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Les yeux fermés, respiration calme, rythmée. François Vergnier est endormi. Il rêve de musique, de mélodies chantées par des oiseaux, de rythmes d’hommes dansant au son des tambours. Les oiseaux viennent frôler de leurs ailes les joueurs et les danseurs s’affolent, tout s’arrête et le chat souffle dans les narines de François. Vergnier se réveille. Le chat ronronne et de son museau humide vient contre ses lèvres. Il a faim peut-être, encore.
François Vergnier a dormi dans la voiture avec le chaton que lui ont apporté la veille Jules et Nine. Pour les remercier, il les a envoyés dans la maison chercher une bague dans la commode et un couteau dans le tiroir de l’établi, au garage.
« C’est très vieux jeu. Mais c’est une jolie bague. » Avait dit la mère.
« Et c’est un très beau couteau, espagnol je crois. Tu en prendras soin, Jules. »
Avait dit le père.
Le chaton gratte à la portière. Il veut sortir. François ne sait pas pourquoi, mais cela lui semble important.
Hier il a eu la visite de Jules et Nine avec le petit chat.
Puis Jules est reparti avec Nine.
Le chaton est nerveux, il va au bord de la rivière et emprunte le chemin qui remonte vers le haut. Des petites sources, venues de la montagne, alimentent les fontaines creusées dans la roche, aux voûtes recouvertes de fougères et de mousses. Il ne faut pas glisser. François a soif. Il boit au passage. Il y a longtemps, il avait songé, brièvement, à quitter la maison. Il aurait laissé sa vie derrière lui, pour chaque jour renouveler la route, boire comme aujourd’hui l’eau des sources, dormir ici ou là, sans savoir le jour rien du lendemain. Une autre vie, rêvée, sans début et sans fin. Le chat va vite maintenant sur ses petites pattes. Il dépasse le coude du chemin. Puis revient chercher François. Il faut passer un portillon, le refermer, puis traverser au milieu des jardins, devant les fenêtres d’une maison aujourd’hui abandonnée. Il y a longtemps, cette maison était habitée par un couple. Le mari, avocat. François se souvient d’être venu là enfant. Un homme en longue robe noire faisait de grands gestes, accompagné d’une femme en robe sombre à motifs clairs comme des étoiles. De loin, il avait l’impression d’assister à une cérémonie secrète et silencieuse. Le chat enfin s’arrête. Nine est là, elle est tombée, a glissé d’un tronc mort barrant la rivière. Elle est là, la tête dans l’eau.
François met Nine sur ses épaules. Heureusement, il a mal vu. En tombant Nine s’est assommée, sa tête repose sur une pierre plate au milieu de la rivière, couverte de sang. Il n’a pas de temps à perdre. Il doit se battre pour la sauver. Direction l’hôpital. Le chemin lui paraît plus long qu’à l’aller. Nine est lourde, il ne devrait pas penser ça, mais elle est comme un poids mort, car elle est inconsciente. En passant devant la maison, il sent un coup au cœur, et le vent lui apporte des bruits venus de loin, ce qui lui donne chaud puis froid et l’inquiète. Mais il ne lâche rien. Une fois à la voiture, assis, cela va mieux.
Il arrive à l’hôpital et n’a besoin de rien expliquer. Par la vitre ouverte de la portière, la seule vue du sang suffit aux infirmiers de garde. Le chat saute par la fenêtre.
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