Rouge framboise
Il était 22h. L’air du minuscule studio dans lequel il séjournait était devenu irrespirable. Ce soir encore, le jeune homme ne doutait pas un instant qu’il aurait du mal à s'endormir. Il faisait trop chaud. Il avait donc décidé de descendre trouver un semblant de fraîcheur dans les ruelles du centre-ville et espérait un regain d’optimisme, après les derniers mois assez sombres de son existence.
Les rues désertes et silencieuses qu'il emprunta lui firent le plus grand bien. Le bruit lointain de l’agitation résonnait à ses oreilles. Il ne serait pas seul longtemps. Un léger vent frais se glissa à travers son t-shirt rouge. Il frissonna de plaisir. Les mains dans les poches de son short, il marchait tranquillement, les yeux rivés sur les fenêtres grandes ouvertes des vieux immeubles. Il bomba le torse pour mieux respirer. Il arriva bientôt dans des rues plus larges et se retrouva sur la grande place animée où les touristes se retrouvaient chaque soir pour passer un temps en terrasse, se faire une toile entre amis, ou bien simplement flâner et profiter de l'ambiance de la station balnéaire dans laquelle il avait décidé de passer quelques jours. Août battait son plein avec ses odeurs iodées, ses visages lumineux et ses rires insouciants.
Un groupe d'enfants le frôla à vive allure tandis qu'il s'approchait d'une devanture éclairée où un grand nombre de personnes s’amassaient. Chez Lopez, depuis 1962. Son oncle lui avait conseillé ce glacier qui fêtait cette année ses vingt ans d'existence. Les meilleurs sorbets et glaces de la région, lui avait-il assuré. Il n’avait pas particulièrement faim. Il hésita donc à se laisser tenter. Mais lorsqu'il vit devant lui passer un couple de vacanciers avec chacun dans leurs mains un cornet recouvert de deux grosses boules glacées, cela finit par le convaincre, malgré la file d’attente. Elles lui donnaient soudain très envie.
Il patienta tranquillement regardant les gens autour de lui, écoutant notamment d’un air distrait la discussion d'un groupe de jeunes adultes juste devant lui. Une jeune fille blonde fêtait son dix huitième anniversaire dans quelques jours. Elle était accompagnée de deux garçons qui cherchaient manifestement à satisfaire tous ses caprices dans l'organisation de cette soirée spéciale. Le jeune garçon blond à sa droite réussit à trouver ses faveurs en lui chuchotant un mot à l'oreille, ce qui la fit rire aux éclats. Le regard déçu de l'autre garçon brun ne fit que renforcer sa détermination à en découdre. Ne s'avouant pas vaincu, il proposa innocemment à la demoiselle de lui offrir la glace avec le nombre de boules qu'elle voulait. Ravie, elle en profita pour changer plusieurs fois d'avis sur les parfums affichés sur la devanture du glacier, et ainsi tester la capacité du jeune homme à retenir ses choix. Ce fut une véritable épreuve pour le marchand qui réussit à garder son calme pour satisfaire les envies de ce trio qui prenait tout son temps, au grand désespoir des autres clients.
Il sourira de voir ces deux garçons se scruter du regard avec un air de défi pour savoir lequel allait remporter la bataille de cette parade amoureuse. Il les regarda repartir, chacun avec leur glace, la jeune fille encadrée par ses deux chevaliers servants. C’était enfin son tour de se faire servir. Un cornet rempli de deux généreuses boules de menthe chocolat atterrit dans ses mains. Il traversa la rue, en prenant soin de ne pas se faire bousculer pour ne pas renverser sa glace, et alla au coin d'une rue pour la déguster. Elle commençait déjà à fondre, l'obligeant à donner les premiers coups de langue pour éviter qu'elle ne coule sur ses doigts. Il sourit pour lui-même se revoyant enfant, en train d’en manger une aussi maladroitement que maintenant. Il croqua dans son cornet en l'appréciant jusqu'au dernier morceau. Il avait les doigts collants et en suça quelques-uns avant de les essuyer avec la toute petite serviette en papier qu’on lui avait donnée. Il la jeta dans la première poubelle venue avant de se diriger vers la grande fontaine de la place.
