Chapitre 3
Au bout de quatre heures, on put enfin sortir de cet amphi qui commençait sérieusement à puer la mort. Balance cinq-cents étudiants dans une pièce sans fenêtres en pleine chaleur, ça fait un combo mortel. Cet abruti de prof nous avait refusé la pause. La raison ? J’étais arrivé en retard, je nous avais fait perdre un temps précieux. Quelle blague !
Merci connard ! Grâce à toi, la moitié de la promo veut ma mort.
En sortant, deux ou trois gars me bousculèrent. Un troupeau de pétasse gloussa. J’eus envie de leur faire bouffer leurs dents.
Une clope, un café. Ça ira mieux.
Pour le café, je me résignai à abandonner quand je vis les trente personnes qui attendaient devant la seule machine. Alors, je me rabattis sur la cigarette. Adossé à un mur, je galérai à l’allumer. Même ça, ça me faisait mal. Je soufflai un peu sur la coupure qui venait de se rouvrir sur mon poing. Une première bouffée de tac m’arracha un soupir de soulagement. Je fermai les yeux quelques secondes. Je sentais poindre le mal de crâne et la journée était loin d’être finie. Pourquoi j’avais été assez con pour me lancer dans des études, franchement ? J’aurais pu me trouver un petit taff pas trop qualifié dans le sud, vivre ma vie tranquille, voir mes potes… Bref, ma vie ne serait sûrement pas aussi merdique. Mais j’avais trop d’égo pour abandonner. Je ne voulais pas décevoir ma mère, surtout. J’avais fait ce choix, il fallait que je l’assume jusqu’au bout. Et rien que pour emmerder le prof, j’allais réussir à aller au bout de ces trois ans.
— Excuse-moi, est-ce que tu aurais du feu ? me demanda une petite voix.
Je rouvris aussitôt les yeux et tombai sur une petite meuf souriante qui devait bien faire deux têtes de moins que moi. Je la détaillai un peu. Brune ou rousse, je ne savais pas trop. Peut-être un peu des deux, avec les reflets du soleil. Je remarquai ses yeux vairons. Ça me fit un peu buguer. Un vert, un marron. C’était bizarre.
— Euh ouais… Tiens.
Je lui tendis mon briquet et la regardai allumer sa clope en louchant sur la flamme. Elle avait plein de bagues aux doigts, plusieurs bracelets. Les bijoux n’avaient pas l’air en toc. Son style était plutôt classique, elle n’était presque pas maquillée. Elle était mignonne, sans trop en faire.
— Merci, souffla-t-elle en recrachant la fumée. Belle entrée en fanfare ce matin.
— Je me suis perdu, me défendis-je.
— Si ça peut te rassurer, tu n’as eu que trente minutes de retard. J’ai battu ton record mon premier jour ici. Il m’a fallu une heure et demie avant de me rendre compte que je n’étais même pas dans la bonne université. J’étais venue là, alors que je devais aller à Tolbiac. Résultat, je suis arrivée cinq minutes avant la fin du cours. Je n’ai même pas osé entrer.
J’esquissai un sourire amusé. Elle me racontait ça comme si on se connaissait depuis toujours. Elle avait l’air bavarde, elle serait vite déçue avec moi. J’avais perdu tout mon bagout habituel en arrivant à Paris. Je ne savais pas quoi lui répondre. Je n’étais même pas sûr d’avoir envie de parler, en fait. Même si elle était plutôt sympa. Je préférai rester solo, ne pas me risquer à être déçu d’une nouvelle personne.
— Dis-moi, Mikaël Burton, tu n’as pas l’air très loquace.
Elle avait retenu mon nom. Moi, je n’avais aucune idée du sien.
— J’ai passé une journée merdique, marmonnai-je comme une excuse.
— Eh ! Elle n’est pas finie ! s’exclama-t-elle. Qui sait, peut-être qu’elle pourrait s’améliorer.
Elle m’adressa un clin d’œil.
