Chapitre 07.2
Les deux extraterrestres étaient menues et avaient une tête de moins qu’Esmelia. Elles avaient un visage de poupée : un petit nez, une petite bouche ourlée, des pommettes hautes et de grands yeux légèrement en amande.
Elles la déshabillèrent en silence sans s’occuper de ses protestations pour la toiletter.
Esmelia regarda autour d’elle. Elle était loin d’être la seule dans cette situation. La scène était répétée des dizaines de fois. D’autres créatures à la peau orange et noire et à la chevelure tissée autour de leur corps s’affairaient d’un individu à l’autre. Des êtres de toutes sortes et de toutes couleurs, des mâles, des femelles, d’autres de sexe indéterminé, et même des petits… des enfants se laissaient docilement passer de nouveaux vêtements, ou seulement de simples parures. Aucun n’avait l’air de subir son sort. L’effervescence qui régnait sous cette tente semblait même relativement festive.
Les habilleuses ne montraient aucune violence envers ceux dont elles avaient la charge. Au contraire, elles mettaient beaucoup de douceur dans leurs gestes.
Elle-même se sentait apaisée. Peut-être aussi à cause de leur étrange chant qui était comme un bourdonnement hypnotique, ou de la pommade qu’elles avaient appliquée sur son corps.
Ensuite, elles lui avaient choisi de nouveaux vêtements, propres et frais. Tous différents, ils étaient adaptés à chaque type de morphologie et destinés à la mettre en valeur. Elle eut droit à une tunique blanche qui lui tombait au-dessus des genoux et lui laissait les bras et les épaules nus.
Les mâles les plus jeunes et les plus musclés portaient des tenues minimalistes que n’auraient pas reniées les Kouroï de la Grèce antique.
Certaines créatures de genre apparent féminin en avaient à peine plus sur le dos. Elles ne semblaient pas s’en formaliser. Leur corps était fortement parfumé et leur visage était excessivement fardé.
À elle aussi, on avait essayé de lui imposer le lourd maquillage local, mais elle avait tout enlevé dès que les costumières s’étaient détournées d’elles.
Un garde, qu’elle surnomma Belle-Gueule III, l’avait vue faire. Il était ce qui se rapprochait le plus d’un être humain. Même s'il semblait avoir du sang d’Orc dans les veines, sa figure et son corps massif, humanoïdes, l’attestaient. Ses traits conservaient une certaine grâce qui ne devait rien à la bête qui était en lui.
Il l’avait regardée un moment avec une insistance mêlée d’étonnement et de curiosité.
Un court instant, elle s’était demandé si elle pourrait s’en faire un allié, mais elle avait aussitôt abandonné l’idée.
Elle avait l’impression de se trouver dans les coulisses d’une pièce de théâtre ou d’un spectacle de parc d’attraction. Mais, pour autant qu’elle le sache, les acteurs n’étaient pas réveillés à coups de seaux d’eau glacée sauf, à la limite, lorsqu’ils étaient trop ivres pour ressentir quoi que ce soit d’autre.
Au bout d'un moment, elle remarqua que ses geôliers la surveillaient moins étroitement. Elle commença par fureter sous la tente, puis se décida à sortir.
À l'intérieur, personne ne chercha à la retenir.
Cependant, elle n’avait pas fait dix pas dehors, le temps d’apercevoir les maisons et les rues d’une ville qui ne lui en rappelait aucune, que Belle-Gueule II l’avait attrapée par le bras et l’avait conduite au pied d’une estrade. Il l’avait placée à la fin d’une file d’attente, juste derrière deux petits vieillards, du moins elle le supposa, à tête de tortue, qui se serraient étroitement l’un contre l’autre.
Au ton et aux gestes qu’il avait utilisés, elle sentit que B-G II voulait qu’elle les suive.
