Chapitre 2 : Préparatifs - I -
Chuchotements.
Ciel.
Cris.
Appels.
Secousse
On appelle son nom.
Le sol est contre son dos.
Elle est engourdie de toute sensation.
Secousse
Sa main tient quelque chose.
Secousse
Il y a des visages.
Des gouttes d'eau tombent sur le sien.
Secousse
D'où viennent-elles ?
Secousse
Secousse
Elle sourit.
Pourquoi ?
Secousse
Sa main s'élève vers le ciel.
Secousse
Secousse
Secousse
Le brouillard l'enveloppe.
Elle chute.
Le néant l'envahit.
Secousse
La lumière...
oOo
L'agitation sur le dos d'Irya n'était pas la bienvenue.
Secousse après secousse, elle quittait les méandres de son rêve déjà fragilisé. Les images évanescentes se fondaient dans le néant, mais le sentiment de béatitude l'encourageait à les raviver ; à les revivre.
- Pas maintenant... Encore un peu...
Sa supplique marmonnée n'atteignit pas son tourmenteur. Sinon, en la voyant s'agiter, ses efforts redoublèrent.
La chasseresse bafouilla quelques jurons de chez elle ; un cafouillis très proche d'un grognement. Embrassée par les brumes du sommeil, la jeune fille brassa mollement l'air d'un bras pour chasser l'importun qui la tourmentait. Elle ne le toucha pas, mais l'invité indésirable s'éloigna pour l'éviter.
Irya crut l'entendre ronchonner et se plaindre de sa paresse, sans pour autant partir de sa chambre.
- Laisse-moi tranquille...
Après quelques instants, il lui sembla que l'intrus avait fini par abandonner. L'adolescente soupira, satisfaite. Son bras retomba vers le sol, et elle se prépara à se rendormir.
Victoire très courte.
Les mains belliqueuses reprirent place dans son dos. Leur poids s'abattit cruellement sur sa colonne vertébrale ; la pression coupa même le souffle à Irya. L'insolent ne s'arrêta pas là : en s'aidant de ses mains comme appuis, il sautillait maintenant en rythme afin de l'écraser. Elle ne pouvait pas lutter.
Sünghya... l'appela Irya. Viens m'aider, s'il te plaît...
Vaguement, elle le sentit réagir ; sa conscience se mêla à la sienne, intrigué et inquiet par sa pensée. Cependant, après un bref aperçu qui l'aida à en comprendre la raison, il n'éprouva plus que de l'exaspération. Las, le monstre se retira, même si elle l'implorait de rester.
- Il est très tard, la gronda-t-il. Cesse tes enfantillages et sors du lit !
- Lâcheur !
- Til Irya ! Debout ! Debout ! On vous attend !
À deux contre un, l'adolescente n'eut pas l'énergie de résister plus longtemps et abandonna : de toute façon, les assauts l'avaient bien réveillée. Son rêve ne lui reviendrait pas. Vaincue, la chasseresse grommela et se força à se lever. Devant elle, un petit garçon maigrelet aux cheveux bruns tout ébouriffés la dévisageait. Il devait avoir moins de dix ans.
- Qui es-tu ?
Sa voix faisait peur. N'importe qui la comparerait au grognement d'un tyranours sorti d'hibernation, et sa tête échevelée renforçait l'image. Heureusement, le bambin ne se moqua pas et se présenta avec entrain :
- Je m'appelle Fiin, mademoiselle ! On m'envoie vous chercher.
Le garçon lui offrit son sourire le plus éclatant ; il lui manquait quatre dents de lait. Mais il était tellement adorable que sa mignonnerie effaça les restes de fatigue.
- Il est trop chou...
- Tout ce que tu trouves est chou, se moqua Sünghya.
- Encore là, sale traître ?
Un peu blessé par sa pique grincheuse, le Karan s'éloigna réellement. Mais avant de partir, il répliqua vicieusement :
- Autant pour moi, j'avais presque oublié que tu n'es pas fréquentable au réveil.
Avec ça, il coupa leurs liens. Irya ne s'en fit pas ; elle savait qu'il reviendrait bientôt. La jeune fille s'étira légèrement, puis jeta un coup d'œil au garçonnet. Tout en peignant un minimum ses cheveux avec ses doigts, elle remarqua pour la première fois le plateau de nourriture sur la table de chevet.
- Dis-moi, c'est toi qui me l'as ramené ?
Fiin hocha la tête ; elle loua sa prévoyance. Maintenant debout, son ventre commençait à gargouiller. La chasseresse récupéra sa nourriture ; une grappe de fruits rouges longilignes gorgés de jus, accompagnée de pains beurrés, d'œufs durs à la chair pourpre et d'un gobelet remplis de lait fumant.
- Merci beaucoup.
Les formalités faites, l'adolescente passa à table. Mâchant et buvant, elle se remémorait la veille, depuis l'arrivée de Sünghya jusqu'à son retour à l'auberge. Jamais elle n'aurait espéré que l'entretien qu'ils eurent avec Zyr se passe aussi bien.
