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On a enterré EE dans le petit cimetière, au bord du village. Son corps repose dans un beau cercueil en chêne. Tout le monde est venu, vêtu de noir, sous un soleil de plomb. Ils ont pleuré, il ont ri, ils ont voulu célébrer EE. Le cimetière a longtemps résonner des histoires qu’ils avaient tous à raconter.
Moi, je n’ai rien dit. Et on ne m’a rien demandé. Les autres savent, maintenant. Je suis devenu muet. Ils se contentent de m’adresser des regards pleins de compassion, de tendresse, et parfois de questions. Tu as besoin de quelque chose ? Tu veux que je reste près de toi ?
Je n’ai pas quitté le cercueil des yeux. Avec les autres, j’ai jeté de la terre dessus, jusqu’à le recouvrir. Les autres sont partis, moi je suis resté. Toute la soirée. Et puis toute la nuit.
Quand je suis rentré chez moi, j’avais ce trou, dans le ventre. Comme celui qu’on a fait dans la terre. EE ne peut pas rester là. On dirait qu’il m’enchaîne.
Alors, aujourd’hui, j’attends que la nuit vienne. Quand elle arrive, je me mets en route pour le cimetière. J’ai pris une bêche, et je gratte la terre, je l’arrache tout en la maudissant. La terre, elle nous enfante, elle nous nourrit, nous avilit, et puis elle nous digère. Je ne peux pas laisser EE là-dedans.
Quand j’atteins le cercueil en chêne, je frappe dessus avec la bêche. Les planches cèdent au bout de quatre coups. EE apparaît, le corps tout abîmé. Je dégage les planches, et je me laisse tomber dans le trou, à côté de lui. Je m’étends dans le cercueil, et le trou dans mon ventre rejoint le trou dans la terre ; ils se confondent, et j’enfouis mon visage dans le costume qu’on a mis à EE, et je pleure.
Une éternité plus tard, je me redresse. La nuit nous couvre toujours. Je tire EE hors du trou. Avec la bêche, je remplis le trou de terre. Quand mon nouveau crime est dissimulé, j’attrape les chevilles d’EE, je le tire vers une charrette abandonnée à l’orée de la forêt, je fourre son corps dedans, et je me mets en route vers le lac.
Le chemin est long et fastidieux mais, finalement, j’arrive sur les berges à l’aube. Je m’accorde une pause. Au-dessus de moi, le ciel s’entache de lumière.
La charrette ne tient plus. Le corps d’EE a glissé sur le sol. Partout, sur Terre, on marche sur un cimetière. Je ne peux plus le supporter.
Je reprends son corps. Il est lourd, puant, rigide. On dirait qu’il fond dans mes bras. Je le traîne jusqu’au lac, et je l’accompagne à l’intérieur. L’eau est froide. Ça fait du bien. Je m’enfonce avec lui ; la vase retient mes pas, mais j’avance.
Et puis, quand je n’ai plus pied, je plonge. Je nage, difficilement, EE coincé sous mon bras. Je vais le plus loin possible — pas tout à fait au centre du lac, mais presque.
Là, je plonge de nouveau. Vers le fond. Je lâche EE. Je le repousse. Il doit rester là. Loin de la terre.
Moi aussi, je reste. Pas longtemps. Juste assez pour me sentir au bord du suicide. Quand je remonte, le ciel brille de lumière. L’eau grouille. Je me laisse choir sur la berge, au milieu de l’herbe humide.
Sous le soleil du matin, je m’endors.
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