— Burton, ça ne sonne pas très français, remarqua-t-elle.
— Mon père est américain, grommelai-je.
Je préférais ne pas m’étaler sur cet enculé. Elle dut le comprendre à mon ton mal aimable, car elle ne me posa aucune autre question et esquissa une moue bizarre. Je jetai mon mégot par terre, elle lança le sien dans la poubelle. Elle regarda le mien en grimaçant. Encore une fois, je me tapais la honte. Je n’étais plus à ça près. Je me penchai pour le ramasser en soupirant.
— Tu sais, des millions de tonnes de mégots sont jetés dans les rues chaque année. Ça ne coûte rien de le jeter à la poubelle. Je dois y aller, on se voit cet après-midi au prochain cours ?
Je hochai la tête.
— Tu sauras trouver la salle ? plaisanta-t-elle. Tu devrais peut-être prendre un peu d’avance.
Elle m’adressa un clin d’œil et rejoignit un mec qui devait être en cours avec nous aussi. Ils me regardèrent avec une discrétion à toute épreuve. Elle me pointa du doigt. Le mec ricana. Elle, elle me sourit. Je sentais que ça allait être difficile.
Elle m’a pas dit comment elle s’appelle…
Je regardai mon mégot entre mes doigts et claudiquai vers la poubelle. La petite meuf m’observait, je dus abandonner l’idée de faire de même. Je ne voulais pas qu’elle s’imagine des trucs. Pourtant, elle m’intriguait. Je ne comprenais pas pourquoi elle était venue me parler. Pourquoi elle, elle n’avait pas peur de ma dégaine de cassos ?
La deuxième partie de journée fut plus calme. J’avais trouvé la salle plus facilement et cette fois-ci, je n’étais pas en retard. Le prof semblait plus sympa aussi. Je m’installai tout en haut de l’amphi, pour avoir la paix et pouvoir observer ce qu’il se passait autour de moi. J’aimais bien avoir une vue sur tout, étudier les gens qui m’entouraient, avant de me lancer dans un nouveau groupe. Là, personne n’attira mon attention. Ils avaient tous l’air si superficiels et futiles…. Bien loin de mes préoccupations. À côté de moi, un vieux de cinquante piges. Qu’est-ce qu’il foutait là ? Il discutait avec une fille un peu plus jeune, mais pas non plus de première jeunesse. Devant moi, la horde de pétasses de ce matin. Elles gloussaient, elles piaillaient. Bref, elles n’écoutaient rien. Et moi non plus, par la même occasion.
Elle est vraiment en train de se remaquiller, là ?
Le quiqua à côté de moi finit par en avoir marre et lui tapota sur l’épaule pour lui demander, très poliment, de se taire. Heureusement qu’il l’avait fait, j’étais à deux doigts de sortir de mes gonds. Il était hors de question que quatre pauvres meufs insouciantes et immatures m’empêche de réussir mes études. Il fallait que j’écoute, que je sois attentif, que je ne me relâche pas. Pour faire plaisir à ma mère, pour ma propre fierté et pour faire chier le prof de ce matin.
Je me remis à écrire tout ce que M. Madani nous expliquait. Je ne comprenais pas tout, mais je ferais des recherches, j’irai le voir à la fin du cours, je demanderai à quelqu’un. Du moins si quelqu’un se décidait à me parler. Du coin de l’œil, j’aperçus une main se lever, faisant cliqueter les bracelets accrochés à son poignet. Puis une voix féminine s’éleva. La même que ce matin. La petite meuf aux yeux bizarres. Je ne compris pas un traitre mot à ce qu’elle demanda. Est-ce que j’étais le seul ? J’étais vraiment si con que ça ? Mais même le prof sembla perdu. Elle me parut super intelligente. Jamais je n’aurais eu le cran de contredire le professeur comme elle le fit.
— Merci pour votre intervention. Mademoiselle…
— Devin. Céleste Devin, monsieur.
Céleste… Bah j’espère que tu ne te rachèteras pas de briquet d’ici demain.
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