Chapitre 4

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Finis les cours dans les beaux locaux de la Sorbonne, dans le quartier latin. On se retrouvait dans la vieille tour dégueulasse de Tolbiac, en plein milieu du XIIIème arrondissement. Ah… Ça fait rêver la Sorbonne. Moi qui pensais passer mes journées dans les bâtiments historiques qu’on imaginait tous lorsqu’on se représentait l’université parisienne. La veille, Céleste m’avait parlé de cet endroit. Le seul avantage de cet immeuble immonde, c’était que je ne risquais pas de m’y perdre. Les salles portaient des numéros correspondants à leurs étages, on y accédait par des ascenseurs tous situés au centre du hall.

Du peu que j’avais retenu des explications du prof con, on aurait des cours en amphi et d’autres en groupes de TD. Je ne savais pas trop ce que ça voulait dire, mais bon… Je prévoyais de me laisser porter par les flots. Ce matin-là, on commençait par un cours magistral. Dans le couloir, les gens me dévisageaient. J’avais encore ma capuche sur la tête, mes bleus partout, ma démarche boiteuse… Ils se demandaient sûrement ce que je faisais là. Tout le monde était à cran depuis les attentats de l’année dernière. Je faisais flipper tous ces bobos parisiens que je détestais. Je trouvais ça plutôt jouissif, même si ça ne faisait que me rappeler que je n’étais pas à ma place. Mais bordel ! Je la méritais, ma place.

Je bousculai un mec en voulant me faufiler dans l’ascenseur. Il m’insulta. Je haussai un sourcil. Il me voulait quoi, lui ? Si j’étais lui, je ne me chaufferais pas trop. Les portes se refermèrent devant moi. Plus personne ne parlait dans l’ascenseur. Tout le monde me regardait. Il allait vraiment falloir qu’ils arrêtent ça.

Tout le restant de la journée, je cherchai des yeux la petite meuf de la veille, Céleste. Elle était encore assise au premier rang et tapait tout ce que le prof disait à toute vitesse. De temps à autre, elle remontait ses lunettes sur son nez. Elle les enlevait dès qu’elle n’était plus sur son ordinateur. Durant nos quelques pauses, elle filait prendre un café et après, je la perdais de vue. Je fumai ma clope seul, ignoré de tous les autres étudiants de notre promo. En fin de journée, elle passa près de moi en revenant dans l’amphi, m’adressa un petit signe de main et un sourire et continua son chemin.

À la fin du dernier cours, je trainais les pieds. Je n’avais pas spécialement envie de rentrer dans mon hôtel miteux, où je m’ennuyais sévère. Mon casque vissé sur les oreilles, je suivis la masse d’étudiants jusqu’au métro le plus proche. Je devais être le seul con à être isolé dans ma bulle, alors que les autres étaient entre potes et se marraient. Perdu dans mes pensées, mon portable à la main, je ne faisais pas vraiment attention à ce qu’il se passait autour de moi. J’aurais dû être plus concentré. Un rire aigu retentit à côté de moi. Et boum ! Je vacillai sous l’impact. La meuf qui m’était rentré dedans, elle, se retrouva le cul par terre. Je ne lui prêtai même pas attention. Mon téléphone venait de faire un vol plané sur les rails. Le métro arrivait.

Putain ! Mais quelle conne ! Elle pouvait pas regarder où elle marche ?

— Pardon, pardon, pardon, bredouilla-t-elle en se relevant.

Ses excuses n’allaient pas faire revenir mon portable, qui connut une mort certaine à l’instant où le métro s’arrêta devant nous. Je fermai les yeux une seconde et pris une profonde inspiration.

Reste calme.

Je serrai les poings à m’en faire mal. J’avais un sérieux problème de colère à régler.

— Je suis vraiment désolée, je…

— C’est bon, laisse tomber, râlai-je.

J’entrai dans la rame sans faire gaffe à elle. Je ne voulais même pas voir qui était cette connasse. Seulement, elle me suivit et attrapa mon bras. Je me retournai brusquement, prêt à lui dire d’aller se faire foutre, quand je tombai sur un œil vert et l’autre noisette. Céleste… Elle grimaçait de honte. Il fallait que ce soit elle. La main toujours posée sur mon bras, elle resserra sa prise au premier virage un peu brutal.

— Je peux t’en repayer un, si tu veux. C’est de ma faute si… Enfin j’aurais dû faire attention et…

— Nan. Merci.

Plus sec, tu meurs.

Je n’avais pas besoin de sa pitié. Elle me saoulait. Et ce n’était clairement pas le moment de me chercher, j’allais démarrer au quart de tour. Il fallait vraiment que j’aille taper sur un truc. Si mon téléphone n’avait pas rendu l’âme, j’aurais pu appeler Vadim pour qu’il me trouve un combat à l’usine. Ce soir, je me contenterais d’un sac de frappe à la salle d’Abdel. Au moins, lui ne me mettrait pas KO et ne me défigurerait pas.

— Désolée, répéta-t-elle en baissant les yeux.

Sa main quitta mon bras. Pourquoi avait-il fallu que ce soit elle ? Pourquoi ? Il fallait bien avouer qu’elle m’avait tapé dans l’œil au premier regard. Quelques années plus tôt, je n’aurais pas hésité une seconde à la brancher, mais mon père m’avait fait perdre toute confiance en moi. J’aurais dû engager la conversation hier, mais je ne l’avais pas fait. Et maintenant… C’était mal barré. Je ne savais même plus si j’avais envie de lui encastrer la tête dans un mur ou de lui rouler une pelle, juste pour voir ce que ça faisait.

— Mikaël, vraiment je…

— C’est bon, il était mort de toute façon, mentis-je.

En réalité, je venais de l’acheter. Il me restait un peu d’argent pour m’en payer un autre, mais ça empièterait sur mon budget hôtel et précipiter mon retour chez mon père. Bordel, je la détestais de m’avoir fait ce coup-là.

— Nan, je n’ai pas fait attention, c’est ma faute. Il faut que je répare cette erreur, insista-t-elle.

J’abdiquai. Elle avait l’air de s’en vouloir plus que moi. Elle n’osait même plus me regarder et fixait ses chaussures des yeux. Elle bascula vers l’arrière à la secousse suivante. Je la retins. Elle m’adressa un sourire reconnaissant.

— Je descends là, m’informa-t-elle, en arrivant à Laumière. À demain. Et encore désolée… je t’assure. Je trouverai un moyen de me faire pardonner, je te jure.

— C’est pas la peine, concluai-je alors qu’elle sortait.

Je n’étais pas sûr qu’elle m’ait entendu. Céleste avait l’air décidé à réparer son erreur. Je ne voyais pas comment. Personne n’achetait un portable à quelqu’un qu’il connaissait à peine.

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