5. Etienne Arthur MORGUE.
Dans un salon climatisé, un homme du nom d’Etienne fumait tranquillement son cigare, accompagné des hommes les plus importants de l’hôpital. Ils riaient ensemble d’une anecdote racontée par le dénommé Etienne, un bel homme au physique avantageux et aux cheveux blonds comme les blés. Une partie de son public approuvait sa réaction face à un évènement arrivé la veille. Il venait en effet d’expliquer comment, avec un ami, il avait remis un petit serveur à sa place parce qu’il l’avait trop fait attendre :
« Le serveur ramassait une serviette tombée sous notre table. J’en ai profité pour faire accidentellement tomber mon assiette par terre, et je l’ai obligé à tout récupérer avec ses doigts. En lui disant que s’il restait ne serait-ce qu’un grain de riz sur ce sol, je me plaindrais à son patron pour son service pitoyable ! Il avait trop peur de perdre son job minable ce ringard… Je suis sûr que le sol n’avait jamais été aussi propre ! »
La plupart des hommes l’entourant, cherchant à être dans ses bonnes grâces, le félicitaient en lui tapant l’épaule. L’un des collègues d’Etienne, qui l’admirait pour son charisme et son talent inné, lui serra même la main.
« Docteur MORGUE, exprima-t-il, vous n’avez vraiment peur de rien. Moi je n’aurais pas osé ! »
— N’oublie jamais une chose Firmin, commença le Dr E.A.MORGUE en fixant son chétif collègue dans les yeux. Nous sommes les puissants de ce monde. Et il est normal d’écraser les plus faibles, pour qu’ils n’oublient pas qui ils ont en face d’eux ! Demande-toi dans quel camp tu te trouves.
— Les forts évidemment ! s’écria Firmin.
— Tout le monde ne peut pas être aussi doué que moi. Il faut bien un chef, un mal alpha. Mais vous aussi vous êtes au sommet de la hiérarchie, sinon vous ne seriez pas ici avec moi.
Alors que les médecins-chefs de service rigolaient bruyamment, une femme entra dans la pièce presque en même temps qu’elle frappa à la porte. Une femme d’âge moyen se montra, salua rapidement ces messieurs, et s’adressa au Dr MORGUE.
« Désolé de vous déranger pendant votre pause docteur, mais le bloc vous attend pour l’opération programmée, et vous n’avez toujours pas votre biper sur vous, comme d’habitude, lui reprocha l’infirmière.
— Houlà les gars, je me fais gronder par la méchante infirmière, je ferais mieux d’y aller, plaisanta le Docteur. Après tout, la vie dépend de moi !
Une fois dans le couloir, l’infirmière houspilla le Dr MORGUE, qui l’attira dans une pièce vide par un bras. Il la plaqua contre un mur et l’embrassa. L’infirmière le repoussa timidement, et le supplia d’arrêter.
“Arrête Etienne, on risque de nous surprendre !”
— Ça ne te dérange pas d’habitude, au contraire, l’idée qu’on te surprenne avec moi t’excite non ? Et puis appelle-moi roi Arthur, comme tu le fais dans l’intimité, ajouta le Docteur avant de recommencer à embrasser la femme qui était sous son emprise.
— Je t’ai dit non, insista l’infirmière qui poussa le Docteur suffisamment fort pour pouvoir se dégager. Les autres savent ce qui s’est passé entre nous, et c’est grâce à toi, j’imagine ? Si mon mari l’apprend…
La femme quitta la pièce, les yeux rougis, tandis que le Docteur Etienne Arthur MORGUE, avec un petit sourire en coin, redressa ses cheveux, sa blouse, et se dirigea vers le bloc avec un air supérieur.
