Bébé Simon
Zoya jeta l’appareil par terre et regarda son mari sans réussir à prononcer un mot.
— C'était quoi ?!
Elle expira fort par la bouche en fermant les yeux, puis parla – mal – anglais comme toujours quand elle ne voulait pas que les petits les comprennent.
— It was the friends of our son. They are here !
— Quoi ?! Ce sont eux qui cognent sur le volet ? Mon Dieu, mais ils ont dit à la TV qu’ils avaient tous été arrêtés.
— Obviously not, Daddy dearest.
Boris parlait désormais anglais avec l’accent d’Oxford, mais il gardait les yeux vides, bien que son regard soit toujours orienté vers eux. Quant à sa bouche, elle affichait un petit demi-sourire parfaitement inquiétant.
— Please, take the chains away, darling Daddy.
Les deux parents firent un bond en arrière. Le Cauchemar. Olga s’était mise à rire et lapait le lait, la tête collée à la table. Zoya sentait son âme exploser – ne restaient que des débris de désespoir – mais les vieux réflexes étaient bien ancrés.
— Voyons, Olga, tiens-toi bien !
La gamine répondit avec un accent américain de caricature.
— My bitch mother is the least of my problems. Because moi je veux peinturer en rouge.
Hector éructa un rire horrifié et se pencha vers le bébé qui le fixa d’un beau regard bleu, droit, franc et net. Il le prit dans les bras. Pour la première fois. Le bébé était si léger, il avait oublié ça, la légèreté d’un bébé. Six mois et il ne l’avait jamais touché. Il eut honte, rapidement honte, car la peur gagnait sur tout le reste.
— Boris ! Olga ! Ça y est, c’est le Cauchemar ! On en a déjà parlé. S’il vous plaît, reprenez-vous. Rappelez-vous, Maman vous aime ! Papa vous aime ! Nous sommes une famille. Vous m’entendez ? Une putain de fa-mil-le, bordel de merde !
— Voyons, Papa, tiens-toi bien !
C’était encore Olga qui imitait parfaitement la voix et les intonations de sa mère quelques instants plus tôt. Zoya était blanche, il lui semblait observer la scène plutôt que de la vivre. Dehors les coups sur les volets ne diminuaient pas. On devinait les petites voix, Boris, viens jouer au foot, Boris, viens jouer avec nous, allez Boris, allez Boris, viens voir notre nouveau ballon.
Zoya s’écroula contre le mur, effondrée, répétant c’est pas possible, c’est pas possible, mes bébés, mes pauvres bébés. Hector tenait Simon sur sa hanche et listait mentalement, il n’y avait plus aucun couteau dangereux dans la maison, les chaînes tenaient, les rampes avaient été contrôlées la semaine précédente, les volets étaient renforcés, les barreaux aussi. Ils ne risquaient rien. Devait-il chercher son revolver au grenier ? Ou pas ? Il ramassa le téléphone, il allait appeler la police. Mais les gamins n’avaient pas raccroché. Ils étaient toujours en ligne.
— Allô ? Allô? Vous êtes le papa de Boris ? Allô ? Il est là, Bobo ? Laissez-nous rentrer, s’i-vous-plaît, on veut juste jouer.
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