Chapitre 33.1
Esmelia se demanda pourquoi cette femme en avait après Baal.
Il y avait quelques années, elle s’était contentée de déserter l’AMSEVE en emportant avec elle des reliques et des documents récoltés par ses collègues. Maintenant, elle était devenue flingueuse de vaisseaux spatiaux et chasseuse de primes. À moins qu’elle ait déjà eu maille avec Baal avant son séjour sur la Terre.
Décidément, l’ancien dieu avait un sérieux problème avec les femmes. Deux d’entre elles étaient prêtes à atomiser le vaisseau et tout ce qu’il contenait juste pour avoir la tête de son propriétaire, quand d'autres n'essayaient pas d'assassiner les passagers ou les membres de l'équipage de son vaisseau. D'un autre côté, les hommes essayaient de lui couper la tête avec de grosses épées. Sa tête ou celle des autres.
— De combien de temps avez-vous besoin pour évacuer le vaisseau ? demanda-t-elle au navigateur en chef.
Il ne sut pas quoi répondre à cette question. S'il se l'était posée un jour, il n'en avait plus la réponse.
— Plusieurs heures, hésita-t-il à répondre.
En temps normal, sans doute. Mais ils ne disposaient peut-être même pas d'une seule heure.
Elle comprit soudain qu’aucun membre de l’équipage n’avait dû avoir à gérer une situation de crise plus grave qu’un accident ou une explosion due à une défaillance. Ces derniers jours ne les avaient pas épargnés.
Baal avait toujours pris soin d’eux en les tenant à distance de ses problèmes. Il les protégeait.
En son absence et à la merci d’un ennemi qui se montrait sans pitié, ils étaient comme des louveteaux sans défense.
— Ce n’est qu’une mesure de précaution, tenta-t-elle de le rassurer avec un calme qui l’étonna elle-même tout en se disant que c'était encore un mensonge. Votre maître n’est pas là, d'accord. Cependant, il n’apprécierait pas de vous savoir tous morts juste pour avoir voulu l’attendre. Par ailleurs, ce vaisseau n’est plus en état de combattre depuis longtemps, n’est-ce pas ?
Même s'ils avaient tout fait pour donner l'impression du contraire...
— C’est vrai, admit l’assistant navigateur malgré le regard de désapprobation de son supérieur.
— J’imagine que vous avez prévu un endroit sûr pour vous réfugier quelques temps ? Avez-vous un plan d’évacuation ? Un moyen de quitter ce vaisseau ?
Le navigateur en chef hésita avant d’acquiescer :
— Je ne sais pas si nous aurons suffisamment de navettes de sauvetage… Certaines ont dû être détruites en même temps que nos chasseurs. Notre maître est le seul à savoir ouvrir les passages d’un système à un autre. Sans lui, je ne vois pas comment… De toutes les façons, ils nous abattront dès que nous sortirons du bouclier.
— Il y a un moyen, lâcha une voix masculine à bout de souffle derrière eux.
Esmelia et les navigateurs se retournèrent vers un Grama en piteux état. Outre une vilaine blessure à la tête, et un bras en écharpe, il semblait avoir traversé un brasier. Son scaphandre était plus noir que gris, et était déchiré par endroits. Ce qui lui interdisait désormais toute sortie dans l'espace. Les quatre hommes et la femme qui l’accompagnaient ne valaient guère mieux.
— Il y a un moyen, répéta-t-il. Mais nous ne l’avons jamais mis en pratique. Pas plus que le plan d’évacuation, d’ailleurs. Avant de quitter le vaisseau, Baal m'a transmis les instructions pour faire fonctionner le portail. Mais si cela ne fonctionne pas...
— Il n'y aura pas de meilleur moment pour l'essayer, estima-t-elle sans chercher à le brusquer. C'est la seule issue de secours possible, la plus sûre comparée aux autres, et la plus rapide pour évacuer tous les passagers.
Il acquiesça.
— Nous avons besoin d’une trentaine de…
Sans chercher à savoir quelle unité de temps il allait utiliser, elle lui répondit, toujours faussement sereine.
