Prologue
Hello cher.e lecteur.trice !
Tout d'abord, je te souhaites une agréable lecture et espère que mes personnages te toucheront. Je dois tout de même te mettre en garde : j'ai fait le choix d'opter pour une narration peu commune et peu classique, pour un langage très oral. C'est un choix narratif que j'assume à 100% et qui, je l'entends, peut-être difficile à lire pour les amoureux du classiscisme, mais il est important pour moi et pour mon personnage. Un langage plus soutenu ne lui correspondrait pas du tout.
Voilà, maintenant que tu sais, bonne lecture
Bisous et poutous
Une droite. Un coup de genou. Je tombai sur le sol crasseux. Je retins un gémissement de douleur. Je ne devais pas me montrer faible. Être faible, c’était comme être mort. Je tentai de me relever. Quelques gravillons s’enfoncèrent dans la paume de mes mains. Les spectateurs beuglaient. Le géant que j’affrontais ricanait, encouragé par les huées des autres. Je me redressai, à genoux dans la poussière. Encore un petit effort. Je devais pas me laisser abattre. J’avais besoin de cet argent de toute façon. Il fallait que je puisse me payer cette nuit à l’hôtel, loin de chez mon père. C’était le seul moyen. Me battre ou me faire battre. Le choix était vite fait, non ?
Le géant me tournait le dos, trop occupé à faire hurler la foule. J’en profitai pour me remettre sur pied. Chancelant, je repris ma garde. On me conspua. Un gars cria à l’autre de m’éclater. Tu parles… Ils attendaient tous que ça. Ils en avaient marre de me voir gagner tous les matchs. J’avais fait perdre beaucoup d’argent à beaucoup de monde. Vadim, mon bookmaker, surfait sur cette cote pour me trouver des adversaires toujours plus forts, toujours plus difficiles à vaincre. J’y arrivais quand même. Je n'avais pas le choix, de toute façon. C’était l’instinct, celui du survivant. Je devais gagner, à n’importe quel prix. Et je gagnais.
Mais pas ce soir.
J’esquivai un coup, je lui balançai un crochet en plein nez. Il recula. Mais ne tomba pas. Au contraire, ça n’avait fait que le mettre plus en rogne. Le géant enrageait. C’était une montagne de muscle et de graisse. Il devait bien faire deux mètres et peser cinquante kilos de plus que moi. J’étais pourtant loin d’être un gringalet. Mais à côté de lui, je faisais pâle figure, malgré mes nombreux entraînements à la salle de sport d’Abdel, en échange de quelques cours donnés à des débutants. Il se jeta sur moi et me fit tomber encore.
Ce soir, je fêtais mes vingt ans.
Ça faisait huit mois que j’étais monté à Paname. À la base, l’objectif était clair : quitter Marseille, faire des études à la Sorbonne, me trouver une vie tranquille, loin de mes conneries habituelles. Ma mère n’avait jamais été aussi fière de moi que le jour où je lui avais annoncé. Moi, le débile qui avait passé plus de temps à sécher les cours qu’à me rendre au lycée, moi qui avait retapé ma première et ma terminale, j’allais suivre des études dans l’une des plus prestigieuses universités de France. Elle s’en était vanté auprès de ses copines pendant des semaines. Je l’aimais, ma mère. La rendre fière, c’était tout ce dont j’avais besoin. Si elle savait…
À quelques jours de mon départ du domicile familial, on ne m’avait toujours pas trouvé de logement et l’argent se faisait rare chez nous. Elle nous avait élevés toute seule, avec son pauvre salaire d’auxiliaire de vie. C’était déjà inespéré que je me lance dans des études supérieures. Et moi, j’étais perdue. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire dans cette fac. Est-ce que j’avais le droit de travailler en même temps ? J’en savais rien. Qu’est-ce qu’on allait m’apprendre ? J’en savais rien non plus. Vers quoi je m’orienterais après ? J’en savais toujours rien. Alors, on n’avait pas eu le choix. On s’était résolu à appeler mon connard de père.
J’aurais dû comprendre que quelque chose clochait bien plus vite que ça. Mais il avait accepté tout de suite et j’étais tellement soulagé d’avoir trouvé un endroit où vivre que je n’avais pas relévé à quel point tout ça était incohérent. Ce mec n’avait jamais pris la moindre de mes nouvelles depuis qu’il avait quitté ma mère, quinze ans plus tôt. Il n’avait jamais versé une once de pension alimentaire à ma pauvre maman qui se démenait pour nous faire vivre. Et là, en un coup de téléphone, il acceptait que je vienne vivre chez lui, tous frais payés (ou presque). En y repensant maintenant, j’avais été trop con d’y croire. J’avais foncé tête baissée dans la gueule du loup. Maintenant, j’étais coincé avec ce connard. J’avais pas osé en parler à ma mère, de peur de l’inquiéter. Elle n’avait pas besoin de ça et je l’avais déjà assez fait souffrir. Alors je lui mentais.
Mais oui, Maman… Tout se passe bien. Mais oui, Maman, c’est super intéressant ce qu’on fait à la fac. Mais oui, Maman, je me suis fait plein de potes, mais t’inquiète je ne sors pas trop.
