet vers les cieux. Ses yeux plissés dans une semi-transe, l'individu sélectionna parmi l'infinité d'étoiles celles qui l'inspiraient le plus. Presque indépendant de sa volonté, son index décala l'alidade principale. Les rouages du mécanisme cliquetèrent, l'aiguille argentée survolait le limbe du disque mère, et pointa le premier point stellaire.

La seconde suivante, il chercha la prochaine étoile, déjà au fait de son emplacement.

Derrière, ses cinq compagnons attendaient silencieusement qu'il leur indique la prochaine direction. Ils n'échangeaient aucun mot, ne bougeaient pas, mais de temps en temps, ils dirigeaient un regard vers l'un des leurs, un épais gaillard au visage de pierre scindé par une balafre fraîche. L'expression qu'il gardait ferme et abrupte devant eux n'empêcha pas une douleur fantôme de l'assaillir. Quand elle devint trop forte, il porta sa grosse main vers la base de son épaule droite, là où manquait son bras. L'homme serra son moignon, puisant dans la force de sa volonté pour ne pas y penser.

  • Gérald, prends ça, souffla une femme à la coupe courte.

Le guerrier abaissa son regard, et vit la bourse que lui proposait sa coéquipière. Elle renfermait des gélules qui apaiseraient son mal ; l'homme snoba le sac.

  • Garde cette saloperie de poison, j'en ai pas besoin !

Sa voix rauque et caverneuse ne déstabilisa pas la femme. Elle le fixa avec mépris, et jeta le paquet sur lui. Gérald l'attrapa adroitement ; ses yeux mauvais la poignardèrent impitoyablement.

  • Je m'en contre-fiche que tu préfères souffrir par pure fierté, mais ne deviens pas plus un fardeau que tu ne l'es déjà.
  • Ta gueule, sale giarc ! rugit l'homme en tombant à terre. Tu te prends pour qui à me parler comme ça ?!

Il s'avança vers elle, le poing fermé et menaçant, avant qu'un autre cavalier au masque d'ivoire ne le maintienne sur place ; moins imposant que le géant qu'il maitrisait, sa poigne écrasante surprit le guerrier. Derrière les fentes orbitales creusées grossièrement brillaient sévèrement ses prunelles améthystes.

  • Tu perds ton sang-froid ? Pourtant, Adelaï a raison, répliqua-t-il. Si tu n'avais pas agi aussi imprudemment, on n'aurait pas perdu la trace de cette fille... ni toi ton bras.

Le concerné se dégagea brutalement de son emprise, et abaissa sa tête à son niveau, rouge de rage.

  • Toi, Le Masque, t'en mêle pas ! En attendant, j'étais le seul à l'avoir acculée et...
  • ... et presque tuée, le coupa Adelaï. Je remercierais volontiers le monstre qui t'a bouffé le bras avant que tu n'aies pu la décapiter ; au moins, il nous a sauvés de ta bêtise.

À l'insulte, l'un des deux restés en retrait ricana sous sa tunique, sans chercher à se cacher.

Humilié, Gérald atteignit son point de rupture. Respirant fort, le guerrier allait s'emparer de la hache massive installée derrière son dos, avant qu'une voix autoritaire ne tonne :

  • Tous les trois, ça suffit !

Son ordre endigua le conflit et toute confrontation à venir ; chaque paire d'yeux se tourna vers leur chef. Il venait d'installer son astrolabe et dévisageait froidement les agitateurs, la contrariété étirait ses traits. Avant de parler, le meneur inspira à fond, puis dévisagea le manchot.

  • Avale ton médicament, ou je te l'enfonce dans la gorge. Là où nous allons, la moindre faiblesse sera ta mort. Elle ferait tache sur mon rapport.

Le grand homme bouillait intérieurement, mais il réprima toute envie de rébellion devant leur meneur. Tête basse, il ingéra un comprimé et remonta en selle.

  • Je préfère ça. Maintenant, écoutez-moi bien : l'Ordre nous envoie à la recherche de Dame Irya, actuellement en possession d'un écrit sacré. Notre mission est de la ramener dans notre pays... vivante.

Gérald retint un grognement au sous-entendu, tandis qu'Adelaï prenait plaisir à le voir ridiculement soumis à leur chef. Le Masque acquiesça, et les autres restèrent muets.

  • La dernière fois, nous avons été pris de court ; notre défaite résulte de ma négligence. Je n'envisageais pas que cette bête l'accompagnait. Aussi, la stratégie est la suivante : on les piste, on guette le bon moment, puis on attaque. On neutralise en priorité ce monstre : ne permettez aucune ouverture. L'assaut doit être précis et synchronisé. Quant à Dame Irya, vous me laisserez lui parler, pour qu'elle se rende de sa propre initiative. Même fugitive, elle reste l'héritière du clan Thÿr ; aucun tort ne lui sera fait. Suis-je clair ?
  • Oui, chef Ädenal ! clamèrent ses subordonnés.

Ses directives données, le chasseur cingla sa monture. Dans un grognement, elle prit la direction que le prisme lui indiquait. Les reptiles le talonnèrent, et le groupe fila dans les plaines du désert de Syrhkà.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 27 versions.

Vous aimez lire Dragon Fire ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0