Acte II

Les applaudissements vinrent immédiatement couvrir le silence tout juste troublé par les respirations sifflantes de deux corps éreintés. Le bruit était assourdissant : les mains s'entrechoquaient, la synchronisation était parfaite.

Les regards auraient pu être les témoins d'émotions particulières et perçues différemment par chacun. Les gens auraient pu être touchés, indifférents, déçus. Mais rien de tout cela n'était visible, rien de tout ça n'était ressenti. Les sourires étaient tous identiques, lèvres étirées en une grimace peu convaincante. Les yeux rivés sur le couple qui se redressait, étaient aussi vides que pouvaient l'être ceux d'un mort. Vitreux, comme le reflet d'une âme consumée par l'alcool ou la drogue, bien que cela ne soit pourtant pas la vérité. Sans se concerter à l'entrée de la représentation, des centaines de personnes arboraient pourtant maintenant ce même masque à l'unisson, sans qu'une seule d'entre elles ne se lève pour faire une ovation, et ainsi briser cet océan d'exactitude.

Comme ayant une notion parfaite des réactions à dévoiler pour faire bonne impression en société, chacun applaudissait l'exploit sans en être atteint par la portée, sans avoir la conviction qu'il existe.

Le son était majestueux, l'illusion plausible. Lui s'y arrêtait, cela le rendait fier. Mais elle ne parvenait plus à la supporter, elle voyait plus que jamais elle n'y était parvenue auparavant.

Des rangées d'automates cédaient la place à d'autres rangées d'automates. Au-dessus des têtes dansaient des reflets blancs, fils de pensées n'allant que dans un sens. Et depuis quelques jours, l'évidence la frappait. Elle ne voyait plus que ça. Impossible de ne pas s'en rendre compte. Et impossible d'oublier, de faire comme si de rien n'était. Tandis qu'ils saluaient le public, main dans la main, quelque chose se crispa dans son estomac. Elle voulait fuir cette scène, fuir ça, et tout le reste.

Les applaudissements cessèrent lorsqu'ils quittèrent une première fois les projecteurs. Elle en profita pour inspirer profondément. Elle ne voulait pas y revenir. Retourner jouer ce stupide rôle lui nouait les entrailles. Mais elle n'avait pas le choix, cela ne relevait pas de ses décisions et encore moins de ses envies. Alors lorsqu'il lui reprit la main pour franchir le rideau, elle le suivit.

Un sourire bien trop large figea son visage pour qu'il paraisse sincère au final, et pourtant, on ne lui imposait rien de plus. La priorité n'était pas donnée à ce qu'elle ressentait, la seule chose qu'elle devait fournir était l'image parfaite d'un ressenti qui n'existait pas.

Tout son corps tremblait de l'effort : c'était réel et incontestable. Quant aux remerciements qu'elle adressait à un public indifférent, ce n'était qu'une façade.

Les applaudissements suivirent leur réapparition, clappements enjoués contrastant avec l'expression hypocrite qui imprégnait leurs traits. Quelques uns semblaient cependant plus vivants que le reste. Leurs regards étaient animés d'un je-ne-sais-quoi qui n'était pas visible de la scène. Mais il s'agissait d'un sentiment sincère.

Tout comme elle le vivait, tout comme elle avait la forte intuition de l'absence de sens menant sa vie morne et répétitive, d'autres aussi faisaient face à une prise de conscience.

Ils n'étaient maîtres de rien. Ce rôle n'était pas le leur.

Pourtant, lorsqu'un membre du public se détacha du groupe de clones, un courageux se levant enfin de son siège pour féliciter, peut-être plus réellement et avec plus de conviction le couple de danseurs, les fils tenant son coude et son poignet étaient clairement visibles sous la lumière des projecteurs, s'agitant en entraînant avec eux le bras qui saluait.

Ils contrôlaient tout.