Le poids de l'âme
ÉPISODE 4 : La force de la mémoire.
Le poids de l'âme
Elle semble émerger de ce sommeil provoqué. Comme hypnotisée, elle se redresse sur cette table, arrache les cathéters qui étaient implantés dans ses deux bras avant de s'extuber ; le tuyau qui était inséré dans sa bouche jusqu'à la trachée est retiré d'un geste précis. Elle s'assoit sur le bord de la table puis, alors que son sternum est toujours écarté par ces outils chirurgicaux, elle se lève, dévie d'un quart de tour et marche vers ce mur, ou plutôt vers cette silhouette. Celle d'une femme.
Mamy-G s'immobilise à quelques pas de cette personne qui semble beaucoup l’impressionner. Ses yeux s’accommodent à la pénombre et voilà qu'elle la reconnaît enfin ; Maât. Cette déesse égyptienne qu'elle a temps étudié lui fait face. Mamy-G sait pourquoi elle est ici.
Maât ne parle pas. En revanche, elle montre du doigt le cœur inerte de la patiente, comme pour initier ce fameux rituel de la balance. Mamy-G plonge alors ses mains dans son thorax ouvert, saisit son propre cœur et se l'extrait elle même avec force. Sans hésitation ni tremblement, elle le porte à bouts de bras, les mains jointes, comme en offrande à cette divinité.
Une balance reluisant de dorures et de détails minutieux apparaît alors à côté de cette femme mystique. Maât attrape alors le cœur qui lui est tendu et le pose sur l'un des plateaux de la balance, qui s'incline instantanément sous le poids de l'organe encore chaud. Mamy-G recule d'un pas et observe alors avec attention ce qui suit. Maât saisit de sa longue chevelure sombre et lisse une magnifique plume colorée d'un bleu roi qu'elle tient du bout des doigts. Puis elle souffle dessus pour en éliminer de quelconques impuretés avant de la placer sur l'autre plateau de la balance. Mamy-G retient son souffle.
La magie opère. La plume et le cœur semblent se stabiliser à même hauteur, la balance parfaitement équilibrée, symbole de la pureté de l'âme de la donneuse. Maât esquisse alors un sourire du coin des lèvres.
– Viens, mon enfant. La matrice t'attend.
Maât tend alors la main à Mamy-G, qui ne peut refuser l'offre. Lorsqu'elle l'attrape, toutes ses blessures se corrigent et le thorax se referme. Elle prend une forte inspiration, comme si son âme était avalée par cette poignée de main puis, dans un flash lumineux semblable à celui de l'arrivée de la déesse, les deux femmes disparaissent.
Instantanément après ce flash et le départ de ses deux entités, tout le bloc opératoire retrouve le calme et l'organisation qui y régnait il y a quelques minutes. Les lumières s'allument. La pompe qui fait office de cœur artificiel n'a pas explosé en délivrant ces litres de sang, mais est néanmoins à l’arrêt. L'équipe soignante et le chirurgien se réveillent aux quatre coins de la pièce. Ils commencent à se relever, gagnés par l'incompréhension, exempts de souvenirs des dernières minutes. Ils ne tarderont pas à constater que la patiente est toujours sur la table d'opération, décédée, l'âme envolée.
Annotations