Plusieurs touristes y étaient assis au bord, dégustant eux aussi glaces, gaufres et autres sucreries. Il plongea ses mains dans l'eau et se tapota les joues pour se rafraîchir. Il s'assit à son tour sur le rebord en pierre. Il s'étonna de se sentir soudain plus léger, malgré la glace qu'il venait de manger. De ressentir la légèreté des vacances qui se lisait sur les nombreux visages autour de lui. D’apprécier l’indolence de l’été, sans avoir à se projeter dans l’avenir et à profiter juste du moment qui se présentait à lui. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas éprouvé un tel sentiment. Sa collègue avait vraiment eu raison de l’encourager à prendre ces quelques jours de congés. Lui qui s’obstinait à répéter qu’il n’en éprouvait pas le besoin. Il penserait à la remercier.
Ses lèvres dessinèrent bientôt un vrai sourire. À quelques mètres devant lui, un jeune homme se retrouvait lui aussi, bien en peine, avec sa glace qui fondait entre ses doigts. Amusé, il l'observa de le voir se dépêcher de la finir. Malheureusement pour lui, la dernière boule de son cornet se renversa sur son t-shirt blanc. Il poussa un juron avant de constater les dégâts. Une tache de couleur framboise avait maculé en plein milieu de son torse, tandis que la boule s’était écrasée au sol, en éclaboussant ses baskets blanches. Dépité, il resta immobile, en avalant en quelques bouchées son cornet.
Les yeux du jeune homme croisèrent les siens. Il lui offrit un sourire à la fois amusé et embarrassé, avant de venir à la fontaine à ses côtés. Il plongea ses mains dans l'eau, tira sur son t-shirt et tenta de l'asperger d'eau pour enlever le plus gros de la tache. Mais le résultat ne fut pas à la hauteur de ce qu'il escomptait. La couleur foncée de la framboise s'était étalée. Le t-shirt distendu par l'eau, se collait collé à son corps, et par transparence laissait apparaître un torse musclé et deux petits tétons durs. Les deux garçons se regardèrent, tout sourire devant le comique de la situation.
— J'ai l'air malin, maintenant !
— Mortel ton T-shirt ! Rassure-toi, tu viens de lancer une nouvelle mode pour cet été !
Le jeune homme accepta de bon cœur sa répartie. Avec un sourire jovial et spontané. Un regard plein de charme. Ses cheveux bruns, ébouriffés donnaient à son visage une candeur familière qui lui plut.
— Enchanté, Florian, pour vous servir !
Ils se serrèrent la main.
— Enchanté Florian, moi, c'est Lucas.
— Allons fêter mon exploit ! Je t'offre une bière ?
— Heu... Ouais, avec plaisir !
Les deux jeunes hommes trouvèrent autour de la place un café, et une table qui venait de se libérer en terrasse. Ils attendirent un long moment avant de se faire servir. Peu importe, la nuit ne faisait que commencer. Florian tentait sans succès de faire sécher son t-shirt en le décollant de son torse. Lucas le regardait en se moquant gentiment de lui. Il ne lui était pas insensible. Ses yeux pétillants et mutins lui plaisaient. Deux chopes de bières atterrirent enfin devant eux. Ils trinquèrent avant de boire une première gorgée désaltérante. Lucas manqua de tout recracher lorsqu’il fit signe à son compagnon de soirée de se retourner. Une dame d’un certain âge venait, elle aussi de renverser sa glace sur son chemisier à fleurs. Son mari tentait de lui essuyer son vêtement à l’aide d’une serviette en papier, tout en maintenant en équilibre sa propre glace. Les deux garçons rirent de bon cœur. Lucas commença à transpirer. À croire que la chaleur continuait de monter malgré la nuit. Il n’était pas le seul. Florian avait le visage rougi, lui aussi, son front ruisselait de sueur. Le soleil avait bruni sa peau et faisait ressortir ses yeux d’or. Lucas n’écoutait pas vraiment ce qu’il lui racontait, bien trop perturbé par ce qu’il ressentait dans son bas ventre. Il faisait vraiment une chaleur incroyable, se dit-il pour se rassurer. Mais il savait au fond de lui que son excuse ne tenait pas la route. Ce garçon lui plaisait, son sexe tendu à travers son slip en était la preuve évidente.
