Chapitre 33.2

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— Je sais très bien ce que c’est, riposta-t-elle sèchement. Par contre, Terrienne, je vous vois mal prendre un vaisseau drægan, et sûrement pas celui de Baal, à vous toute seule.

— J'ai joué, et j'ai gagné, répondit Esmelia. Il a, comme qui dirait, trouvé son maître.

Elle faisait preuve de ce même aplomb dont elle s’ignorait capable jusqu’à ce qu’elle décide de forcer le destin sur le Marché aux esclaves de Feloniacoupia.

— Ah oui ? Et à quel jeu ?

— Peu importe à quel jeu j’ai joué contre lui. J'ai gagné son vaisseau et tout ce qu’il contient, c’est tout. Il est à moi et je le garde. Pour l’avoir, il faudra me tuer… ou me payer très cher. Mais cela, je pense que pour une voleuse dans votre genre, c’est difficile à comprendre.

— Ce n’était du vol. Ces objets n’appartenaient pas aux Terriens. Donc, je ne suis pas une voleuse.

— Oui, bien sûr. Et vous vous dites cela tous les soirs avant de vous endormir, histoire de soulager votre conscience ?

Au lieu de répondre, Pʘnyl préféra changer de sujet :

— Que fait une Terrienne de l’AMSEVE loin de chez elle ?

— Désolée, mais vous êtes un peu trop curieuse. Je vous rappelle que vous ne faites plus partie de l’AMSEVE. Mais je comprends votre méfiance.

— Je me méfie de quelqu’un qui dit avoir réussi à prendre quoi que ce soit à Baal.

— Et moi de quelqu’un qui vole ses propres associés, ses amis.

— Je ne suis pas ...

Pʘnyl s’arrêta net, accusant finalement le coup mieux qu’Esmelia ne l’avait espéré.

— Bien essayé, mais le bluff, C’est ma spécialité, pas la vôtre, répondit la Capricorne. Non, mais pour qui vous vous prenez ?

— C’est certain, nous n’avons pas les mêmes valeurs. J’ai l’impression que vous regrettez d’avoir spolié vos anciens camarades de plusieurs années de recherches. En guise d’excuse vous comptiez leur ramener Will MacAsgaill ?

— Que…

Esmelia aurait juré l’avoir vu rougir sous son maquillage bleuté. Elle enfonça le clou un peu plus profondément.

— Pensez-vous vraiment qu’ils vous accueilleront les bras grands ouverts ? Si l’une d’entre nous doit leur ramener MacAsgaill, ce ne sera certainement pas vous.

Jor Pʘnyl fit un gros effort pour réprimer la rage dans sa voix alors qu’elle était bien visible dans son regard.

Décidément, elle ne lâchait rien, songea Esmelia.

— Il y a des rumeurs qui disent que Baal aurait été vu accompagné d’une femme… une ijà'kô.

— Ah, oui ? Ce n’est pas parce qu’elles vont plus vite que la lumière que les rumeurs sont justes, biquette.

Pʘnyl loucha furtivement avant de plisser les yeux. Si elle ignorait le sens du non commun dont elle venait d'être qualifiée, elle avait été piquée par le ton ironique d’Esmelia et essayait de le cacher tant bien que mal. Elle devait aussi s’interroger sur les capacités de nuisance de sa nouvelle adversaire...

Parfois le culot pouvait s’avérer payant. Mais l’assaillante n’était pas née de la dernière pluie apparemment, et pour avoir collaboré avec d’autres êtres humains, elle devait être aguerrie à ce type de pratique.

Elle le confirma aussitôt :

— Assez joué, ma jolie. Livre-moi William MacAsgaill, sans la moindre égratignure. Quant à Baal, ce sera dans l’état que tu veux, je m’en fiche. Autrement, je détruis ton prétendu vaisseau. Ceci est ma dernière réclamation. Vous avez quinze minutes. Il n'y aura pas aucun autre délai.

Esmelia savait qu’elle devait essayer de gagner encore un peu plus temps. Un regard en direction de Grama le lui confirma.

— On se tutoie maintenant ? D’accord. Apparemment, quand tu as quelque chose dans la tête, tu ne l’as pas ailleurs. Si je te dis qu’ils ne sont pas à bord, c’est qu’ils n’y sont pas. C’est à se demander si tu n’aurais pas que des racines de cheveux et de la corne en guise de cerveau. J’ai sûrement déjà croisé des chèvres qui étaient moins obtuses que toi.

Elle n’aimait vraiment pas cette façon de traiter les gens, fussent-ils ses ennemis.

En guise de réponse, Jor Pʘnyl lui renvoya une litanie de mots qui devaient être des jurons.

Esmelia lui répliqua du tac-au-tac :

— Grognasse ! C’est tout ce que tu as en réserve ? C’est du gagne-petit. Franchement, on ne m’avait pas dit que tu avais le cerveau tellement fêlé qu’il était ouvert aux quatre vents. Ce n’est pas un carrefour à courants d’air, c’est carrément une autoroute.

C’était la seule platitude lui venant en tête à cet instant. Pas très percutant, mais pas trop mal pour la situation. Elle n’aimait pas mais, parfois, cela fait du bien.

Esmelia décida d’en rajouter encore un peu.

— Tu as l’air tellement agitée qu’on dirait une caldeira excitée prête à exploser.

Cette fois, elle atteignit sa cible : Jor Pʘnyl était visiblement très très en colère. Suffisamment pour perdre ses moyens.

Restait à espérer que l’explosion ne ferait pas l’effet d’une bombe nucléaire.

Esmelia sentit un mouvement derrière son dos, mais elle avait l’esprit trop préoccupé pour songer à se retourner pour voir ce que fabriquait Grama.

Sans raison apparente, l'expression de Pʘnyl changea du tout au tout. Elle se mit à sourire aussi méchamment qu’un vilain dans un de ces vieux films en noir et blanc, du temps où la parole ne leur était donnée qu'à l'aide de quelques mots blancs écrits sur fond noir entre les scènes.

Se pensait-elle déjà victorieuse ? Avait-elle obtenu une information qu’elle ou Grama ignoraient ?

— Comme je le disais : du bluff, rien que du bluff. Ce petit jeu me lasse sérieusement.

Esmelia vit l’attention de son adversaire se porter derrière elle. Elle se retourna, en même temps que les navigateurs, et se sentit immédiatement comme une petite fille prise la main dans le pot de confiture.

Baal se tenait à la place de Grama.

À son expression, et pas seulement à cause de la tête de déterré qu’il affichait, sûrement malgré lui, avec des hématomes dont un à l'œil gauche, et une profonde coupure à la lèvre inférieure. Il donnait l'impression d'avoir traversé une tempête.

Il ne devait pas vraiment apprécier qu’elle ait pris les commandes du vaisseau, songea-t-elle en premier lieu.

Esmelia se reprit aussitôt. Elle n’avait pas à rougir de ses actes. Elle avait agi dans l’intérêt des passagers du vaisseau.

Derrière l’écran, Jor Pʘnyl affichait la mine suffisante des vainqueurs :

— Dieu déchu et banni, je vous laisse dix minutes pour vous rendre, ordonna-t-elle d’une voix claire et puissante.

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