— On ne bénéficiera sûrement pas tout ce temps-là, Grama. Faites de votre mieux pour évacuer un maximum de personnes.
Il hocha la tête en signe d'accord et donna des ordres à ses compagnons qui sortirent aussitôt du poste de navigation. Grama quant à lui œuvra un moment derrière l'une des deux consoles avant de quitter le poste de commandement.
Lorsqu'il revint, une dizaine de minutes s'étaient écoulées.
— L'évacuation a commencé, dit-il simplement.
Personne ne se retourna. Il se posta derrière elle, avec les navigateurs. Tous avaient les yeux rivés sur l'écran attendant la réapparition de Jor Pʘnyl.
— Vous devriez vous préparer à quitter le vaisseau, vous aussi, suggéra-t-elle.
Elle s'adressait aux trois officiers.
Ce fut le plus jeune qui lui répondit :
— Nous ne quitterons pas le vaisseau de notre maître sans lui.
— Vous pensez vraiment qu’il peut encore y remettre les pieds ? J’ai bien l’impression que nous sommes très entourés, pour ne pas dire assaillis.
Elle ne chercha pas à les convaincre. Évidemment qu’ils le savaient. Ils connaissaient la situation, même s’ils souffraient d'un manque probant d’expériences guerrières.
— S’il peut revenir, il le fera, assura Grama. Il est capable de choses que ni vous ni moi ne pouvons imaginer.
— Ça, je n’en doute pas.
Esmelia enclencha le son au moment où le visage de Jor Pʘnyl réapparut sur l’écran.
Au même moment, elle se souvint d’un détail évoqué par Will : entre Baal et Pʘnyl, la guerre n’était pas récente...
— Qui vous a renseigné à mon su...
Esmelia la coupa net :
— Je suis aussi membre de l’AMSEVE.
L’autre l’observa comme si elle cherchait le moment où elles avaient pu se rencontrer sur la base.
Qu’elle cherche ! songea Esmelia.
— L'AMSEVE ne s'aventure pas aussi loin dans la galaxie, fit l'Extraterrestre. Elle n'en a pas les moyens.
Elle n'était cependant pas sûre de ses convictions.
— Les choses ont bien changé depuis votre départ.
Un court instant, Esmelia se demanda si la présence de Jor Pʘnyl à l'AMSEVE et le vol des documents dont elle était l'auteur n'avait pas pour objectif de retarder les explorations spatiales en provenance de la Terre. Son instinct lui soufflait qu'elle n'était peut-être pas loin de la vérité.
— Je sais qui vous êtes, Capitaine Achab. Mes… Will… William Mac Asgaill m’a fait un topo sur vous… Pas très flatteur, je précise.
Elle se souvenait maintenant de ce que Will lui avait dit à propos des prétentions de Jor Pʘnyl concernant Baal. Toujours déçues.
— Un to quoi ? Je ne suis pas le Capitaine Achab. Vous vous trompez de personne.
— Laissez tomber.
Jor Pʘnyl hésita un court instant. Elle semblait complètement déroutée. Sans doute n’était-elle pas totalement familiarisée avec les expressions terriennes.
Néanmoins, elle prit sur elle et poursuivit sur sa lancée :
— Vous dites que ce vaisseau vous appartient, mais alors, pourquoi vos Labirés portent-ils les couleurs de Baal.
— Quoi ? Vous n’aimez pas les couleurs de l’hiver ? C’est ma saison préférée et c’est classe, le gris et tous ses camaïeux, et les petites touches de blanc et d’agent, c’est pour réveiller. Vous auriez préféré du rouge ? Pas très tendance, ici, croyez-moi. Ou du noir peut-être ? Notez, je n’ai rien contre le noir. J’adore le noir. J’adore les chats noirs aussi. On dit qu'ils ne portent pas chance à ceux qui les rencontrent. J’ai souvent l’impression d’en être un. Vous savez ? Ces petites bêtes terrestres, pleines de poils qui vous montrent leur reconnaissance en émettant un son relaxant. Cela dit, ils n’hésitent pas à faire le gros dos et à planter leurs griffes sur vous si vous les menacez.
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