Devant le regard coquin de Florian, il s’excusa en prétextant que la bière lui avait donné envie d’aller pisser. Lorsqu’il revint à leur table, le jeune homme en avait profité pour commander une deuxième bière. Il avait aussi retiré son t-shirt, exhibant son large torse musclé, maintenant sa chope de bière contre lui, tel un glaçon. Ses yeux équivoques et sa détente naturelle ne faisaient plus aucun doute. Lucas était sa proie. Il en fut flatté, mais son embarras remonta d’un cran. Ils burent en silence leur boisson. L'alcool aidant, Lucas soutint cette fois-ci plus facilement le regard de Florian qui ne cessait de lui sourire. Il lui proposa d’aller marcher un peu et pourquoi pas jusqu’à la plage du centre-ville. Florian accepta avec enthousiasme sa proposition. Mais à peine avaient-ils quitté leur chaise, qu’ils manquèrent de mettre les pieds dans de la glace fondue, dessinant au sol des taches liquides de couleurs telles des traces de peinture à l’acrylique. À la vue de t-shirts maculés de glace chez plusieurs touristes, ils rirent de nouveau. Décidément, il devenait aventureux de manger une glace par ici ! La marche fit le plus grand bien à Lucas, mais il constata rapidement que sa tête lui tournait. Il voyait à présent un nombre impressionnant de personnes, une glace à la main, léchant avec avidité leurs boules. Certains ne faisaient pas cas de leur t-shirt tâché, ou ne s’offusquaient pas non plus de leur boule tombée par inadvertance par terre. Il cligna des yeux pour être bien certain du spectacle auquel il assistait.
Dans une ruelle déserte, Florian se rapprocha dangereusement de lui, plaçant son bras autour de son épaule, comme deux vieux amis heureux de se retrouver, avec ce besoin de contact physique pour mesurer le plaisir d’être ensemble. Lucas se laissa faire. Quelques mètres plus loin, il retrouva la jeune fille qu'il avait vue devant le glacier. Elle était le dos au mur, avec de chaque côté les deux jeunes garçons collés à elle, qui l’embrassaient dans le cou. Ils passèrent devant eux comme si de rien n’était.
— Et bien, il y en a qui ont de la chance, lança Florian avec une voix pleine de sous-entendus.
Lucas, à la fois mal à l’aise et mais très excité, ne sut quoi répondre. Au lieu de filer tout droit jusqu’à la plage, il emprunta la rue qui menait à sa location de vacances. Florian s’étonna du trajet.
— Il doit me rester quelques bières au frigo dans mon studio, que dis-tu de passer les récupérer avant de nous poser tranquilles sur le sable ?
Florian approuva l’idée sans la moindre hésitation et le suivit avec entrain.
Arrivé devant sa porte, Lucas sortit les clés de sa poche devant Florian qui faisait le pitre en faisant tourner son t-shirt au-dessus de sa tête, apportant un semblant d’air tel un ventilateur au ralenti. À peine la porte ouverte, Lucas sentit le torse brûlant de Florian contre son dos. Ses yeux furent recouverts du t-shirt humide et il comprit trop tard que le jeune garçon en avait fait un foulard en le nouant autour de la tête, afin de le plonger définitivement dans le noir. Lucas, amusé, s’offusqua d’un tel traitement, mais ne chercha pas à l’enlever pour autant. Il sentit la douceur des doigts du jeune homme sur son visage, son haleine chaude et alcoolisée.
— Toi qui disais que je venais de lancer une nouvelle mode pour cet été avec mon t-shirt mortel, je viens d’en trouver un autre usage, annonça fièrement Florian.
— Je vois ça, lui répondit Lucas avec humour.
Il resta immobile, entendit le bruit de la porte du frigo s’ouvrir, deux cannettes de bière être décapsulées.
— Ouvre la bouche !
Lucas obéit, inclinant doucement la tête en arrière, afin de recevoir les premières gouttes dans son gosier. Il se mit à rire, ce qui fit couler quelques larmes de bières le long de son menton. Il avala le liquide à toute vitesse, abaissa son visage afin de se retrouver, s’imagina-t-il en face de celui de Florian. Quelques secondes suspendues de silence se firent, avant de sentir le contact des lèvres du jeune homme sur les siennes. Une sensation de plaisir et de bien-être se déploya en un éclair dans son cœur. Lucas retrouva alors cette excitation qui lui avait tant manqué, celles de la joie et de la liberté.
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Sur une musique inspirante de Tom Adams - Particle VI (Shadow & Light) https://www.youtube.com/watch?v=e6yuuBNCg1g
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