L'ombre de nos souliers
Anna avait peur de tout.
Du chat noir qui rôdait jusqu'au bout de sa rue.
De sa maîtresse qui arrachait les pages de son carnet de "tampons pour bons élèves" quand elle se trompait en maths.
Des élèves qui se moquaient d'elle, entre autres parce qu'elle n'avait pas de papa.
Des gâteaux secs de la concierge que les voisins disaient empoisonnés.
Et surtout, surtout Anna avait peur de son ombre du bout de ses souliers. Cette ombre si grande qui prenait toute la place qu'elle n'osait occuper et qui allait à la recouvrir presque entièrement les soirs d'été. Jusqu'à l'avaler.
Anna aurait bien aimé marcher à reculons, autant pour se prémunir de son ombre menaçante que pour protéger les autres du féroce appétit de celle-ci. Mais bien évidemment, Anna ne pouvait pas toujours progresser à reculons au risque de se faire mal ou de se cogner aux autres.
Alors Anna adopta une autre solution, celle de marcher à tous petits pas légers. Pour ne pas réveiller son ombre. Pour ne pas déranger. Cette idée se révéla pire que la précédente. Car c'est bien connu, plus on essaie de se faire discret, plus on attire l'attention :
À raser les murs, Anna se fit vite remarquer. Et plus elle tentait de marcher à pas de souris, plus ses pas résonnaient lourds et forts comme pour annoncer l'arrivée de pachydermes. Son comportement attira davantage de moqueries et ne fit qu'aggraver la peur qui logeait en elle.
Anna était très malheureuse. Voilà ce qu'il en était le jour où un petit cordonnier arriva.
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