Trop bien, même.
Avec tout le savoir dont disposait les Dryuns, plus qu'aucun autre peuple humain, le vieil homme ne pouvait pas ignorer l'identité de son partenaire. Les légendes qui l'entouraient, ou sa place parmi les grands tourmenteurs des hommes ; Zyr était bien trop cultivé pour ne pas le reconnaître. Mais pas la moindre trace de choc ne l'avait traversé, ou une étincelle de peur : rien. Comme si c'était naturel. Même Irya ne pourrait se vanter d'un tel détachement.
Une affaire bien suspicieuse et elle se demanda, en finissant son repas, si le concerné avait une quelconque influence là-dedans. Pour l'instant, elle doutait que ledit monstre ne lui parle après son traitement antérieur. Pas après avoir digéré cette humiliation, du moins.
Enfin... Sünghya n'était pas trop rancunier. Une fois calmé et revenu à elle, l'adolescente ferait amende honorable. Mais avant, elle devait savoir ce qu'on lui voulait. Le plus probable était que Zyr l'ait convoqué. Irya le saurait bien assez tôt.
Son plateau terminé, Fiin sortit des poches de sa tunique débraillée un pot enveloppé dans du tissu. Il l'ouvrit, et révéla du gel ; Irya le reconnut aussitôt.
Ce produit inversait les effets de la chaleur et offrait une agréable sensation de fraîcheur. Des versions plus élaborées étaient aussi de parfaits ignifuges. Tous ceux qui vivaient dans le désert de Syrhkà ou le traversaient s'enduisaient de cette substance. L'adolescente prit bien soin de n'épargner aucun de ses membres exposés ; son visage, ses mains, ses bras... Irya en appliqua une bonne couche.
Ensuite, elle enfila en vitesse la double robe claire au-dessus de ses vêtements, qui permettrait à l'air emprisonné de s'échapper.
Une fois prête, bien habillée, et après un léger brossage, Fiin agrippa sa manche et la tira à l'extérieur. Ses jambes maigrelettes l'emportèrent rapidement à la sortie ; en passant, Irya salua la gérante de l'auberge occupée à balayer le couloir.
Dans le ciel, le soleil atteignait son zénith ; si brillant que Irya protégea ses yeux avec un bras. Bénie soit la crème isolante ! Sans elle, la chasserese serait devenue une torche humaine.
Dehors, les gens vaquaient à leurs occupations : l'école pour les enfants, la surveillance pour les aînées, la poterie dans des ateliers, la réparation du puits et des palissades détruits par le Kroâkoar pour les menuisiers... Il n'y avait aucun tire-au-flanc. Leurs déplacements s'apparentaient à une fourmilière ; les habitants utilisaient des réseaux de couloirs interconnectés pour se déplacer dans la roche. Ainsi, personne ne se gênait, et ils restaient à l'abri des rayons solaires.
- Par ici ! l'enjoignit Fiin en attrapant sa main.
Le petit guide et Irya traversèrent les plates-formes protégées par un toit et empruntèrent les escaliers qui longeaient la paroi externe. La marche soutenue et assurée du garçon leur permirent d'arriver en un clin d'œil à leur destination. Mais leur chemin ne s'arrêta pas là. Dans la place bruyante bondée de monde, ils se faufilèrent entre les ouvriers, entreprise périlleuse à cause des outils et des matériaux déplacés qui rendait leur progression particulièrement ardue. En dix secondes, Irya manqua de trébucher ou de se cogner une bonne vingtaine de fois.
- Hé... Héééé ! Attends, tu devrais...
Une poutre métallique tourna vers sa direction, la forçant à se taire pour l'esquiver. L'adolescente voulut demander s'il n'y avait pas un autre chemin, mais l'enfant restait concentré sur leur progression et ne prit pas garde.
À cause de leur manège risqué, ils furent grondés par beaucoup d'adultes, surtout lorsque l'un bloquait la route ou frôlait les travailleurs. Irya échappa de peu à une méchante bosse alors qu'elle s'abaissait juste à temps pour éviter une autre planche soulevée (à force de jouer, sa chance finira par la laisser tomber).
Cependant, une seconde plus tard, une femme proche de là les héla. Ou plus précisément, le jeune garçon peu prudent fut la cible de sa colère.
- Hag'kia, Fiin ! Viun u's er ! *
Enfin, sa voix atteignit le galopin qui se figea.
Pris en faute, l'interpellé rentra sa tête entre ses épaules avec une grimace et se tourna vers l'ouvrière. Elle ne semblait pas de très bonne humeur, avec ses mains sur ses hanches et ses sourcils abaissés.
- Ktarr **... gémit-il entre ses dents avant de relâcher la chasseresse. Pardon, je dois aller la voir. Continuez tout droit jusqu'au cabanon. Patchas Zyr vous y attend.
- Heu... Merci ? lui dit Irya alors qu'il filait.
* Hé ho, Fiin ! Viens un peu par là !
** Mince...
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