Tisser des liens
ÉPISODE 4 : La force de la mémoire.
Tisser des liens
– Tu crois qu'on va s'écraser dessus ?
– Oh non. Vu la trajectoire qu'on prend, Taak, je ne pense pas. Et pi tu voudrais, toi, t'écraser sur une planète comme ça ? Rien qu'à sa couleur, je suis sûr qu'elle n'a rien à offrir.
– Moi je l'aime bien. J'aime bien son rouge. Ça me rappelle quelque chose. Quelque chose de chaleureux, d'agréable.
Au delà du visible, loin dans le vide cosmique, un petit météore lancé à vive allure file droit, imperceptible. Taak s'éloigne du hublot et part s'asseoir sur l'une des banquettes du module. Il est pensif.
– J'ai comme une impression de déjà vu. Ou peut-être que c'est un souvenir.
– Dis-moi ? répond Saule en se retournant face à lui.
– J'ai le souvenir que, petit, j'ai passé du temps dans un univers rouge comme ça. Je ne sais pas quoi. Mais je me souviens en être sorti et avoir été …
Il s'interrompt, le visage figé. C'est comme si une partie de l'histoire lui revenait subitement.
– Je me souviens que, en sortant de cette … chose rouge … Ce robot … Il était là. Dès mon plus jeune âge. J'ai grandi avec. C'est pour ça que ce débris me semble si important.
Il le sort de sa sacoche pour l'admirer.
– J'ai comme l'impression qu'il était présent pour moi. Et il n'arrêtait pas de dire que … Mais oui ! Il parlait tout le temps de Q, c'est pour ça que ce nom me dit quelque chose.
– Mais tu as dit que tu ne te souvenais pas des tempêtes de pierres. Or sur Q c'est assez fréquent.
– Peut-être que …
Il s'interrompt à nouveau. Il semble divaguer. Il est perdu, désespéré.
– J'ai l'impression qu'au final, ça ne changera rien.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Regarde-nous Saule. On est à la dérive dans le vide le plus total et personne ne nous retrouvera et moi non plus, je ne m'y retrouve pas … Je ne sais même pas qui je suis alors que je m'y efforce jour après jour. Enfin si je puis dire, parce que la notion de jour dans cette maudite carlingue n'a plus de sens.
Taak s'effondre. Il n'arrive plus à contenir ses émotions. Saule s'installe alors à ses côtés et le prends dans ses bras ; consolation et chaleur humaine si réconfortante. Taak relève la tête. Saule lui effleure la joue avec son index pour effacer une larme qui glissait lentement.
– Tu n'es pas seul Taak. On est ensemble. Je ne peux pas te dire combien de temps nous allons devoir passer dans ce module, mais une chose est sûre, ce temps, on le passera à deux. Ça va aller. Tu veux que …
Taak ne le laisse pas terminer sa phrase. Il comprime les joues de Saule entre ses mains et appose ses lèvres contre les siennes, tendresse d'un baiser qui, d'une part, lui fait oublier un peu l'isolation et la déchéance, et d'autre part, lui permet de concrétiser un désir inavouable et tant espéré. Celui de partager de l'amour avec un homme. Alors Taak ne pense à rien. À rien, sauf à lui, Saule, sa bouche collée à la sienne.
Annotations