Croisée
Elle avait le visage zèbre
Bariolé de pluie et d’ombres
Et un regard d’orage contenu
Qui ne lançait point d’éclairs
Qui les gardait pour elle seule
Comme des reflets dans l’eau
On se croisait dans l’aube
Dans une clairière de ville
Aux arbres d’arcades sans feuillage
Ni poésie
On se croisait sans se toucher
À peine d’un regard
De papier mâché
Elle avait les jambes longues
Comme des rhubarbes et le pas
Malhabile, étalonnait ses couleurs
Sur les pavés fuyants, dédaignant le bitume
Vulgaire, s’accrochant à la pierre pleine
De politesses et de silence égal
On se croisait au milieu du silence
Que l’heure induisait à la ville
Dans un cortège de vide et de funérailles
La nuit abattue perlait de gris
Au-dessus des toits
Et d’elle
Et moi
Elle avait l’air hagard et sans sourire
Des vaincus en déroute dans des replis de pelage
Un peu de fauve encore, si peu
Quelques cheveux de savane
Au milieu des peignées
Et l’ivoire d’un croc
Sur le sang des lèvres dévorées
On se croisait en chiens de faïence
Rituel étrange et laconique
Sans vindicte ni salut, sans égards ni plus
Que la reconnaissance évasive
C’est elle
C’est lui
Comme chaque matin
Où tout suit son cours
Elle avait cette fragilité dure et tordue
D’accident de la rue
De métal plié par trop de mains
D’argile fissurée qui s’émiette
Comme pour retrouver son chemin
Au milieu de la nuit
Et des oiseaux de proie
On se croisait et parfois
Le temps semblait engourdi au fond des poches
Comme pour permettre
Ce qui n’arriverait jamais
Cet instant de flottement
Quand les corps se traversaient
Quand l’on pouvait encore, sans tourner la tête
Voir le flou de l’autre, en périphérie
Et puis, rien
Le pied retrouvait le sol, le pas sa marche en avant
Comme chaque matin
Où tout suit son cours
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