20. Premier réveil
— Mika, lève-toi ! chuchota Céleste, en me secouant avec douceur. On va être en retard en cours.
J’ouvris péniblement un œil. J’étais toujours dans le canapé, emmitouflé dans son plaid, que j’avais tiré dans la nuit pour me couvrir un peu aussi. J’avais pas osé la réveiller quand elle s’était endormie sur mon épaule, alors j’étais resté là. J’avais mal partout, les glaçons qu’elle m’avait filés avaient fondu, résultat mon pull était humide. On aurait dit que je m’étais bavé dessus.
— Il est quelle heure ? marmonnai-je.
— Huit heures. Magne-toi.
Je m’étirai, passai une main sur mon visage et grimaçai de douleur. Céleste m’adressa une moue compatissante.
— Tu as vraiment une sale tête…
— Merci du compliment, ironisai-je, d’une voix éraillée.
Elle pinça les lèvres comme si elle s’en voulait. J’aimais pas ça, voir la pitié dans ses yeux. Je préférais quand elle me vannait.
— Je peux prendre la salle de bain ?
— Yes, vas-y, j’ai fini. Je t’ai fait un café, si tu veux.
Y avait une sorte de gêne qui s’installait entre nous à chaque regard. Je savais pas trop pourquoi. Céleste s’éclipsa même dans la cuisine, incapable d’en supporter davantage. Il y avait un truc entre nous que je n’aurais su définir. Comme hier, elle me troublait. Pourtant j’en étais sûr, je voulais rien avec elle. Je l’envisageais pas du tout comme une potentielle copine, j’imaginais pas du tout faire quoi que ce soit avec elle. Mais elle me faisait un effet particulier. Peut-être était-ce ça, la vraie amitié ? Celle sur laquelle on peut compter, même dans les pires moments. Elle me l’avait prouvé en m’ouvrant la porte de son appartement.
— Il y a des serviettes de toilette dans le placard blanc, me cria-t-elle à travers la porte.
En sortant de la douche, j’ouvris la porte de l’armoire sur laquelle était fixé un miroir. Céleste avait raison, j’avais vraiment une sale gueule. Je trouvai une pile de linge qui sentait bon la lavande et la citronnelle. Sur le mur voisin étaient accrochés quelques cadres avec des photos. Ce fut à ce moment que je découvris le fameux Simba. Elle m’avait pas menti, alors. Céleste devait avoir à peine quinze ans dessus et il y avait cet énorme lion allongé sur le dos, les pattes en l’air. Et la petite Céleste, toute menue, assise sur son ventre. Elle avait l’air si heureuse, là, dans sa savane. Je l’avais jamais vue sourire comme ça. Si, d’ordinaire, elle rayonnait toujours, cette fois-ci, elle était encore plus lumineuse que le soleil. Sur la photo voisine, elle posait avec son petit frère, enfin je crois. Il avait lui aussi les yeux vairons, mais un bleu et un noir.
— Mika ? me demanda-t-elle, alors que je la rejoignais dans la cuisine. Est-ce que tu… Tu sais, quand tu m’as dit que la boxe était pas aussi violente, sauf quand elle était illégale…
J’aurais jamais dû lui parler de ça. J’aurais dû me douter qu’elle s’en souviendrait, qu’elle cogiterait, qu’elle s’inquiéterait.
— C’est dangereux ?
J’attrapai ma tasse de café et en but une longue gorgée. Comment j’allais pouvoir me sortir de là sans lui faire peur ?
— Si je t’en parle, tu promets de ne le répéter à personne ?
Elle me tendit son petit doigt et l’accrocha au mien, comme les promesses qu’on faisait quand on était gosses avec ma mère et mon frère. Elle affichait un air soucieux, mordillait nerveusement sa lèvre et ne me quittait pas des yeux. Elle me sondait. Et moi, je savais toujours pas quoi dire. J’avais essayé de gagner du temps avec cette question. Bien sûr qu’elle n’en parlerait à personne, c’était Céleste.
Je jetai un coup d’œil à ma montre. Je pouvais pas tout lui expliquer en cinq minutes. Et puis, il fallait que je réfléchisse à ce que je voudrais bien lui dévoiler. Alors je lui proposai d’en parler à tête reposée, après les cours, quand on aurait tout notre temps. Parce que, là, on allait être en retard. Je voulais pas lui attirer d’ennuis.
— Ok, soupira-t-elle, presque déçue.
— Je te dirai ce soir, lui assurai-je.
Sans réfléchir, je passai un bras sur ses épaules et embrassai son front. Je réfléchissais pas souvent, de toute façon, quand j’étais avec elle. Je faisais tout par instinct et après je cogitais et je me demandais pourquoi j’agissais comme ça, je me demandais ce que Céleste pensait et j’avais peur qu’elle me repousse.
— Ouais et, cette fois-ci, on évite de s’endormir sur le canapé, rit-elle pour détendre l’atmosphère soudain pesante, parce que même si ton épaule est très confortable, je préfère mon oreiller.
J’esquissai un sourire. Elle m’amusait à être si légère. Tout semblait plus simple avec elle. Elle reposa sa tasse, attrapa son paquet de cigarettes qu’elle fourra dans son sac à main et me pressa de la suivre. On était en retard, avec tout ça. Le prof nous louperait pas et il aurait Céleste dans le collimateur à cause de moi. Fallait qu’on se bouge.
On se tapa un sprint de folie en sortant du métro. Céleste était morte quand on entra dans l’ascenseur. Rouge écarlate, le souffle court, elle se raccrocha à mon bras pour respirer.
— Comment ça se fait que ça te fasse rien, à toi, geignit-elle. C’est pas juste.
— Parce que, moi, je fais du sport.
— Moi aussi ! se défendit-elle. Tu crois que c’est pas du sport de soulever ma pile de bouquins tous les jours quand j’ai fini de bosser et que je dois tout ranger ?
— Je suis désolé de te le dire, mais non, c’en est pas, me moquai-je.
Elle leva les yeux au ciel, comme si je disais n’importe quoi. En attendant, elle était toujours essoufflée et elle commençait même à voir des étoiles autour de sa tête. Elle allait me claquer dans les pattes. Alors, sans réfléchir, encore, je lui proposai de venir avec moi quand j’irais m’entraîner. Sauf qu’à bien y penser, j’étais pas sûr de vouloir l’emmener dans la salle que je fréquentais, avec tous ces chiens d’la casse qui voudraient lui sauter dessus. Mais trop tard, elle avait accepté.
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