Tous ces mensonges… Si seulement elle savait que je n’y avais jamais foutu les pieds, à la fac. Au lieu de ça, j’arpentais les rues pourraves d’une banlieue parisienne craignos où vivait mon père. J’allais m'entraîner à la salle la journée, et le soir je rejoignais la vieille usine désaffectée où avait lieu ces conneries de combats merdiques entre connards dans mon genre. Et alors qu’on se battait, il y avait d’encore plus gros connards qui prenaient les paris sur le vainqueur. Si je me débrouillais bien, on pouvait se faire un paquet de fric. Certains s’en servaient pour s’acheter de la drogue ou se payer des putes. Moi, c’était juste pour m’offrir quelques nuits dans un hôtel miteux, loin de chez mon père, loin de sa violence. Combattre la violence par la violence, j’avais bien conscience que c’était ridicule, mais c’était le seul moyen que j’avais trouvé. C’était facile. Si je gagnais un bon combat, j’avais les moyens de passer une bonne semaine à l'abri des coups. Si je perdais… De toute façon, il ne fallait pas que je perde.
Le géant ne reculait devant rien. Je balançai un autre direct, bien cadré. Le gars vacilla. J’allais attaquer encore, mais cette brute me contra et m’envoya au tapis en moins de temps qu’il ne fallut à Vadim pour voir son argent s’envoler. Je n’arrivais plus à bouger. Et le mec continuait à me tabasser. J’avais pas vraiment mal, c’était une question d’habitude et d’adrénaline. Sur le moment, j’avais jamais mal. C’était le lendemain que je douillais, plus encore le surlendemain et ainsi de suite pendant quelques jours, jusqu’à ce que je commence à guérir. Si mon père me laissait le temps de guérir, ce qui était rarement le cas si je retournais chez lui. Je fermai les yeux, ébloui par la lumière blanche des spots de chantier dressés un peu partout. Cette fois-ci, une vive douleur m’assaillait. J’avais perdu.
Maman… Viens m’aider, s’il te plait… Je t’ai menti, je ne vais pas bien…
Deux mains agrippèrent mes bras et me trainèrent hors de l’usine. Je pris une nouvelle dérouillée, là, à l’extérieur de l’arène. Ce soir, Vadim avait parié gros sur moi. J’allais lui être redevable un moment avant qu’il ne me rende ma liberté. Enfin… Ma liberté… Façon de parler. Plus d’une fois, j'avais eu envie de quitter Paris pour retourner dans mon sud natal, retrouver ma petite Maman et repartir de zéro. J’aurais même été prêt à prendre le premier taff de merde que j’aurais trouvé, à me taper la honte d’avoir abandonné mes études (que je n’avais finalement jamais commencées). Mais à chaque fois, je pensais à la déception que j’infligerais à ma mère si je baissais les bras. Et puis, si elle me voyait rentrer avec tous ces bleus un peu partout sur ma peau, elle ferait un AVC. Nan, je ne pouvais pas me permettre de lâcher. Je devais continuer de me battre. Parce que moi, je le voulais cet avenir que je m’étais promis : aller à la fac, rencontrer une fille sympa, tomber amoureux, me trouver un travail cool, avoir des gosses… Je ne demandais pas la Lune. Et encore moins de me faire le remake de Fight Club toutes les semaines. Il fallait que je me reprenne.
Une des armoires à glace qui accompagnait toujours Vadim enfonça son pied dans mes côtes. Je me pliai en deux et gémis. C’était terminé pour moi. J’avais perdu cinq-cents balles, ma dignité et ma cote de popularité. Je n’avais plus de quoi me payer l’hôtel ce soir. De toute façon, je n’étais même pas sûr de réussir à me relever de ce terrain vague avant le levé du jour. Vadim tourna les talons. Je restai là, à fixer le ciel dénué d’astres. Si seulement j’avais pu avoir une bonne étoile, cachée quelque part dans la voûte céleste… Je l’attendais, mais rien. Seulement ce putain de lampadaire qui m’éblouissait comme cette foutue lumière au bout du tunnel. Au loin, j’entendais les acclamations hargneuses des spectateurs. La nuit continuait. Sans moi. Moi, j’avais perdu.
Fais chier.
Je soupirai. Je n’étais pas habitué des défaites, mais je savais ce qui était réservé aux loosers dans mon genre ici. Il ne fallait pas que je m’éternise à l’usine si je voulais m’en sortir vivant. La mort n'était pas une option que je pouvais envisager.
Tout en grimaçant de douleur, je me relevai et trainai les pieds dans les rues de Saint-Denis. L’air était trop frais pour poursuivre mes déambulations nocturnes. Je dus me résoudre à rentrer chez mon père, la boule au ventre. À cette heure tardive, il était sûrement assommé par de trop nombreux verres d’alcool, j’allais pouvoir gagner ma chambre sans crainte. Pour son accueil le lendemain, je m’attendais à tout, et surtout au pire.
Allongé sur le vieux matelas posé à même le sol dans le dépotoir qui me servait de chambre, je scrutais le plafond, perdu dans mes rêves. Je le voulais cet avenir. Il fallait que je me l’offre. Je ne pouvais plus attendre. Et pour ça, il fallait que je me barre de là.
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