Ce qu’elle fit. Elle n’avait rien à perdre à ce stade. Elle devinait pourquoi toutes ces créatures qui la précédaient dans la file étaient là. Elle n’était pas très à l’aise avec la notion. D’autant que la plupart dans les différents groupes, comme sous la tente, ne semblaient pas présents contre leur gré.
Au moins, cette estrade aurait l’avantage de lui offrir un point de vue suffisamment haut pour évaluer la situation et comment il conviendrait de réagir ensuite.
Quand son tour de présentation arriva, elle grimpa les quatre marches du sommaire escalier de bois et se retrouva sur le plateau face à une quarantaine d’individus, tous plus différents, bizarres et extraterrestres les uns que les autres.
Ils l’observèrent alors qu’elle défilait à la suite des autres. Ils étaient tous là pour acquérir un ou plusieurs esclaves.
Loin de céder à la panique, elle analysa sa situation. Que pouvait-elle en tirer ? Jusqu’à présent le hasard l’avait toujours bien servie… Qu’est-ce qui l’attendait maintenant ? Que faire pour se sortir de là ?
Esmelia était certaine que ceux qui l’avaient capturée ignoraient à qui ils avaient affaire. Cependant, certains éléments pouvaient jouer contre elle. Elle ne savait ni où elle se trouvait exactement, ni quelles pouvaient être les conséquences d’une potentielle évasion.
Elle n’était pas restée inconsciente plus de quelques heures. Si ses ravisseurs avaient utilisé les moyens pédestres, alors elle n’était qu’à quelques kilomètres du verger. Mais ils pouvaient aussi avoir utilisé un vaisseau, ou une navette de transport. Elle pouvait se trouver à des centaines de kilomètres de son point de départ ou sur une autre planète. Ce qui changeait la donne. Elle n’avait rien connu dans le peu qu’elle avait pu voir.
Elle aurait pu… Elle se reprit. Mead’ aurait dû reconnaître cet endroit si elle était là, c’était pour une raison précise.
Ou bien quelque chose avait-il changé au point que cela échappait à la trame du temps ?
Si elle fuyait, qu'y gagnerait-elle ? Combien de temps resterait-elle libre ?
Certes, elle se sentait capable de se sortir de situations plus délicates que celle-ci, voire extrêmement dangereuses. Mais cela faisait un moment qu’elle n’avait pas pratiqué ce genre d’exercice. Était-ce la solution ? N’était-il pas trop tôt ?
Non.
Ici, plus que sur la Terre, elle ressentait les Terranihilisateurs. Dans quelques mois, quelques semaines peut-être, cette planète ne serait plus que cendres, et ses habitants morts ou esclaves en partance pour les champs de bataille.
De futurs tas d’ossements, songea-t-elle avec une pointe de tristesse.
Autour d’elle, ces êtres n’imaginaient pas qu’un danger plus grand que tout ce qu’ils auraient pu concevoir les menaçait eux et leur planète. Ceux qui en avaient la plus petite idée avaient déjà pris la fuite depuis longtemps.
Elle n’était pas de ceux-là. Elle ne fuirait devant les Terrans. Pas parce qu'elle ne le voudrait pas, mais parce qu'elle ne le pourrait pas. Pourvu qu’elle n’ait pas à leur faire face avant d’avoir rempli sa mission et de contribuer à laisser une chance de survie à un maximum d’espèces. Elle devait retrouver l’Occulteur de Mondes et son propriétaire coûte que coûte…
Cette pensée était comme une lumière au fond de son esprit. Elle les trouverait, tôt ou tard. De préférence tôt, avant les Chasseurs de mondes. Elle y parviendrait. Elle s’était toujours fiée à son instinct.
La fuite était l'option la plus évidente, se décida-t-elle. Seulement, il y avait un hic, de taille : il y avait toujours un garde qui avait l’œil sur elle.
Après être redescendue de l’estrade, elle avait tenté de s’éloigner discrètement du groupe, mais Belle-Gueule III l’y avait reconduite, sans violence, presque respectueusement, mais avec fermeté.
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