Inés de la Cruz
de Maggy Lune
Un vent froid sentant l'herbe mouillée m'a assailli les narines dès que j'ai ouvert la porte. Plus ou moins humide, maussade et gris, le temps n'était pas de mon côté.
Il fallait pourtant que j'aille à ce rendez-vous. Je devais tout d'abord donner à boire à la voiture. Et quel gosier en pente ! Une Shelby GT 350 de 1967, c'est pas une Zoë non plus... Bref, direction la station-essence.
Quand je suis arrivée à la pompe, j'ai remercié ma grand-mère non seulement pour ses gâteaux à la confiture mais aussi pour l'argent qui accompagnait son bolide... Bordel, une nuit au Ritz est presque abordable comparé à un plein d'essence aujourd'hui !
Un groupe de ptites frappes regardaient ma voiture avec des yeux concupiscents et je sentais les scènes de films d'action se dérouler dans leur tête. La salive faisait briller leur dents poncées par la nicotine et l'alcool frelaté.
Je les ignorai. J'étais en avance mais je n'avais pas envie de traîner non plus. Je raccrochai le pistolet et m'apprêtais à refermer mon clapet de réservoir quand le plus petit des mectons est passé derrière ma caisse en lui caressant la croupe comme à une jument.
"- Belle monture, mademoiselle. T'es sûre que tu peux conduire cet engin ? C'est un peu puissant pour une dame, non ?"
Encore un...
"-Sachez, monsieur, répondis-je en le regardant dans les yeux, ce qui lui fit froncer ses sourcils broussailleux; "que je gère très bien la puissance de cette voiture."
Je jetai un oeil vers leurs motos, des Yahama R6. "Je pourrais tout aussi bien vous recommander la prudence sur vos engins, ils risqueraient de vous décoiffer légèrement..."
Le ptit chef se maudit du réflexe qui l'obligea à redresser sa mèche enduite de gel.
"-Surveille tes paroles, grosse vache. Ta voiture est à nous, alors tu te casses sans chouiner et on te laissera peut-être ton sac."
C'est qu'il commençait à devenir agressif en plus, le ptit mecton. Rien de tel qu'un égo froissé pour pourrir la journée.
"Sinon, quoi ? Si vous voulez m'emprunter mon rouge à lèvres, servez-vous, je vous en prie."
Ses oreilles commençaient justement à prendre la teinte "Corail intense" au fur et à mesure que ses collègues se rapprochaient, crispés. Pendant ce temps, j'étais toujours à côté de la pompe et je tâtai ma poche.
"On ne va pas te le dire deux fois, pauvre conne," cracha un blond sec à côté de son patron, trop heureux de laisser les autres se prendre ma répartie dans la face. "Tu nous donnes ta caisse et on te laisse partir à pied, ou on te la prend et tu repars en brancard.
-Oh, mais c'est qu'on fait preuve d'imagination, le Viking. Je vais te dire ce que je vais faire. Vous allez vous pousser, déjà, et je vais repartir tranquillement dans ma voiture, d'accord ? Sinon, c'est moi qui vais vous faire des propositions que vous n'allez pas apprécier."
Le blond, surpris, se retourna vers son patron qui ressemblait de plus en plus à Joe Dalton version pivoine, pour la suite des opérations.
"-Bon, j'en ai assez les mecs, allez faire chier une mamie quelque part, c'est plus à votre niveau là, j'ai un rendez-vous à honorer. Si vous voulez bien m'excuser..."
A ce moment, le Viking essaya de m'envoyer un poing mou quelque part entre mon épaule et le montant de la pompe à essence. Je pivotai et il trouva le métal et étouffa un cri. Pauvre chaton.
"-Tu vas me le payer, salope !"
Avant qu'il ne recommence, je pris le pistolet, l'actionnai et projetai de l'essence sur son entrejambe, celle de son patron et aux pieds de l'assistance, médusée. Je sortis mon Zippo de ma poche et l'ouvrit dans un cliquetis métallique.
"-Maintenant, les garçons, vous voulez bien vous pousser où j'vous prépare des chipos au barbecue ?"
En voyant mon pouce s'approcher de la pierre, ils reculèrent, la haine au bord des yeux, me tournèrent le dos et s'enfuirent sur leurs engins.
"C'est pas fini, sale pute !" cria, au loin, le ptit chef aux cheveux en gelée.
Je remis la pompe en place, refermai mon couvercle de réservoir. Je pris place dans ma voiture et ouvrit le pare-soleil. Maquillage impeccable, je pouvais aller à mon rendez-vous tranquille. Je n'étais même pas encore en retard.
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