8. Curiosité
Cette fois-ci, mon réveil sonna. Accompagné d’un texto de Céleste qui me rappelait de me lever, si je voulais pas avoir encore une heure de retard. Et le pire, c’est que ça me fit sourire. Je trouvai même ça mignon de sa part. Je déraillais complet. J’avais dû prendre un trop gros coup sur la tête hier.
Un soupir m’échappa quand j’enlevai la poche de glace, réchauffée, que j’avais posée sur mon nez. J’allais douiller. Et je redoutais le moment où je croiserai mon miroir. Déjà, sortir de mon lit fut une épreuve presque insurmontable. J’avais mal partout. Je compris pourquoi quand je me trainai dans la salle de bain et vist les nombreux bleus et hématomes sur mes flancs et mes bras. J’avais une égratignure sur la joue droite, la lèvre inférieure fendue, un œil au beurre noir et une marque rougeâtre dans le cou.
Pourquoi je continuais ça, franchement ? Y avait des moyens plus simples de me faire de la thune. J’aurais même pu demander la bourse d’étude du CROUS, mais j’avais pas fait les démarches à temps, ça m’était passé sous le nez. Et puis, personne voulait embaucher un mec avec la gueule éclatée.
L’eau froide de la douche me fit le plus grand bien. J’avais jamais autant kiffé ne pas avoir d’eau chaude qu’aujourd’hui. Mais ça ne suffit pas à apaiser ma douleur, alors j’avalai un doliprane, enfilai mes fringues et fonçai au RER. Cette fois-ci, j’étais même en avance. Je voulais pas me faire remarquer encore plus. Si j’arrivais tôt, je pourrais me cacher au fond de l’amphi et, avec un peu de chance, personne verrait ma tronche.
C’était sans compter sur Céleste, fidèle à elle-même, qui se planta devant moi, le sourire aux lèvres. J’étais en train de lire les documents qu’elle m’avait filés la veille, alors c’était d’abord ses petites mains, serties de bijoux en argents que j’avais vues. Elle triturait nerveusement une bague qu’elle portait à l’annulaire gauche.
Putain, elle est mariée ?
Elle avait l’air grave jeune pourtant, enfin comme moi quoi. On avait clairement pas l’âge de se marier. Et je l’imaginais tellement pas casée avec un mec, sûrement plus vieux qu’elle pour avoir l’idée de la demander en mariage.
Je relevai les yeux vers elle et découvris encore son sourire radieux. J’avais jamais vu une meuf aussi souriante. Elle transmettait un truc quand ses lèvres s’étiraient. Ça m’aurait presque rendu joyeux. Mais fallait pas pousser. Parce que, quand j’essayai de lui répondre de la même manière, mon sourire se transforma en grimace de douleur.
— Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? m’interrogea-t-elle.
— Rien.
— Rien ? Tu vas me faire croire que t’as hérité de la même gueule que Rocky dans la nuit, comme ça, sans rien faire ?
Elle recommence.
Céleste avait le don de m’énerver en un quart de seconde. De quoi elle se mêlait en fait ? J’avais juste envie de lui…
Encastrer la tête dans un mur, on sait.
Mais elle le cherchait aussi !
— Pardon, je suis indiscrète, bredouilla-t-elle. Je peux m’asseoir à côté de toi ?
Elle posa son sac sur la table sans même attendre ma réponse et l’enjamba pour se laisser tomber sur le siège juste à côté de moi. Elle avait pas laissé une place entre nous comme tout le monde le faisait. Pourtant, l’amphi était vide. Mais non, elle était là, avec son bras qui frôlait le mien. Et ça me faisait mal. Parce que j’avais une énorme coupure sur le coude.
Elle me sourit encore. Pourquoi elle faisait ça tout le temps. Personne souriait comme ça pour un rien. Elle, si. Moi, je crois que ça m’était plus arrivé depuis que j’étais arrivé à Paname. Et quand elle commença à fouiller dans son sac, sans se soucier des petits coups qu’elle me mettait sur le bras, je dus serrer les dents pour me retenir de lui hurler de dégager.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta-t-elle.
Elle avait dû voir ma tête crispée. Sauf que, mignonne et toute douce comme elle était, elle avait posé la main sur mon bras, probablement dans un geste gentil. Je serrai les poings.
— Enlève tes doigts de là, grondai-je, entre mes dents.
— Je… Pardon, balbutia-t-elle, en s’exécutant aussitôt. Qu’est-ce qu’il t’est arrivé, sérieusement ? Ça a l’air… douloureux.
Elle hésitait. Elle osait même plus me regarder. Et la meuf souriante et pleine de joie qu’elle était semblait avoir cédé sa place à une timidité que je lui connaissais pas. Ça lui allait bien aussi, remarque. Ses yeux bizarres me jetait quelques œillades indiscrètes de temps en temps. Qu’est-ce que je pouvais bien lui répondre ? Que je me battais comme une brute dans une usine désaffectée, contre des connards encore plus cons que moi, pour de l’argent ? Qu’hier j’avais bien failli y passer ? Que c’était à cause d’elle et de toute la colère qu’elle faisait monter en moi que j’étais allé là-bas ?
— Je fais de la boxe, répondis-je, sans entrer dans les détails. J’ai pris un mauvais coup.
— Pas qu’un seul, apparemment, ricana le mec qui trainait toujours avec elle.
Il s’assit à côté d’elle, et me tendit la main. Il s’appelait Alexis, apparemment. Il connaissait Céleste par son frère, avec qui il avait été au lycée. Elle, elle était plus âgée que lui. C’était bien ce que je pensais.
— C’est une intello, rit-il.
Je voyais pas le rapport entre le fait qu’elle soit une intello et qu’elle se retrouve en première année de licence à vingt ans. Ça aurait même plutôt été le contraire, à mon avis. Si elle avait deux ans de retard, c’était bien qu’elle avait dû retaper au lycée, non ? Quelle intello redoublait, franchement ?
— J’ai déjà une licence et un master, en fait, m’expliqua-t-elle. Dans le domaine de la géographie et du patrimoine. L’objectif, c’est de passer un diplôme d’histoire pour devenir chef de projet aux bâtiments de France.
Rien que ça.
Je devais avoir l’air sacrément con, moi, avec mes deux ans de retard, parce que j’avais rien écouté au lycée. Encore plus avec ma gueule de déterré.
— Et toi ? Pourquoi tu es venu en histoire ? m’interrogea-t-elle.
Aucune idée. Parce que c’était le premier truc que j’avais trouvé ?
Quand je disais que j’avais l’air stupide à côté d’elle. Je comprenais même pas pourquoi elle me parlait encore. Elle avait sûrement bien mieux à faire. Mais non, elle continua à me faire la conversation, évitant soigneusement de toucher à mon bras, même si parfois, elle l’effleurait. Elle s’en excusait aussitôt d’un sourire gêné. Et à la fin du cours, j’avais plus du tout envie de lui encastrer la tête dans le mur.
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