7. Ring
Juste pour vous prévenir qu'étant en vacances, je ne répondrai tout de suite à vos commentaires, mais promis ce sera fait dès le 1er août !
Bisous et poutous
Il faisait sombre là-dedans. Un des projecteurs avait grillé. Ça ne faisait qu’accentuer le côté glauque de l’endroit. Les connards de parieurs beuglaient, hurlaient, riaient, aboyaient. Leurs cris avaient même plus rien d’humain. On se serait cru dans une scène de la planète des singes. Certains brandissaient leurs poings, les yeux exorbités. D’autres tenaient fermement le billet que leur avait vendu Rick, le bookmaker. Au milieu de tout ça, deux gars se tapaient dessus. L’un d’eux était sacrément mal en point, mais l’autre continuait. Il allait certainement le tuer si ça continuait, mais tout le monde s’en foutait. En un an que je faisais ça, j’avais vu trois mecs ne jamais se relever. Personne appelait les secours dans ces cas-là. S’ils avaient un peu de chance, quelqu’un les retrouvait, avant qu’ils soient vraiment morts, dans la friche où le chien de garde de Rick les balançait. Sinon… J’avais pas envie de finir comme ça. C’était pour ça que je m’entrainais.
— Bouge ! gronda Vadim, en me poussant.
C’était bientôt mon tour. J’allais encore affronter la montagne de muscles. Et il venait de démonter un mec. Ça présageait rien de bon pour moi. Quel con j’avais été de venir là, alors que j’avais aucun combat prévu. C’était à cause de Céleste. Elle m’avait tellement énervé que j’avais cru que ça me ferait du bien de casser la gueule d’un connard dans mon genre. Alors j’avais demandé à Vadim de me trouver un adversaire à la fin. Finalement, ça allait peut-être me mener au milieu de cette friche, où devaient pourrir quelques cadavres. Et ça me faisait putain de peur.
Vadim me mit un nouveau coup dans le dos. Il était vénère. Je le suppliais presque de me faire combattre et maintenant je voulais pas y aller ? Quel con ! C’était pas possible, putain ! Je pouvais pas avoir peur chez mon père et ici. Là, c’était moi qui faisait peur, normalement.
Il me poussa de nouveau. Je bousculai deux ou trois parieurs pour rejoindre le cercle qui s’était formé autour du “ring”. La montagne de muscles soufflait comme un taureau. Chaque expiration projetait quelques gouttelettes de sang dans l’air. Elles brillaient sous les reflets du seul néon qui marchait et projetait un rayon lumineux sur lui. On voyait aussi toute la poussière que leur combat et les piétinements des spectateurs provoquaient. Elle flottait dans le vide, comme des lucioles.
Le coup qu’il m’envoya dans le ventre me ramena à la réalité. Je rêvassais trop. Et je pensais à la raison qui m’avait conduit ici. À ces deux yeux qui m’avaient dévisagé, presque avec tristesse, quand je l’avais rembarrée. Elle avait mis tant d’énergie à se faire pardonner. Résultat, je lui en voulais encore plus. Parce qu’à cause d’elle, je me faisais éclater.
— Relève-toi ! s’emporta Vadim, quand je mangeai la poussière.
Je fermai les yeux un instant. J’avais pas envie. J’entendais les parieurs se foutre de moi. L’un d’eux me mit même un coup dans le pied, comme pour vérifier que j’étais pas mort. Je l’étais pas ! Je bondis sur le colosse et tentai par tous les moyens d’inverser la tendance. Mais il était pas vraiment humain. Rien ne le faisait vaciller. Et il était même pas fatigué, alors qu’il venait d'enchaîner trois combats, avant le mien.
La corne de brume qui résonna dans l’entrepôt me parut plus assourdissante que jamais. Ça signifiait que j’avais perdu. Et surtout, que l’autre avait plus le droit de me taper. Allongé par terre, le regard hagard, je bougeai pas. Je crois même qu’il y eut une saloperie de larme qui roula sur ma tempe. J’avais encore perdu. Quatre cents balles en moins. Deux semaines d’hôtel envolées. Et j’avais mal.
Tout le monde commençait déjà à s’éloigner, et moi j’étais toujours étendu là, immobile. Ce fut la tête de Vadim, surgissant au-dessus de moi, qui me fit comprendre que je pouvais pas rester plus longtemps.
— C’est toi qui as demandé. T’es trop con, abruti, me dit-il, avec dédain. T’as intérêt à gagner le prochain.
J’hochai la tête. Plus facile à dire qu’à faire. Il avait qu’à pas me mettre contre le géant aussi. Mais il avait raison, je l’avais cherché. Et en fait… gagner ou perdre, ce soir, j’en avais rien à foutre. J’avais juste besoin de cogner contre quelqu’un, de cracher ma colère.
Je me relevai et récupérai mes affaires, posées sur la chaise de Vadim. Je glissai le portable de Céleste dans ma poche et trainai les pieds hors de l’usine. Quelques connards étaient encore là. Je préférai ne pas écouter les horreurs qu’ils disaient à mon sujet. J’avais pas la force de réagir. Et j’avais pas envie de manger encore plus. J’avais déjà bien assez honte. Alors, je continuai ma route, des écouteurs dans les oreilles, avant de me rappeler en allumant l’écran que c’était pas mon téléphone et qu’il y avait aucun son qui m’intéressait là-dessus.
Lorsque le RER arriva enfin, je m’affalai sur un siège et fermai les yeux, pour ne pas voir les regards horrifiés, ou dégoûtés des autres voyageurs. Je devais pas être beau à voir. J’avais si hâte d’être dans mon lit miteux. Même les cafards me manquaient.
Et quand je le retrouvai enfin, je soupirai. Encore une belle journée de merde. Moi qui croyais qu’en allant à la fac, tout irait mieux. J’avais tout faux. Il me restait qu’une semaine tranquille avant de devoir retourner chez mon père, si je perdais le combat de vendredi. Il me restait trois jours pour me remettre de celui de ce soir. J’y arriverais jamais.
Je poussai un dernier soupir. En attendant, demain, je devrais aller à la fac, suivre les cours, avec ma gueule éclatée. J’allais faire un de ces effets à la prof. Et je me demandais bien quelle serait la réaction de Céleste. Elle allait dire quelque chose, c’était sûr. Elle pouvait pas se taire là-dessus alors qu’elle m’avait fait tout un foin pour…
Elle a laissé son numéro dedans.
Je m’étais mis en tête de rentrer les quelques contacts dont je me souvenais. Ça se résumait à Vadim, ma mère et mon frère. Le téléphone était vide, mais il restait un numéro enregistré. Céleste. Je buggai devant. Et je dus me retenir de faire la connerie de lui envoyer un texto. Jusqu’à craquer.
“Merci.”
Je dis rien de plus. Et reposai l’Iphone première génération sur la table de chevet. Mes yeux se fermaient tous seuls. Et j’avais ma fierté. J’attendrais pas sa réponse. J’étais pas ce genre de mec.
Ding.
Putain.
“Comme ça, on est quitte.”
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