Le Dr MORGUE était un éminent neurochirurgien. Il était même le meilleur ! Aujourd’hui il devait opérer Monsieur Renée EVERIE d’une tumeur cérébrale. Tout se passait bien, mais le chirurgien ne pouvait cependant s’empêcher de penser à son entretien avec Monsieur EVERIE :
“Avez-vous bien lu le document, Monsieur EVERIE, surtout le passage concernant les risques ?”
— Oui Docteur MORGUE ! confirma Monsieur EVERIE.
— Êtes-vous donc bien conscient que vous risquez de devenir hémiplégique ?
— Oui Docteur MORGUE ! répéta Monsieur EVERIE. Mais vous êtes le meilleur, c’est donc avec vous que j’aurais le plus de chance !
— Je ne vous contredis pas, affirma le neurochirurgien en prenant un air important. Avez-vous également lu que même si l’opération se passe bien, votre vie ne sera plus jamais la même ?
— Je sais Docteur, et ça me fait peur. Mais ma famille sera là pour m’aider. Je ne serais pas tout seul. Et puis j’ai confiance en vous. Vous devez m’aider !
Ils se regardèrent un instant, et le docteur MORGUE sourit à son patient avant de conclure :
Ne vous inquiétez pas, Monsieur EVERIE, je sais ce que j’ai à faire ! »
La tumeur était presque entièrement enlevée. Encore quelques coups de scalpel, et l’opération de Monsieur EVERIE prendrait fin, avec une réussite relative. Cependant, le docteur MORGUE en décida autrement : il plaça son outil un peu plus loin que nécessaire, et l’enfonça de sorte à sectionner une artère. Les choses allèrent très vite, et malgré les efforts de l’équipe, Monsieur EVERIE ne put être sauvé :
« Heure du décès annonça le chirurgien : 9 h 11. »
Le Docteur MORGUE avait annoncé le décès à la famille du défunt, et s’était ensuite isolé dans les vestiaires pour jouir de son acte. Cela était devenu pour lui une habitude !
« J’espère que de là où tu es tu m’es reconnaissant. Personne ne voudrait d’une vie à dépendre des autres ! Heureusement que MOI, j’ai le courage de faire le nécessaire ! »
— Et c’était quoi le nécessaire ? demanda une voix derrière le Docteur MORGUE.
— Dr DOOG, je ne t’avais pas entendu rentrer !
— Vous l’avez fait exprès, n’est-ce pas ?
— De quoi parles-tu ?
— Vous avez touché exprès l’artère ! accusa le nouveau venu. Ça fait longtemps que j’ai des doutes sur vos pratiques. Elles sont difficiles à observer ! Mais là j’en suis sûr !
— J’ai fait mon travail d’une manière exemplaire, comme toujours ! s’écria le chirurgien. Et puis, que connait un simple anesthésiste comme toi de la complexité d’un tel organe ?
— Comme vous ne vous intéressez qu’à vous-même, vous n’avez jamais pris la peine d’apprendre à connaitre vos collègues. Apprenez que j’ai longtemps hésité entre ce métier d’anesthésiste-réanimateur et la neurochirurgie. Apprenez également, cher collègue, que la complexité de « cet organe », comme vous l’appelez, n’a presque plus de secret pour moi ! Je ne suis certes pas aussi doué que vous, et je n’en sais pas autant non plus, mais en ce qui concerne l’anatomie du cerveau…
— Que veux-tu, Docteur Brian DOOG ? coupa le Docteur MORGUE. Me dénoncer ? Sans preuve ! Qui te croira ?
— Vous pensez que la voix du petit anesthésiste ne pèsera pas bien lourd face au célèbre Docteur MORGUE, n’est-ce pas ? Vous vous prenez réellement pour Dieu ?
— Je réussis tout ! déclara le Docteur MORGUE. C’est autour de moi que tout et tout le monde gravite ! J’ai tous les pouvoirs ! C’est moi qui prends les décisions les plus importantes en ce monde ! C’est moi qui décide qui vit et qui meurt ! Alors oui…
JE SUIS DIEU !
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